Les musulmans sont invités à se fier à leur propre compréhension du Coran et à cesser de suivre les monstrueuses interprétations qu'en font les imams obscurantistes.
Par Rachid Barnat
Il aura suffit que le Pr Mohamed Talbi s'exprime à propos du vin et dise sa «lecture» des sources, c'est-à-dire les sourates du Coran, pour que les enturbannés de tous poils et les médias montent au créneau pour dire haro sur le baudet, certains invoquant l'apostasie et ce qu'elle implique: c'est-à-dire la mise à mort ! Rien que ça!!
Où étaient-ils tous ces zélés défenseurs de l'islam quand, quotidiennement, des pseudos imams cathodiques et autres prédicateurs pondaient des «fatwas» (lois religieuses), relayées par les réseaux sociaux, plus monstrueuses les unes que les autres, si elles n'étaient pas grotesques, traduisant souvent les complexes existentiels et sexuels de leurs auteurs? Où étaient-ils quand des charlatans obscurantistes venus d'Arabie envahissaient nos mosquées pour diffuser le wahhabisme? (Un sommaire en images – VTR – d'imams wahhabites dictant des fatwas, absurdes, illustrant l'obscurantisme contre lequel le Pr Talbi lutte, était diffusé lors du débat avec lui!)
Les dérives de l'islam obscurantiste
Quant à l'opportunité d'un tel débat, que certains jugent accessoire alors que l'Etat islamique (Daêch) est aux portes de la Tunisie et que les Tunisiens souffrent dans leur quotidien de tant de problèmes matériels, je pense, au contraire, qu'il était temps d'ouvrir le débat à propos de l'islam. C'est devenu nécessaire depuis que les Frères musulmans se sont emparés des révolutions des jeunes du «Printemps arabe», pour mettre l'identité religieuse des Tunisiens au centre de tout débat public et à la place de leurs revendications: liberté, dignité et travail, avec l'idée de les convertir au wahhabisme au prétexte qu'ils auraient perdu leur identité arabo-musulmane!
La situation actuelle est bien due aux dérives d'un islam obscurantiste qui a touché tous les pays du «Printemps arabe» et bien au-delà ! Pour lutter contre l'obscurantisme, il faut que les musulmans se réapproprient leur religion, lisent le Coran et raisonnent par eux-mêmes pour ne plus se fier aux fatwas les plus débiles. C'est en tous cas le but recherché par le Pr Talbi auprès de ses concitoyens.
Tout compte fait, tant mieux que le Pr Talbi ait suscité malgré lui cette tempête médiatique qui, semble-t-il, a secoué les imams partout dans le monde, pour dire haut et fort STOP à la surenchère des islamistes qui veulent imposer la charia, corpus de lois dites religieuses pondues durant les 3 premiers siècles de l'islam, et qu'ils sacralisent au point de faire oublier aux croyants le Coran !
De quoi s'agit-il? Le Pr Talbi, qui préside l'Association internationale des musulmans coraniques (AIMC), a eu à débattre du vin et de la prostitution avec les membres de son association. Du débat, texte coranique à l'appui, il résulte que l'interdiction formelle de la consommation du vin et de la prostitution volontaire, ne sont pas interdites; et donc ne sont pas «haram» au sens du péché mortel !
Hassen Ghodhbani ne laisse pas parler Mohamed Talbi: l'inquisition dans toute sa splendeur!
La direction de la chaîne de télévision El-Hiwar Ettounsi (Débat tunisienne), en course à l'audimat, a flairé un «bon coup» et invité le Pr Talbi chez Elyes Gharbi dans son émission ''7/24'' pour s'expliquer. Ce fût un ratage total, frustrant pour beaucoup de téléspectateurs restés sur leur faim faute d'avoir laissé s'exprimer le Pr Talbi, à cause d'un avocat islamiste impoli, Hassen Ghodhbani, qui l'empêchait de parler, sous le regard complice de l'animateur et du journaliste Mohamed Boughalleb présent sur le plateau!
