Le gouvernement Ennahdha et sa justice aux ordres pratiquent la politique des deux poids deux mesures. Ce qui choque les Tunisiens ne choque pas forcément leurs juges, et vice-versa.
Par Rachid Barnat
A quelques jours du 30 mai date à laquelle doit être jugée, en principe, Amina la «Femen» tunisienne, le pouvoir en place réédite sa politique des deux poids deux mesures, face à des événements qu'il estime choquant... et ce faisant, il choque une nouvelle fois les Tunisiens: il les scandalise par ses prises de positions confirmant, hélas, l'état d'une justice encore aux ordres!
Depuis la prise du pouvoir par les islamistes, on ne peut que constater l'usage qu'ils font de la justice: une consommation excessive et abusive! Reproduiraient-ils ce dont ils ont souffert durant leur pseudo militantisme? Nous savons que Zaba avait instrumentalisé la justice et multiplié les procès à l'encontre des islamistes!
Est-ce que Ghannouchi voudrait pérenniser un système contre lequel les Tunisiens se sont révoltés? Sait-il que le but de la révolution tunisienne est de rompre avec tous les systèmes du totalitarisme? Ou cherche-t-il à ridiculiser davantage les juges en instrumentalisant la justice par des parodies de justice?
"La police me viole, la justice m'accuse".
«Sextrémisme» et islamisme
Quant au mouvement Femen, la forme de lutte de certaines féministes peut choquer. On se demande si elle n'est pas contre-productive dans certaines circonstances.
Le mouvement Femen est un groupe contestataire féministe d'origine ukrainienne. Le groupe est devenu internationalement connu pour avoir organisé des actions, essentiellement seins nus, dans le but de défendre les droits des femmes, ce qui les conduit aussi à s'impliquer sur plusieurs autres sujets, notamment pour la démocratie et contre la corruption, la prostitution ou encore l'influence des religions dans la société.
Les militantes de Femen sont ainsi adeptes d'un féminisme radical qu'elles appellent «sextrémisme».
L'action du groupe en Europe se traduit par une critique de la religion. Les Femen remettent en cause la place des religions dans la société et principalement du christianisme, considérant que l'Église répand des valeurs misogynes. Selon elles, «le féminisme et la religion ne sont pas deux choses qui peuvent coexister».
Le groupe a manifesté, en Suède, contre l'intégration de la religion dans le projet de Constitution du gouvernement de Mohamed Morsi, en Égypte.
Personne ne peut contester la misogynie des religions monothéistes que sont le judaïsme, le christianisme et l'islam, toutes les trois étant basées sur le patriarcat ayant pour patriarche commun Abraham!
Le constat de Femen sur la condition de la femme à cause de la religion, est vrai pour ces trois religions monothéistes.
Les Femen veulent dire stop au paternalisme qui les infantilise et les traite d'éternelles mineures! Paternalisme entretenu encore par les prêtres et les imams de ces trois religions ! Si elles utilisent leur corps pour le contester, c'est par réaction à ceux qui cherchent à se l'approprier, ne voyant en elles qu'un objet sexuel... sans plus, chez certains extrémistes religieux!
Exposition du Palais Abdellia: le système de censure d'Ennahdha se met en place.
Est-ce transposable dans les pays de culture musulmane? En principe oui mais pas en pratique compte tenu du modèle social archaïque plus ou moins marqué chez les peuples musulmans, qui s'organise autour du groupe et non autour de l'individu. Ce qui se traduit par des sociétés moins libérées et souvent à l'esprit encore pudibond comparées à celles des pays démocratiques qui privilégient l'individu.
Une chose est certaine, il y a d'autres révolutions à entreprendre dont celle des mentalités des peuples dits «arabo musulmans», pour qu'ils cessent de considérer la femme comme objet sexuel!
Censure organisée par Ennahdha, confiée aux «salafistes»
Si les islamistes au pouvoir ont pu être choqués par la nudité des corps, ils peuvent admettre que les Tunisiens dans leur majorité puissent être choqués par la «fitna» (discorde) semée parmi eux par Ghannouchi pour les diviser par les discours et les violences qui se déversent sur le pays par des prédicateurs d'importation auxquels son gouvernement les livre en vue de leur «rééducation», pour leur faire recouvrer leur identité arabo musulmane, qu'ils auraient perdue, comme si la révolution était pour ça! Alors qu'ils découvrent sa supercherie, que ce n'est que pour les convertir à une identité «saoudo-wahhabite»!
Les Tunisiens sont choqués par les prédicateurs obscurantistes qui prônent les châtiments corporels des plus barbares, qui appellent au jihad sur une terre d'islam millénaire, qui appellent au meurtre des mécréants refusant le wahhabisme...
Alors que ceux parmi ces islamistes que la vue d'un sein choque, restent impassibles devant les exactions des salafistes que Ghannouchi considère comme ses «enfants», «porteur d'une nouvelle culture», dit-il goguenard!
