En presque 8 mois, le Hamadi remaniement du gouvernement a tenu en haleine la classe politique et a fatigué les Tunisiens qui y voyaient l'arlésienne d'Ennahdha... Il faut en finir avec le mythe d'une «légitimité» en réalité terminée.
Par Rachid Barnat
Il a fallu l'assassinat de Chokri Belaïd, le 6 février, pour que le chef du gouvernement provisoire Hamadi Jebali précipite les choses en choisissant de faire son annonce, le mêmejour, en faveur d'un gouvernement de technocrates, c'est-à-dire le jour même du meurtre de l'opposant à Rached Ghannouchiet au parti islamiste Ennahdha.
Voulait-il faire diversion par son annonce pour détourner les Tunisiens du drame qu'ils vivent avec le meurtre de Chokri Belaïd? Ou du moins «atténue» l'ampleur du choc provoqué par son assassinat?
Avait-il des informations sur la machination meurtrière mise en route par des appareils occultes pour tuer Chokri Belaïd et faire taire à jamais la voix d'un homme qui s'est illustré par la dénonciation des supercheries d'Ennahdha?
Accaparement du pouvoir et partage de l'échec
S'il a fini par admettre son échec et celui de son gouvernement, il est curieux qu'il veuille associer l'opposition à cet échec... comme pour le minimiser en le partageant avec elle! Ce qui est absurde, puisqu'il ne partageait pas aussi le pouvoir avec elle.
Qui peut dès lors admettre qu'un homme qui a échoué pendant plus d'un an, fera mieux à la tête d'une équipe de technocrates qu'il appelle subitement de ses vœux alors qu'il ne fait que reprendre l'initiative de l'Union générale tunisienne du travail (Ugtt) à son compte?
Technocrates, qui seront une façade derrière laquelle Ennahdha continuera à tenir les rênes du pays, puisque pour le ministère des Affaires étrangères, nous apprenons que le préposé à ce poste s'est vu poser déjà des conditions de conserver les 4 conseillers nahdhaouis qui ont servi l'émir du Qatar via son obligé Rafik Abdessalem! Ce qui sera probablement le cas pour d'autres ministères du moins les régaliens d'entre eux!
Il faut être naïf pour faire à nouveau confiance à un homme demeuré autiste aux revendications légitimes des Tunisiens quand ils voyaient Ennahdha dévier des objectifs de la révolution, pour «modeler» la société tunisienne sur le modèle des pétromonarchies en la convertissant leur wahhabisme soutenu par l'émir du Qatar, ami et sponsor de Ghannouchi, sous prétexte de leur faire recouvrir leur identité arabo-musulmane qu'ils auraient perdue... comme si les Tunisiens ont fait leur révolution parce qu'ils doutaient de cette identité !
Aux grands maux, les grands remèdes
Comment faire confiance à un homme qui a servi son parti et continuera à le servir d'autant qu'il en est toujours le secrétaire général?
D'ailleurs il est curieux qu'il ait fini par «adopter» les conditions posées par l'opposition et l'Ugtt, pour proroger une légitimité finie le 23 octobre 2012, en oubliant la première d'entre elles: la dissolution des Ligues de protection de la révolution (LPR), milices au service d'Ennahdha, et la neutralité des mosquées! Les deux causes principales du chaos que vit le pays et qui ont aboutit au lynchage à mort de Lotfi Nagdh (Nida Tounes) et à l'assassinat de Chokri Belaïd (Front populaire)!!
C'est pourquoi la solution pour sortir de cette crise politique nécessite la dissolution de l'Assemblée nationale constituante (Anc) et la démission de Jebali et de son gouvernement; et doit passer par un consensus de tous les partis dans une réunion de salut républicain des forces républicaines: partis politiques et sociétés civiles avec à leur tête l'Ugtt, pour organiser la deuxième phase provisoire de la transition démocratique et assurer des élections transparentes, libres et indépendantes!
Faut-il rappeler aux constituants, et à ceux sortis de leur rang pour former les chefs de l'Etat, du gouvernement et de l'Anc, que la légitimité dont ils se gargarisent a pris fin le 23 octobre 2012?
Si l'opposition la leur a prorogée, sous conditions, ils n'en ont pas été dignes et l'ont perdue à nouveau pour n'avoir pas respecté ces conditions (dissolution des LPR; ministres «neutres» aux postes régaliens ; neutralité des mosquées; feuille de route pour sortir de la 2e phase provisoire, avec un agenda et des dates précises; une Anc s'occupant exclusivement de la rédaction de la Constitution...) et permis toutes les violences ayant abouti au lynchage à mort de Lotfi Nagdh, au tir à balles réelles sur les habitants de Siliana et à l'assassinat de Chokri Belaïd!
Pour sortir le pays des crises à répétitions à cause de l'incompétence et de l'amateurisme de tous ces gens, il convient donc de :
- dissoudre l'Anc, devenue chambre d'enregistrement des décisions d'Ennahdha, chapeauté par le «Majliss Echoura» (Conseil religieux) de ce parti;
- la démission du gouvernement et de son chef, seuls responsables de leurs échecs;
- la réunion de tous les représentants des partis républicains et de la société civile pour constituer un front de salut national;
- l'établissement d'une feuille de route consensuelle pour la sortie de la phase provisoire qui empoisonne la vie des Tunisiens;
- la désignation d'un gouvernement de technocrates ou moitié politique, moitié composé de technocrates, avec à sa tête un homme d'expérience ne militant dans aucun parti... jusqu'aux élections marquant la fin de la deuxième phase de la transition démocratique !
Ne plus cautionner une «légitimité» largement dépassée
Faut-il rappeler aux élus du 23 octobres 2011 qu'ils ont perdu non seulement leur légitimité pour les raisons énumérées, mais aussi leur popularité puisque les Tunisiens ne veulent plus d'eux et n'aiment pas leur arrogance doublée de leur incompétence et de leur cupidité !
Plus de 1,4 million ont manifestés spontanément contre ce gouvernement et contre Ennahdha qui le domine, contre quelques 16.000 manifestants ramenés par bus des quatre coins du pays pour réaffirmer une «légitimité» qui n'existe plus !
Il faut que l'opposition cesse de conforter cette soi-disant «légitimité» et de le dire haut et fort face aux hommes de Ghannouchi et ceux du Congrès poyr la république (CpR) qui s'accrochent comme des morpions à leurs postes qu'ils ont fini par croire perpétuels!
Accepter le maintien de Jebali alors que son échec est patent n'augure rien de bon et risque d'aggraver la crise, d'autant que le chef du gouvernement provisoire demeure le secrétaire général de son parti ! Ce qui veut dire que la nouvelle équipe sera d'une manière ou d'une autre soumise aux désidératas de Ghannouchi... qui continuera à tirer les ficelles en contrôlant les postes régaliens! Autrement dit l'opposition se sera faite une fois de plus roulée dans la farine pour se retrouver encore une fois le dindon de la farce !