Une télévision avide de sensationnalisme
La direction voulant se rattraper, et sûrement pour exploiter «le filon Talbi», l'invite à nouveau dans l'émission ''Labes'' (Comment ça va) de Naoufel Ouertani et ''Liman yajro' faqat'' (Réservé uniquement à celui qui ose !) de Samir El-Wafi, copie de ''Salut les terriens'', de Thierry Ardisson. C'est dire si elle est axée sur le sensationnalisme et le spectacle... plus vendeurs en termes d'audimat!
D'emblée, le Pr Talbi a pris ses dispositions vis-à-vis de l'animateur de l'émission, le prévenant qu'il se retirera si on l'empêchait de s'exprimer ou qu'on lui coupait la parole. Cette fois-ci, même si l'on peut regretter les facilités et les digressions inutiles, le Pr Talbi a pu s'exprimer.
L'islamologue s'attendait à une émission axée sur le vin, qui a suscité tant de réactions souvent violentes, était déçu, lui, qui s'était préparé en bon universitaire à justifier ses conclusions, «sourates» (versets du Coran) à l'appui ! Mais l'émission n'étant pas «culturelle», le présentateur se devait de titiller l'invité pour amuser les téléspectateurs!
Bon joueur, le professeur s'est prêté intelligemment au jeu. Quand Samir El-Wafi a tenté de le taquiner qu'à 93 ans il ait encore le goût des femmes, notre cher professeur pédagogue lui a rappelé que la beauté est un don de dieu, par conséquent il ne faut ni la cacher ni en avoir honte comme l'avait fait Abou Hourayra, qui avait décrété de couvrir entièrement les femmes parce que tout leur corps, de la tête au pied, est une «awra» (disgracieux, honteux !), ne lui permettant qu'un trou dans son voile au niveau de l'oeil gauche pour voir!
Méthodique, le Pr Talbi a refusé de se laisser entraîner sur un autre chapitre concernant la prostitution, ne souhaitant s'en tenir qu'à la question du vin, raison pour laquelle il était l'invité de l'émission. Le présentateur, avide de sensationnalisme, a tenté en vain d'exploiter la nouvelle pierre jetée par le professeur dans la mare des traditions religieuses qui proscrivent et punissent sévèrement la prostitution. Le Pr Talbi s'est contenté d'affirmer que nulle part dans le Coran la chose n'est interdite ni surtout que celui-ci mentionne les châtiments que des hommes se sont arrogés le droit de décréter au nom d'Allah à l'encontre de la prostituée. Affirmant que l'islam est pour la liberté sexuelle !
Il rappelle une fois de plus son droit à la liberté d'expression et de compréhension du Coran. Par conséquent, il réfute la charia et les avis de tous les imams, Farid El-Béji compris. Rappelant sans cesse sa devise: «Ma religion c'est ma liberté». Il n'en dira pas plus, car il est en train de rédiger un livre auquel il réserve ses analyses et ses explications du texte coranique, à propos de cette question et de la sexualité en général, s'excusera-t-il.
Comme invités autour du Pr Talbi, il y avait le cheikh Farid El-Béji, Youssef Seddik, Ridha Belhaj, chef du parti salafiste Hizb Tahrir, et Hassen Ben Othman.
On invite l'islamologue érudit sur le plateau pour le tourner en dérision et faire rire la galerie à ses dépens!
Règles «religieuses» inventées par l'homme
Le Pr Talbi va mettre en évidence le fait que de nombreuses règles que les musulmans prennent pour des règles religieuses, ne sont que la création des hommes.
Il rappelle la guerre qui a duré un siècle entre les adeptes de l'imam Mâlik Ibn Anas et l'imam Al-Chafîi. C'est dire qu'à l'intérieur même de la charia il y a des oppositions d'interprétation.
Il va donner une analyse claire et historique de l'élaboration de l'islam par les premiers hommes de pouvoir, en rappelant que durant un siècle les premiers musulmans avaient vécu sans charia! Quant aux matériaux dont se sont servis les théologiens pour établir la charia régissant leur époque, ce sont le Coran et les hadiths (Citations) du prophète!
A propos du Coran, le Pr Talbi rappelle qu'il a été amputé de certains passages qui ne convenaient pas au Calife qui, voulant transmettre le pouvoir à son fils, avait instauré le système dynastique des califes!