Rappelez-vous ce qui a pu choquer les islamistes:
- le film ''Persépolis'';
- le film de Nadia El- Fani, ''Ni Dieu ni maître'';
- l'exposition d'El Abdellia à la Marsa;
- la photo du couple dont on devine à peine le sein de la partenaire, du journal ''Ettounsia''... qui feront l'objet d'une censure qui ne dit pas son nom, organisée par Ennahdha mais confiée aux «salafistes wahhabites», son bras violent, pour les démonstrations de force sur le terrain. Cette censure est relayée très vite par le gouvernement Ghannouchi qui promptement mettra en accusation les fauteurs de troubles que sont pour lui les artistes, les journalistes... et n'inquiétera nullement les «salafistes» ni ne condamnera leur violence qui a failli mettre à feu et à sang le pays parceque «choqués» de tant de nudité et d'«immoralité»... leur trouvant souvent même, des excuses!
Amina de Femen pose à moitié nue: cela choque qui?
Ce qui choque les Tunisiens et que tolère Ennahdha
Rappelons, maintenant aux islamistes ce qui a pu choquer les Tunisiens:
- la profanation du drapeau national qui devient récurrente;
- les agressions à l'intérieur des universités;
- l'appel au meurtre dans les mosquées devenues tribune politique pour Ennahdha et ses salafistes;
- le saccage des mausolées, des mosquées, des cimetières faisant partie du patrimoine collectif et de l'identité tunisienne... sur injonction des prédicateurs invités par Ghannouchi et ses hommes... car le wahhabisme qu'ils diffusent ne tolère aucune autre obédience que la leur ni aucune autre croyance;
- l'incendie de l'ambassade américaine et la fuite rocambolesque de Abou Yadh de la mosquée El Fath à Tunis, responsable de cet incendie et des morts;
- les agressions physiques faites aux personnes, les saccages des biens d'autrui, le lynchage occasionnant la mort de Lotfi Nagdh... jusqu'à l'assassinat politique de Chokri Belaïd;
- la circulation des armes, les camps d'entraînements tolérés jusqu'à récemment par Ghannouchi et révélés lors des incidents graves de Jebel Châmbi.
Or les responsables ne sont ni inquiétés ni arrêtés. Et les rares qui le seront, très vite seront remis en liberté... voire glorifiés par des constituants nahdhaouis !
Pourquoi ce «deux poids, deux mesures»?
De même que les Tunisiens sont choqués de l'attitude du gouvernement Ghannouchi en ce qui concerne :
- le couple au baiser «public»;
- les fiancés pris en «flagrant» flirt : le jeune homme sera racketté par un policier et la jeune fille violée par les collègues du flic ripou... la victime se retrouvant ensuite poursuivie pour atteinte à la pudeur!
- que dire de Sami Fehri toujours en prison par le fait du prince en total mépris du droit !
- et du doyen Habib Kazdaghli malmené pour avoir résisté à l'obscurantisme! Pour lesquels la justice a été très vite mobilisée pour sévir et punir !
Si la justice doit poursuivre tout ce qui «choque», elle doit le faire en restant neutre! Car le fait de poursuite dans certains cas et non dans d'autres, donnera à la population un sentiment que la justice n'est pas la même pour tous.
A-t-on poursuivi les prêches haineux, les appels au meurtre? Et les déclarations des salafistes obscurantistes ne sont-elles pas, et de beaucoup, plus dangereuses et plus choquantes que l'action d'Amina ?
Si Ghannouchi et ses hommes sont tant choqués par l'extrémisme pacifique d'Amina, la Femen tunisienne, au point de l'emprisonner et la juger; ils devraient l'être d'avantage par l'extrémisme violent des salafistes qui cause souvent mort d'homme! Pourquoi condamner l'une et pas les autres? Pourquoi toujours cette règle de deux poids deux mesures?
Ennahdha perd toute crédibilité... et la justice avec!
Il est vrai que les salafistes sont les enfants de Ghannouchi, et consigne a été donnée aux hommes de son gouvernement de ne pas y toucher !!
On a envie de demander au gouvernement de Ghannouchi: «Mais par quoi êtes-vous vraiment choqués?»
Des seins nus sur un journal, des tags sur un mur ou par les déclarations des obscurantistes qui appellent à la régression du pays, à réduire les libertés, à dévaloriser les femmes?
Du recrutement et de l'endoctrinement d'une jeunesse transformée en jihadistes que vous «menacez» de poursuivre par ailleurs? De la libre circulation des armes dans le pays et des jihadistes qui brandissent toutes sortes d'armes au nez et à la barbe des forces de l'ordre sans qu'ils ne soient inquiétés?
De fournir l'émir du Qatar en chair à canon, en expédiant nos jeunes à la mort pour des causes qui ne concernent en rien la Tunisie... en lui fournissant aussi les «filles à soldats» convaincues du «jihad nikah» (prostitution halal), pour donner à leurs frères jihadistes «une idée» des houris éternellement vierges qui les attendent dans l'au-delà... comme le leur promettent les prédicateurs?