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Voilà un parti qui, au regard de la loi interdisant la constitution de partis sur une base religieuse, n’aurait jamais du être légalisé! Ennahdha est-il au dessus des lois?

Par Rachid Barnat


Des griefs contre le parti islamiste au pouvoir, les Tunisiens n’en manquent pas: atteintes aux libertés des créateurs et à la liberté de la presse par la volonté de mainmise sur la direction des médias publics, volonté de maintenir une justice aux ordres et de créer une infraction d’«atteinte au sacré» permettant toutes les dérives, tentative avortée de raboter les droits des femmes dans la Constitution…

Mais il y a plus grave encore concernant l’existence même de ce parti et du mode de son fonctionnement, au regard de la loi tunisienne!

La religion à tous les étages

I / Au moment de la légalisation d’Ennahdha et selon la constitution de 1959 encore en vigueur, plus précisément selon l’article 8:

- Les libertés d’opinion, d’expression, de presse, de publication, de réunion et d’association sont garanties et exercées dans les conditions définies par la loi;

- Le droit syndical est garanti.

- Les partis politiques contribuent à l’encadrement des citoyens en vue d’organiser leur participation à la vie politique. Ils doivent être organisés sur des bases démocratiques.

- Les partis politiques doivent respecter la souveraineté du peuple, les valeurs de la république, les droits de l’Homme et les principes relatifs au statut personnel.

- Les partis politiques s’engagent à bannir toute forme de violence, de fanatisme, de racisme et toute forme de discrimination.

- Un parti politique ne peut s’appuyer fondamentalement dans ses principes, objectifs, activité ou programmes, sur une religion, une langue, une race, un sexe ou une région.

- Il est interdit à tout parti d'avoir des liens de dépendance vis-à-vis des parties ou d’intérêts étrangers.

- La loi fixe les règles de constitution et d’organisation des partis.

Le parti d’Ennahdha, et ses hommes ne s’en cachent pas, s’appuie fondamentalement dans ses principes, objectifs, activités et programmes sur la religion! Comment a-t-il pu dès lors obtenir son visa en tant que parti politique? Si Rached Ghannouchi, son président, a pu tromper les autorités en déclarant son parti est politique et non religieux, il revenait aux autorités de veiller à la «conformité» de ce parti aux règles républicaines, et de le sanctionner sinon de l’interdire si, dans la pratique, ses référents s’avèrent être la religion. Ce qui est le cas mais personne n’ose le dénoncer ni prendre ses responsabilités face à de telles dérives.

Des financements dont les sources restent à déterminer

Dans la loi électorale, il est interdit de corrompre les électeurs pour «acheter» leurs voix. Ce qu’a fait Ennahdha durant sa campagne électorale en vue des élections d’octobre 2011, sous couvert d’œuvre caritatives qui ne trompent pas les Tunisiens et ce, au vu et au su de tout le monde et sans que les autorités ne sévissent envers ce parti.

Et que dire de la violence à laquelle recourent des éléments affiliés ou apparentés à ce parti pour intimider voire neutraliser ses opposants?

De même que le financement de la campagne électorale est plafonné. Or, ce plafonnement a été dépassé par le parti Ennahdha et de loin – selon les experts, et si l’on en juge par le faste de ses meetings, et non par le contenu du cahier comptable présenté à la Cour des comptes – sans que cela n’ait fait réagir les autorités compétentes en la matière pour sanctionner ce parti, ni l’opposition pour contester ce déséquilibre des moyens financiers qui fausse le jeu démocratique entre les partis.

Une des règles d’une véritable démocratie est que les partis soient égaux en matière de financement et surtout qu’ils ne reçoivent pas de financement de pays étrangers. C’est une règle assez simple à comprendre: si on autorise un tel financement étranger, certains partis seront défavorisés et se battront à armes inégales et surtout le parti financé par l’étranger favorisera (comment pourrait-il en être autrement?) le pays donateur et, de ce fait, favorisera son ingérence et pourquoi pas d’être colonisé par lui !

Tout citoyen soucieux de l’indépendance de son pays ne peut qu’être totalement opposé à un tel financement.

Or, il semble – à moins de ne pas vouloir regarder la réalité en face – qu’Ennahdha est financé, directement ou indirectement, par  des pays étrangers, notamment le Qatar et l’Arabie Saoudite. Tout le monde s’en doutait au moment des élections où ce parti, sorti de la clandestinité, a disposé tout à coup de sommes considérables pour sa campagne électorale. Mais Ennahdha a nié et les preuves manquaient. Il aurait fallu, et cela a été une faute des autorités de transition, enquêter sérieusement sur cette affaire qui était clairement dénoncée sur les réseaux sociaux. Hélas rien n’a été fait.

II / Or depuis l’accession au pouvoir par ce parti, qui plus est, domine la «troïka» qu’il forme avec Ettakatol et le CpR, les preuves s’accumulent, évidentes et incontestables, quelles que soient les dénégations d’Ennahdha, indiquant que ce parti reçoit de l’argent de l’étranger.

Après le soutient partial de la télévision Al-Jazira de l’émir du Qatar, qu’Ennahdha ait également reçu des soutiens financiers de ce pays est aujourd’hui un secret de Polichinelle. Il y a, en tout cas, de fortes présomptions à ce sujet, surtout après les déclarations du ministre syrien des Affaires étrangères, évoquant un financement d’Ennahdha par l’émir du Qatar.

