Tunisie. Cheikh Rached Ghannouchi, dessine-moi un mouton!Une bonne nouvelle dans la grisaille, le prix du mouton de l’Aïd n’atteindra pas le million. Il faudra à peine 800 dinars pour avoir le bêlement à la maison.

Par Karim Ben Slimane*

 

Non, vous êtes vite partis en besogne, ce n’est pas la version halal du conte le ‘‘Petit Prince’’ de Saint Exupéry. Il s’agit simplement d’une saillie juvénile, œuvre de mon fils de cinq ans à qui je me suis évertué à expliquer pourquoi cette année nous n’allons pas égorger un mouton pour l’Aïd.

Eh oui cette année il n’y aura pas de mouton à la maison. Ma femme Zleikha, véritable «bent dar» comme on n’en fait plus de nos jours, est toute triste. Elle qui aime tant l’agitation, le vacarme et la foule qu’amène l’Aïd à notre paisible demeure. Par-dessus tout elle aime prendre part au cercle de femmes réunies pour préparer la farce des tripes du mouton qui garniront le couscous «bel osbane» du lendemain.

Pour ma part, je ne suis pas mécontent car l’Aïd est une corvée que je déteste cordialement et un poste de dépense qui fait beaucoup de tort à mes économies. Quand, ce matin en prenant le petit déjeuner avec ma douce Zleikha, nous avons appris en écoutant la radio que le prix du mouton avoisinera les 800 dinars, notre surprise fut grande. Le haut responsable, par qui nous avons appris la nouvelle, est intervenu à la radio pour faire cesser les rumeurs et rassurer les Tunisiens que le mouton n’atteindra pas le million et qu’il faudra à peine 800 dinars pour avoir le bêlement à la maison.

Deux sentiments ont traversé mon esprit le premier est celui du soulagement car à ce prix même ma femme Zleikha, une fervente supportrice des dépenses inutiles, trouvera que cette année le prix du mouton dépasse l’entendement. Mais j’ai éprouvé aussi des regrets parce qu’avec mes longues années d’études je dois sûrement gagner moins qu’un commerçant de bétail.

Je n’ai pas eu à argumenter trop longtemps, Zleikha a compris que cette année elle ne plongera pas ses bras dans les tripes du mouton. Je l’ai pris dans mes bras pour la consoler en tentant de cacher ma joie et en feignant une moue de compassion.

Les vertus d’un bordel sans nom

J’avoue que depuis l’avènement du gouvernement d’Ennahdha, les moments de tendresse avec Zleikha se sont multipliés. Je me rappelle bien de notre étreinte quand le prix de l’essence a augmenté. Là aussi je n’ai pas été mécontent car nous avons diminué les visites à la belle famille.

Si vous cherchez une vertu au bordel sans nom que nous vivons depuis la révolution, ne cherchez pas trop, avec ma femme Zleikha nous ne comptons plus les moments torrides.

*Spectateur engagé dans la vie politique tunisienne.