Le modèle de développement adopté ne résout pas les problèmes récurrents de la région de Kairouan. La mise en place d'un nouveau modèle nécessite, entre autres, le renforcement de la démocratie locale et du rôle de la société civile.
Par Mohsen Kalboussi*
Un récent compte rendu de réunion du Conseil Régional (CR) de Kairouan (''Jadal'' relate les causes du retard des projets de «développement» programmés dans la région et essaie d'en dresser les causes. Dans le présent papier, nous discutons les raisons invoquées par les principaux acteurs présents, à savoir le gouverneur et les élus de la région, et présentons ce qui nous semble une alternative citoyenne aux problèmes récurrents du développement dont souffre la région de Kairouan.
1. D'abord, les faits :
Une partie des projets programmés dans la région voient leur mise en œuvre ralentie, voire même arrêtée, dont certains remontent à l'année 2007! Les raisons invoquées à l'arrêt des projets sont les suivantes...
- La complexité des procédures administratives et leur lenteur : si cette complexité est commune pour l'ensemble de la Tunisie, pourquoi la région enregistre-t-elle alors un retard considérable dans la mise en œuvre des projets qui lui sont destinés, comparativement à d'autres régions du pays?
Si des problèmes précis sont à l'origine du blocage de certains projets (tels que des problèmes fonciers), pourquoi n'a-t-on pas essayé de les aplanir et – à la limite – chercher des solutions alternatives, sachant que les problèmes évoqués remontent à 2007?
- Le manque, dans la région, d'entrepreneurs pouvant mener plusieurs projets à la fois ou aussi pouvant honorer leurs engagements. Ceci amène les membres du CR à hésiter à prendre des sanctions à l'encontre des entreprises qui n'ont pas respecté leurs engagements. Si la région manque de telles entreprises, pourquoi ne pas aider des jeunes diplômés en chômage à créer des entreprises capables de réaliser de petits projets et évoluer avec le temps, ou aussi pourquoi ne fait-on pas appel à d'autres entreprises d'autres régions?
Une autre alternative consiste à ce que l'administration réalise elle-même certains projets, avec ce que cela signifie comme gain de moyens et d'argent. Cette raison nous semble paradoxale, surtout que les jeunes en mal de travail ou de projets ne manquent pas dans la région. Les aider à évoluer n'irait que dans le sens d'un meilleur développement de la région.
- Les lois régissant les marchés publics ont été invoqués comme une des raisons du retard de réalisation de certains projets. Si cette raison s'avère valable, elle touche l'ensemble de la Tunisie.
Tout le monde sait que les lois ont toujours été contournées et que leur complexité a abouti à la mise en place d'un système corrompu.
L'absence de structures de contrôle efficaces risque de produire des effets désastreux. Si peu de responsables régionaux ont jusqu'à ce jour été jugés à cause de leur mauvaise gestion de l'argent public, un sentiment d'impunité prévaut dans ce milieu et des mesures coercitives devraient être mises en place pour évaluer leur rendement.
D'un autre côté, si les lois étaient à l'origine du retard des projets, on aurait les mêmes résultats partout en Tunisie. Même si nous ne disposons pas de données sur l'avancement des projets dans les différentes régions du pays, cela ne semble pas le cas ailleurs, d'où la remise en question de la démarche de l'administration régionale et des raisons invoquées plus haut justifiant le remplacement des gouverneurs.
- La responsabilité de l'administration dans la lenteur observée n'a été évoquée que par quelques députés, certains se sont même allés dans le sens de leur «blanchissement» et leur compétence. Si de compétence il s'agit, pourquoi les retards invoqués le long de cet article ont-ils été enregistrés de manière accrue dans la région et pas dans d'autres? Aux administrateurs de répondre!
- Un point mérite qu'on s'y arrête. Si de nombreux projets sont bloqués par des citoyens ayant des revendications très diversifiées (dont par exemple la prétention d'être propriétaire d'un terrain ou voulant forcer l'administration à prendre en considération leurs besoins...), la solution serait d'engager des discussions avec les groupes (ou personnes) afin de trouver un compromis. La société civile n'a été invoquée que pour intervenir afin de faciliter le travail de l'administration!
Il faut préciser que le rôle de la société civile et son action sont indépendants de la volonté de l'administration régionale. Cette dernière est appelée à changer de pratiques, en vue d'écouter les citoyens et non les considérer comme objet de son intervention!
La société civile devrait être intégrée dans le processus de décision, pour qu'elle soit partie prenante des projets de développement régionaux et travaille dans le sens de leur réalisation, si bien sur ces derniers répondent à des attentes citoyennes.
