Les dirigeants d'Ennahdha, qui ont essuyé une double défaite (constitution aux antipodes de leurs convictions et sortie du gouvernement), font mine d'oublier qu'ils ont reculé sur l'essentiel, face à une société civile dynamique et à un peuple vigilant.
Par Rachid Barnat
Après la proclamation des résultats du vote, et la presque quasi-unanimité pour l'adoption de la nouvelle Constitution; lors des congratulations entre constituants, on pouvait remarquer que la caractéristique profonde des Tunisiens reprenait le dessus!
Peuple bon enfant, chaleureux, tolérant, pacifique... à la limite de la naïveté?
Une joie exubérante générale s'est emparée de tous les présents, des larmes de joie, de stress et de tentions; applaudissements nourris, youyous des femmes; jusqu'au chant en chœur de l'hymne national avec déploiement de nombreux drapeaux de la Tunisie... Le plus étonnant, chanté et brandis par ceux qui proposaient leur proscription! Ainsi, Samir Ben Amor étonnait par son retournement; lui qui fut l'un des plus acharné à vouloir l'abolition de ces deux symboles de la République!
Les progressistes ont gagné
De même qu'on a vu des scènes incroyables: Habib Ellouze (islamiste extrémiste) a tenu à embrasser Mongi Rahoui (extrême gauche) par deux fois, encouragé par Sahbi Atig... , alors qu'il n'y a pas si longtemps, il le menaçait de mort!! Et de son côté, son acolyte Sadok Chourou embrassait Issam Chabbi...
Embrassades à l'Assemblée entre Habib Ellouze (islamiste extrémiste) et Mongi Rahoui (extrême gauche).
Sont-ils tous sincères? Ou expression des uns et posture hypocrite des autres? Tout est possible, puisque le combat politique va reprendre de plus belle en perspective des prochaines élections.
Devant l'euphorie des constituants et des médias nationaux et internationaux pour l'adoption de la nouvelle constitution, le peuple tunisien est resté sage et calme.
Lucide, il ne s'est pas joint à la meute ni tombé dans le piège d'une euphorie qui n'a pas de raison d'être! Il n'a que trop présentes dans sa mémoire les batailles qu'il a du livrer contre des constituants qui ont outrepassé leur mandat. Leur angélisme et leur romantisme d'anciens «militants» l'exaspèrent.
Il est conscient que la constitution qu'on lui sert, il a dû batailler pour en corriger les orientations maintes fois changées par Ghannouchi, qui n'a eu de cesse de tenter d'y introduire le référent religieux... mais qui a seulement obtenu un certain nombre d'ajouts qui, de fait, donne une lecture ambiguë. Mais il est cependant très clair que ce sont bien les progressistes qui l'ont emporté.
Les islamistes devront se contenter des ambiguïtés qui leur ont été accordées pour qu'ils sauvent la face; mais les libertés sont clairement affirmées et parmi elles, la liberté de conscience qui est le contraire de ce que voulaient les Frères musulmans nahdhaouis.
On peut donc dire clairement que les progressistes ont gagné même si, maintenant les islamistes et leurs complices font mine de se réjouir, n'hésitant pas à donner un spectacle surréaliste pour s'attribuer un quelconque mérite pour le résultat final... pour qui les a vus parader de plateaux TV en studios de radios, faisant mine d'oublier qu'ils ont reculé sur l'essentiel grâce à une société civile dynamique et à un peuple vigilant... auquel, ils ne la lui font plus!
Ghannouchi veut faire croire que c'est grâce aux islamistes que la Constitution est ce qu'elle est; et selon lui, «tout le monde est gagnant».
Non, M. Ghannouchi, tout le monde n'est pas gagnant et vous savez pertinemment et tous les Tunisiens aussi que vous avez perdu; et que rien de ce que vous vouliez ne figure dans ce texte. Alors paradez comme vous voulez, mais personne n'est dupe de vos forfanteries!
Où est la charia? Où est la complémentarité des femmes? Où est le Conseil islamique, Majlis Choura? N'avez-vous pas tenu en haleine tout un peuple pour lui imposer vos belles idées? N'y avez vous pas renoncé, l'épée dans les reins?
Les députés d'Ennahdha ont fait des concessions à contre-coeur et sous la pression. Et ils crient victoire!
L'hypocrisie jusqu'au bout
Voir Samir Ben Amor brandir le drapeau tunisien et chanter l'hymne national, en signe de conversion subite au nationalisme, est en soi une insulte à l'intelligence des Tunisiens quand on sait la hargne dont il a fait preuve pour renier l'un et l'autre et demander leur abolition!
