La critique systématique est le nouveau péché des Tunisiens, si prompts à attaquer un gouvernement avant même qu'il ne soit mis en place.
Par Jamila Ben Mustapha*
Depuis hier, tous les Tunisiens ont l'air d'oublier que le gouvernement Habib Essid, qui attend le vote de confiance de l'Assemblée, mercredi 4 février 2014, a droit à une période de grâce de cent jours. Certes, sa composition n'est pas idéale: certains noms nous sont complètement inconnus; d'autres, comme celui du ministre de l'Intérieur, suscitent notre appréhension.
Mais il est désolant de voir que tout le monde, journalistes et opposition radicale, se croit obligé d'être dans la critique féroce et destructrice: en Tunisie, on est passé, en masse, d'une attitude de béni oui-oui, avant 2011, à celle de spécialiste de l'injure.
Qui a trahi qui?
Sous l'Ancien Régime, on n'osait pas remettre en question quoi que ce soit. Aujourd'hui, on n'ose pas souligner les aspects positifs d'une situation politique, de peur d'attirer la suspicion sur une quelconque attitude «intéressée».
Or la parole vraiment libre c'est cela: critiquer quand cela s'impose, mais ne pas hésiter à être élogieux, quand on a des raisons de l'être, aussi.
Une situation catastrophique attend nos politiques, et quelques mots d'encouragement les boosteraient, alors que les uns prévoient déjà l'échec de cette équipe, et que l'arrogance d'autres, par exemple, sur les plateaux de télévision hier, est, on ne peut plus décevante.
Comment appeler à la trahison parce qu'on voit quelques membres d'Ennahdha participer au pouvoir, alors que ce parti dispose du tiers bloquant au Parlement, pourrait paralyser, demain, le travail de l'équipe gouvernementale, et qu'il est incontournable pour qu'elle puisse disposer d'une majorité confortable?
Diminuer la tension permanente
Les islamistes sont, pardi! des Tunisiens comme nous, et les voir participer avec d'autres sensibilités politiques, dans le même gouvernement, a un effet apaisant sur tout citoyen et diminue de cette tension permanente qui a régné dans une Tunisie coupée en deux, dans le passé proche, et travaillée par la haine.
Béji Caïd Essebsi n'a fait, tout au long de sa campagne électorale pour la présidentielle, que préparer l'opinion publique à la participation d'Ennahdha, au pouvoir. Ce serait faire preuve de mauvaise foi que de l'accuser de traîtrise.
On a dit que le vrai chef est celui qui a la force d'imposer des mesures impopulaires à ses compatriotes. L'avenir nous montrera si le président de la république a eu raison de le faire.
Là où on devra tous être vigilants, c'est sur le chapitre du vote des lois anti-terroristes et, surtout, sur celui des assassinats politiques.
Nous saluons la perspicacité de Basma Khalfaoui, épouse de Chokri Belaïd, assassiné le 6 févreir 2013 par des extrémistes religieux, de refuser un poste de ministre pour ne pas compromettre les chances du pays de voir toute la lumière réalisée sur cette affaire.
Nous comptons sur le Front populaire et sur d'autres petits partis pour jouer le rôle d'opposition efficace et virulente.
En attendant, souhaitons bonne chance à la nouvelle équipe: sur le plan psychologique, de même que la critique destructrice a un effet catastrophique sur le moral des nouveaux responsables, de même, les encouragements ont un effet inverse aussi fort.
Bon courage, mesdames et messieurs, et agissez pour le mieux, dans l'intérêt de la Tunisie.
* Universitaire.
Illustration: Le Premier ministre désigné Habib Essid présente son gouvernement au président de la république Béji Caid Essebsi, lundi 2 février 2015.
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