A propos des hadiths transmis à l'aube de l'islam uniquement par voie orale, le Pr Talbi rappelle qu'ils n'ont été consignés par écrit et regroupés sur ordre du calife Omar que des années après la mort du prophète. C'est dire le doute que l'on peut avoir quant à leur authenticité comme «documents», d'autant que la chaîne de leurs rapporteurs et transmetteurs peut faire douter de la fiabilité de certains d'entre eux, et douter même du nombre des hadiths «réels» et «véridiques» qui pour certains n'excéderaient pas la centaine alors que, pour d'autres, ils seraient de l'ordre de 600 hadiths.
Par ailleurs, les écrits qu'ont légués les premiers musulmans manquaient de ponctuation, ce qui compliquait parfois la lecture d'un mot quand on veut le ponctuer pour une meilleur lisibilité: car une lettre peut prendre la place d'une autre par le fait qu'elle soit ponctuée au-dessus ou au-dessous... ce qui change totalement le mot et par conséquent la compréhension d'une phrase. D'où les interprétations diverses et variées toujours subjectives de la part des théologiens.
Constats historiques du savant Talbi qui justifient ses doutes et sa propre lecture du Coran. Par conséquent, a-t-il dit à ses opposants sur le plateau, Farid El-Béji et Ridha Belhaj: «Vous avez votre vérité; et j'ai la mienne. Je n'ai pas à vous imposer la mienne comme vous n'avez pas à m'imposer la votre»!
Ridha Belhaj s'est mis en colère devant la négation de la charia par le Pr Talbi. Celui-ci s'est étonné, à juste raison, de la présence d'un chef de parti qui instrumentalise la charia à des fins politiques dans un débat entre intellectuels.
Farid El-Béji, s'excusant auprès du Pr Talbi d'avoir recommandé son internement en asile psychiatrique après sa déclaration que le Coran n'interdisait pas la consommation du vin, explique qu'il l'a traité de fou pour le préserver des fous d'Allah, qui l'auraient tué pour apostasie, la folie rendant l'individu irresponsable de ses dires et de ses actes.
La liberté d'interprétation du texte sacré
Depuis le début de l'émission, Youssef Seddik semblait mal à l'aise, regrettant même d'être venu. Mais à la fin, il a convenu que l'islam a besoin d'une refonte totale compte tenu de sa fabrication par les hommes qui voulaient l'adapter à leurs époques. Pour cela il revendique le droit pour tout musulman de relire et d'interpréter le Coran de son point de vue personnel et avec un regard neuf, en dehors de toute source traditionnelle.
Il serait temps selon lui que les musulmans d'aujourd'hui en fassent autant, en s'appuyant sur les sciences, les technologies et le savoir actuel pour adapter l'islam à notre époque, conclut-il.
Par conséquent, lui aussi rejette la charia qu'il juge désuète, comme il rejette aussi celle du cheikh Fadhel Ben Achour qui n'était qu'un lifting de ce vieux corpus que certains voudraient à tort sacraliser, mais pas lui, affirme-t-il.
Pour finir, le Pr Talbi invite les musulmans pratiquants à lire le Coran et à se fier à leur propre compréhension en s'aidant de dictionnaires... mais surtout de cesser de suivre les yeux fermés les interprètes du Coran qui se sont installés représentant d'Allah auprès des musulmans pour leur dicter ce qu'ils doivent faire ou ne pas faire et leur inculquer le «halal» et le «haram»... comme le font les wahhabites.
Comment ne pas apprécier cette proposition? Oui, il faut mettre un terme au pouvoir de certains hommes qui abusent du pouvoir qu'on leur prête pour parler au nom de Dieu. Que la Tunisie, qui a déjà donné tant de réformes importantes au monde arabe prenne, ce chemin de réforme; ce serait excellent. N'oublions pas que partout dans le monde des intellectuels éminents conviennent que l'islam doit se reformer.
Peut-être les Tunisiens remercieront-ils un jour le Pr Talbi d'avoir mis en mouvement cette réforme.
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