Quant aux Frères musulmans nahdhaouis, de les voir eux aussi chanter l'hymne national, en brandissant le drapeau national... alors qu'il n'y a pas si longtemps ils les bafouaient et cherchaient à les remplacer !
Certains Nahdhaouis se sont trahis par un signe qui ne trompe pas : en faisant le signe de «Rabâa»*, au-dessus du drapeau national! Était-ce le lieu et le moment pour brandir un signe de ralliement aux Frères musulmans égyptiens entrés en résistance au pouvoir en place?
Le nationalisme soudain, des uns et des autres, étonne! Ils croient duper les Tunisiens par une exhibition ostentatoire du drapeau national et leur reprise en chœur de l'hymne national; alors qu'on sait qu'ils sont endoctrinés à une idéologie dont les objectifs sont clairs : abolir la République, l'Etat Civil et tous les symboles qui s'y attachent; diluer la nation tunisienne dans le magma «arabo islamiste» et fondre les Tunisiens dans la oumma; lubie de Hassan al Banna et de Sayid Qotb, leurs pères spirituels!
Mais depuis que leurs «frères» égyptiens sont dans la tourmente, les Nahdhaouis tentent de faire profil bas et de jouer aux nationalistes pour amadouer les Tunisiens qui les ont violemment rejetés, dans l'espoir de donner une autre image d'eux plus conforme aux attentes d'un peuple évolué, en perspective des élections à venir... dussent-ils les tromper, en appliquant la «taqya», c'est-à-dire le mensonge et le double langage dans l'intérêt de leur confrérie... en attendant de revenir au pouvoir !
Que penser de cette constitution?
On aurait pu avoir une constitution plus claire qui :
- adopte de manière ferme la laïcité puisque la liberté de conscience y est inscrite;
- sans détours invoque clairement la Déclaration universelle des Droits de l'Homme;
- soit encore plus nette sur l'égalité hommes/femmes;
- abolit la peine de mort, cette peine barbare, d'un autre âge.
Oui elle aurait pu être meilleure.
Mais dans le fond, à bien y réfléchir, elle est tout de même la victoire du camp du progrès et cela grâce à la lutte forte et permanente de la société civile. Il a seulement fallu laisser quelques miettes dérisoires aux obscurantistes islamistes et à leurs complices pan arabistes (CpR...): ces miettes, ce sont les quelques ambiguïtés de langage et quelques redondances de style sans réelle conséquences.
Et sur ces miettes et ces redondances inutiles, les islamistes fidèles à eux-mêmes, c'est-à-dire sans honneur, toujours dans le populisme et la fausseté, poussent des cris de victoire qui doivent bien faire rire dans le monde. De les entendre se gargariser du vocable «Révolution bénie» («thawra moubaraka») doit choquer plus d'un de tant d'arrogance et de tromperie, alors que les Tunisiens les ont vus à l'œuvre et savent que si on les avait laissés faire, ils nous auraient ramenés des siècles en arrière.
Maintenant, une Constitution n'est pas suffisante pour instaurer une réelle démocratie; c'est la façon dont on l'applique qui compte. Il faut donc que la lutte se poursuive pour faire triompher vraiment les valeurs qu'elle a proclamées, lors des prochaines élections et même après.
Il est étonnant de voir la frénésie à laquelle se livrent ceux de la troïka, avec à leur tête MM. Marzouki et Ghannouchi, à multiplier les déclarations de «victoire» et les festivités pour célébrer la «meilleure des constitutions au monde», comme ils disent. N'hésitant pas faire partager leur joie en invitant les tartours totalitaires de pays «amis» de notre tartour national, ou pire dont le pays ne dispose pas de constitution!
Et comme pour mieux braver les Tunisiens, ils ont choisi de festoyer les jours où le peuple souhaitait commémorer le premier anniversaire de l'assassinat de Chokri Belaid dont il n'a toujours pas fait le deuil tant que la vérité ne sera pas faite sur ce meurtre politique qui a souillé et endeuillé sa révolution.
* Rabiâa El-Adawia est une mystique soufie, devenue sainte. Les Frères musulmans en ont fait un symbole pour leur résistance en entrant en rébellion contre le général Al Sissi du jour où ils se sont réfugiés dans la mosquée qui porte son nom. Ils en furent délogés par la force. Le prononcé du nom Rabiâa est voisin de «quatre», «quatrième»... d'où les 4 doigts que brandissent les «Frères» et leurs sympathisants en signe de ralliement !