Telle que se présente ce que l'on sait du projet de Constitution, on peut dire qu'il ne répond à aucun des objectifs d'une Constitution moderne, démocratique et protectrice des libertés.
Par Rachid Barnat
Au moment où commençait la rédaction de notre future Constitution, j'avais indiqué dans un article ce qui me paraissait à la fois essentiel et conforme aux réels objectifs de la révolution.
J'avais indiqué que les éléments que je mettais en avant devraient constituer une grille de lecture du projet qui serait finalement adopté.
Je suis obligé de constater et cela me paraît très grave qu'aucun des objectifs nécessaires ne sont remplis et que, plus grave encore, la majorité, sous la houlette de Habib Khedher, député d'Ennahdha et coordinateur générale de la Constitution – qui est aussi, accessoirement, le neveu de Rached Ghannouchi, président du parti islamiste au pouvoir –, essaye de tromper les Tunisiens en les prenant pour plus bêtes qu'ils ne sont.
Les trois objectifs essentiels d'une Constitution d'un pays libre et démocratique ne sont pas atteints dans le projet de constitution rendu public le 1er juin dernier, loin s'en faut. Et pour causes...
Pour une constitution qui garantit l'alternance
1°/ Le premier objectif que je soulignais, et il paraît assez évident à toute personne de bon sens, est qu'il fallait que la Constitution assure l'existence d'un pouvoir fort de manière que les réformes dont le pays a besoin puissent être menées et que la politique choisie puisse réussir. Et je ne me prononçais pas sur la forme exacte de ce pouvoir (parlementaire ou présidentiel).
Dans le projet, il semble que l'on s'orienterait vers un régime mi présidentiel (président élu au suffrage universel) mi parlementaire (le président n'a guère de pouvoir). Les spécialistes ont montré que le texte proposé va, au contraire, créer une grande difficulté de gouvernance et des conflits entre le président et le chef du gouvernement issu de la majorité parlementaire.
Or toute ambiguïté dans la répartition des pouvoirs et même toute division du pouvoir au niveau de l'exécutif sera source, sinon de paralysie, du moins de retard et de difficultés à conduire une politique ferme et rapide dans le domaine économique, social et éducatif. La Tunisie a-t-elle besoin de ce genre de difficulté? Est-ce cela que l'on souhaite? Une Tunisie, paralysée par des conflits de compétence qui ne pourra pas mettre en œuvre les réformes nécessaires?
Je sais bien que la préoccupation avancée pour diviser les pouvoirs est d'éviter le retour à un président dictateur.
C'est un faux problème pour de nombreuses raisons. La véritable solution pour éviter le retour à une dictature est que la Constitution garantisse vraiment les libertés d'expression, d'association, syndicales, l'indépendance réelle du pouvoir judiciaire et qu'elle organise de véritables élections libres qui permettront l'alternance, c'est-à-dire le changement d'un pouvoir qui aura démérité.
Menace, sans précédent, contre les libertés
2°/ J'indiquais aussi qu'il fallait un Etat civil et je pensais, assez naïvement, compte tenu des déclarations d'Ennahdha durant la campagne électorale, que cela était acquis. C'était sans compter avec la duplicité permanente des islamistes qui n'ont aucune parole et qui tentent par tous les moyens de nous donner une Constitution islamiste. Et donc contraire aux libertés fondamentales.
Je ne peux que renvoyer ici aux analyses concordantes et très claires, à ce sujet, du professeur Yadh Ben Achour, même si, par la suite, il a paru être plus en retrait, et à celles d'Abdelwahab Meddeb et à celles, encore plus limpides, de Mohamed Ridha Bouguerra.
Nous sommes donc clairement devant une menace, sans précédent, contre les libertés et donc d'une Constitution qui est le contraire de celle que souhaitaient ceux qui ont renversé Zaba.
Les droits de l'homme minés par l'ambiguïté
3°/ J'avais indiqué également qu'il fallait absolument que le Préambule de la Constitution se réfère expressément et clairement à la Déclaration universelle des Droits de l'homme; et là encore, naïvement, j'avais cru que cela ne poserait guère de problème, cette déclaration étant faite pour tous les peuples et Ennahdha ayant déclaré, à plusieurs reprises, qu'il était pour les Droits de l'homme! Grande naïveté de ma part !
Les islamistes et leurs complices, tout en formulant de grandes déclarations favorables aux droits de l'homme, ont tout fait pour en éliminer la portée.
Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et il était tout de même simple de dire clairement si l'on est ou non favorable à la Déclaration universelle des droits de l'homme. Or dans le Préambule tel qu'il est rédigé, l'on est dans l'ambiguïté totale ainsi que le met en évidence Amna Guellali.
Dès lors, il doit être clair pour tous les Tunisiens que le pouvoir actuel veut les tromper; il biaise; il ruse; il met de l'ambiguïté dans son texte volontairement pour ensuite faire ce qu'il voudra.
Il y a là un danger extrême ! Il faut résister, sans compter sur les prétendus défenseurs des droits de l'homme : messieurs Marzouki et Ben Jaâfar qui laissent tout passer, avalant toutes les couleuvres de celui à qui ils doivent leurs postes, reniant par là même tous leurs principes !
Telle que se présente ce que l'on sait du projet de Constitution, on peut dire qu'il ne répond à aucun des objectifs d'une Constitution moderne, démocratique et protectrice des libertés.
Si une telle Constitution passe, on ne pourra que regretter que la Tunisie n'ait pas saisi cette chance et ce moment; pour garder son rang éminent entre les nations musulmanes.
Face à cela il n'y a pas tente six solutions. Ou bien nous nous inclinons en espérant que nos craintes sont excessives et que tout cela n'a pas grande importance et nous nous réveillerons plus tard malheureux mais impuissants.
Ou bien nous luttons contre l'adoption d'un tel texte rétrograde et, par notre action, nous obligeons les partis et l'Ugtt et toute la société civile à se soulever contre cette tentative de restreindre nos libertés.
Sinon les Tunisiens n'auront d'autres recours que de se rebeller contre une constitution nahdhaouie et un pouvoir islamiste qui ne les respectent pas, comme l'ont fait les Egyptiens qui, suite à leur mouvement «Tamarod», ont suspendu celle des Frères musulmans et dégager les «Frères» eux-mêmes devenus illégitimes pour avoir dévoyé leur révolution!
Il est encore temps mais il va être très vite trop tard.
Nous en souffrirons mais surtout nous risquons d'entraîner nos enfants, pour des années et des années, dans la régression et la souffrance.