L’affaire de l’arrestation à l’aéroport de Paris-Orly du dirigeant nahdhaoui Belgacen Ferchichi n’a pas été totalement élucidée, alors qu’un journaliste français a allégué que l’intéressé transportait des fonds. Le démenti d’Ennahdha n’a pas convaincu beaucoup de monde.

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Un flou peu artistique entoure les ambitions du Guide suprême.

Une «légitimité» qui reste encore à démontrer

S’il y avait une justice administrative sérieuse dans ce pays, ce parti ferait au moins l’objet d’une enquête et, en cas d’éventuels abus, serait sanctionné ou même dissous pour avoir contrevenu à une règle élémentaire relative au financement des partis politiques.

Quand au mélange entre les discours religieux et politique, Ghannouchi et ses partisans ont franchi toutes les limites de la loi, puisqu’ils considèrent leur parti et ses locaux comme étant «sacrés que la Kaâba», selon l’expression du ministre des Affaires religieuses, Noureddine Khademi. Quant au dirigeant de ce parti et son guide spirituel, il a été décrété intouchable à tel point qu’un patron de télévision a été envoyé en prison dès qu’il s’est permis la liberté de le tourner en dérision dans une émission d’humour politique, ‘‘Allogik Assiyassi’’ (version tunisienne des Guignols de l’info de Canal +) sur Ettounissia TV.

Les hommes d’Ennahdha, outre leur mépris des lois de la Tunisie (qu’ils comptent d’ailleurs changer à leur guise), leur mépris à tous les symboles de la république et à notre histoire nationale, ne cessent de narguer les Tunisiens en soulignant, à chaque fois, leur «légitimité électorale», qui revient comme un leitmotiv dans toutes leurs interventions dans les médias.

Comme dit Naziha Rejiba alias Oum Ziad, la cofondatrice avec Moncef Marzouki du Congrès pour la république (CpR), parti dans lequel elle ne se reconnaît plus et duquel elle a démissionné, la légitimité est conditionnée par des engagements à respecter et des actes que tout citoyen est en droit d’attendre même d’un gouvernement sorti des rangs des constituants. Elle rappelle d’ailleurs à Ghannouchi et ses partisans toutes les promesses électorales non tenues: la préservation de l’Etat civil, le maintien du statut de la femme…

Comme elle rappelle au gouvernement qu’il a failli puisqu’il n’a même pas été capable de protéger le citoyen et ses biens!

Comment osent-ils encore prétendre à une quelconque légitimité! Alors que les objectifs de la révolution ont été rejetés d’un revers de main et que M. Ghannouchi souffle le chaud et le froid pour tenter d’imposer un Etat théocratique?

Un projet d’Etat clérical à la place de l’Etat civil

Il faut revenir au programme en 360 propositions d’Ennahdha où il n’est nulle part mentionné qu’il appliquera la chariâ, où il est question d’un soutien total au Code de statut personnel, etc. Mais juste après les élections du 23 octobre 2011, les Nahdhaouis ont commencé à défendre un discours autre que ce qu’ils ont présenté avant les élections, lequel se caractérise par une volonté d’islamiser les textes de loi, en cherchant à mentionner la chariâ comme source de législation dans la future Constitution.

Une criminalisation de toute menace au sacré, comme s’ils étaient mandatés par les Tunisiens pour veiller sur ce qui leur est sacré et sur leur foi. Un rapprochement inattendu avec les salafistes sous prétexte de la nécessité d’impliquer cette tendance dans le paysage politique afin de la rationaliser. Au point de légaliser trois partis salafistes (Hizb Al Islah, Hizb El Aman, Hizb Arrahma) et un parti de la mouvance de l’islam radical (Hizb Ettahrir), qui ne cesse de déclarer qu’il est contre la démocratie et contre le régime républicain, dans un but électoraliste au mépris de loi qui interdit ces partis qui instrumentalisent la religion et sans que l’opposition ne proteste contre cet énième abus d’Ennahdha!

Tout récemment encore, Ghannouchi a déposé une demande pour un Majlis Al-Fatwa et demande aussi la création d’un Conseil supérieur islamique, enfant légitime du Conseil international des ulémas musulmans financé par le Qatar! Faut-il rappeler que le Qatar et l’Arabie sont des monarchies non constitutionnelles?

Autant dire que, Constitution ou pas, cela n’aura plus d’importance puisque ces instances religieuses primeront sur l’Etat civil! C’est, comme le dit clairement et sans mâcher ses mots Béji Caïd Essebsi, un Etat clérical que veut nous imposer Ghannouchi! Alors qu’il répétait à qui voulait l’entendre avant le 23 octobre qu’il conservera l’Etat civil pour la Tunisie.
Où sont les accords et les promesses démocratiques du parti Ennahdha?  Ghannouchi et son parti ont menti! 
Quelle légitimité peut-il encore avoir alors qu’il n’a respecté aucun de ses engagements!

Malheureusement, l’opposition a laissé faire Ennahdha, ou elle était inaudible. Il faut espérer que la société civile fasse pression pour que le financement des partis politiques soit clairement réglementé dans la futur Constitution et que les objectifs de la révolutions ne soient pas dévoyés par Ennahdha, puisque ses alliés, le CpR et Ettakatol, semblent définitivement dominés et impuissant et que c’est le grand frère Ghannouchi qui fait la pluie et le beau temps à l’intérieur même de ces partis.

 

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