- Les revendications citoyennes, considérées comme une entrave à la réalisation de certains projets, est le revers de la médaille de la démarche de l'administration régionale. En effet, cette dernière ne semble pas tenir compte des besoins réels des citoyens de la région (voir plus loin) et continue à fonctionner en dehors du contexte historique que nous vivons actuellement.
Il est clair que les programmes de développement prévus pour la région intéressent plus des projets d'infrastructure dont la région a le plus besoin, ces projets ne répondent pas aux besoins et attentes des citoyens et continuent à être établis sans leur consentement ou leur implication dans le processus de prise de décision. La mise en place de mécanismes de concertation et de dialogue avec ces derniers contribuera certainement à aplanir les tensions et atténuer le climat de leur défiance vis-à-vis de l'administration dont le fonctionnement, au contraire, renforce ce climat de défiance des Kairouanais.
Alternatives et pistes de solutions
Il apparaît clairement que les projets de développement prévus pour la région ne correspondent pas aux priorités des régionales, surtout qu'ils n'améliorent pas (ou très indirectement) les indicateurs de développement qui classent Kairouan parmi les régions les plus défavorisées du pays.
Il est étonnant que les choix desdits projets n'aient fait l'objet d'aucune remise en question, notamment de la part des élus ou de la société civile de la région. Si les mêmes orientations continuent à être adoptées, il est clair que la région ne sortira pas du marasme dans lequel elle a plongé depuis bien des années. Son solde migratoire est d'ailleurs négatif, preuve que l'hémorragie de l'exode continue à sévir dans certaines localités que les habitants quittent à la recherche d'horizons meilleurs ailleurs...
L'amélioration de la qualité de la vie des zones rurales (centres de soins, adduction d'eau potable, amélioration de l'état des voies d'accès, des services publics, notamment la poste...) est une des conditions nécessaires pour endiguer ce genre de fléau.
En effet, la plupart des projets programmés sont des projets d'infrastructure et ne n'améliorent pas l'état de nombreux secteurs dont la santé, l'éducation, l'accès à l'eau potable (plus de 50 % des écoles primaires ne disposent pas d'eau potable!).
Cette situation ne date évidemment pas d'aujourd'hui, et il est regrettable que des générations d'écoliers aient étudié dans des écoles où l'eau n'est pas disponible, sans que personne ne se soit penché sur leur situation.
Pour améliorer l'état de développement de cette région, les responsables régionaux se doivent de tenir compte des indicateurs de développement humain les plus faibles et travailler pour les améliorer, et ce, dans les différents secteurs affectant la vie de tous les jours des habitants, notamment ceux vivant en milieu rural ou dans des quartiers défavorisés en milieu urbain (santé, éducation et formation, environnement, culture, accès aux services...).
Il est indéniable que certains secteurs nécessitent des interventions d'urgence, surtout l'accès à l'eau potable, aux soins de santé de base, à l'éducation et à la formation professionnelle, etc.
L'amélioration des revenus des populations passe, entre autres, par le développement d'activités compatibles avec les potentialités de leurs milieux (amélioration des rendements des activités agricoles, développement des activités extractives et de transformation des produits agricoles, valorisation des activités traditionnelles d'artisanat, développement de l'écotourisme et de l'agritourisme...).
Certains secteurs d'activités pourraient être améliorés et développés, notamment les activités liées à l'environnement (recyclage, valorisation des déchets urbains par le compostage ou l'extraction du gaz, énergie solaire...), aux services ou à d'autres secteurs économiques à haute valeur ajoutée.
Ajoutons, rapidement, à ce qui précède, que la région manque d'institutions de recherche qui pourraient contribuer à mieux valoriser ses potentiels, notamment ceux relatifs aux ressources naturelles. En effet, bien que la région soit dominée par l'aridité, elle ne dispose pas d'antenne de l'Institut des régions arides (IRA) ou de l'Institut de l'Olivier, et ce malgré la grande couverture surfacique des oliveraies ou de l'importance de sa production oléicole... Le manque de structures administratives dans de nombreuses localités (particulièrement les municipalités) constitue un frein à leur développement et à la résolution de certains problèmes qui ne cessent de s'aggraver au fil du temps (surtout ceux relatifs à l'environnement).
Enfin, il est clair que le modèle de développement adopté ne résout pas les problèmes récurrents – et quasi-endémiques – de la région. La mise en place d'un nouveau modèle nécessite, entre autres, le renforcement de la démocratie locale et du rôle de la société civile. L'expérience des quelques mois passés des «Comités locaux de développement» a démontré la limite des choix des représentants de la population, tant en termes de légitimité de leur représentation, que de leurs compétences. Les autorités régionales, à tous les niveaux de responsabilité, se doivent d'être à l'écoute de la population, notamment dans l'élaboration des projets de développement.
* Universitaire.