Le fameux compte 2626, qui alimentait les caisses noires de Ben Ali, sera-t-il remplacé par le «charity-business» du parti Ennahdha, financé par l’émir du Qatar ?
Par Rachid Barnat
Le 2626 est un numéro, dont beaucoup de Tunisiens se souviennent encore, certains avec gêne ! C’est le numéro d’un compte ouvert par le Rcd, l’ancien parti au pouvoir, pour collecter l’argent des généreux donateurs tunisiens au profit des plus nécessiteux d’entre eux.
A l’origine de ce fameux compte, Anouar Moalla nous raconte que son association, organisatrice du premier téléthon tunisien en 1996, avait demandé aux généreux donateurs de faire leur promesse de don en appelant le n°2525.
Devant le succès de ce téléthon, le Rcd va s’approprier la formule ; et par dérision ou par provocation, je suppose, il remplacera le 2525 par le fameux 2626, numéro du compte récoltant les dons. Le Rcd monopolisera depuis toutes les œuvres caritatives en Tunisie.
La caisse noire de Ben Ali
En réalité, derrière le Rcd, organisateur des œuvres de bienfaisance en Tunisie, se cache le président Ben Ali lui-même. Comme nous avons découvert sa pratique du «fifty/fifty» dans toutes les affaires juteuses, qu’il imposait à tout entrepreneur qui veut s’installer en Tunisie, nous avons découvert avec horreur qu’il a poussé plus loin la cupidité, puisqu’il s’est approprié carrément ce fameux compte 2626 !
Trop content de la manne récoltée grâce à la générosité des Tunisiens, et l’avidité du président aidant, le Rcd en fera une institution et harcèlera les Tunisiens pour leur soutirer leurs «oboles» annuelles pour alimenter la caisse personnelle du président.
Nous nous rappelons les journaux de l’époque qui rendaient compte dans des pages entièrement consacrées au «2626», sur les entreprises qui «ont bien voulu» donner leur obole.
Les Tunisiens vivant à l’étranger se souviennent eux aussi des «préposés» à l’alimentation du compte 2626, rattachés aux ambassades et aux consulats de Tunisie, qui les «rappelaient» à leur devoir, de verser leur obole au 2626… quand ils venaient pour de simples démarches administratives consulaires !
Rappel instructif quant à la cupidité de Ben Ali et à quel degré de bassesse il pouvait descendre dans l’indécence, quand il détournait à son profit sans vergogne la générosité des Tunisiens pour se remplir les poches.
Depuis, toutes les associations civiles caritatives tunisiennes ont souffert de la cupidité du président et de celle de sa mafia, puisqu’elles ne recevront plus d’aide en provenance des organisations mondiales ni des associations caritatives internationales ; celles-ci ayant compris que l’argent qu’elles enverraient pour aider les Tunisiens serait capté au passage par Ben Ali et les siens.
Pourtant les associations civiles sont nécessaires dans une société démocratique ; et plus particulièrement celles à vocation caritative. Mais il est impératif qu’elles restent indépendantes du pouvoir.
Où finit la charité et commence la propagande ?
C’est pourquoi beaucoup de Tunisiens se sont étonnés des largesses d’Ennahdha pendant la campagne électorale et espèrent que ce parti ne va pas, lui aussi, se servir de l’action sociale pour développer son emprise sur les Tunisiens.
Ce qui est à craindre, au regard de l’accord, signé avec l’émir du Qatar avec le gouvernement de Hammadi Jebali, intégrant son aide caritative à la Tunisie. Les deux accords de coopération caritative qatarie, officialisent et confirment que l’émir finançait la «charity-business» d’Ennahdha lors de sa campagne électorale pour acheter les voix des petites gens. Et ce, depuis le retour de son chef en Tunisie.
Est-ce à dire que la campagne électorale qui s’annonce sera entachée elle aussi par les largesses de l’émir du Qatar, qu’Ennahdha, «officiellement» cette fois-ci, distribuerait au nom de l’émir ? Car selon cet accord, cela augure d’une action gouvernementale caritative qui sera organisée par Ennahdha au bénéfice d’Ennahdha.
Voilà comment on habille habilement de charité, des actes de pure propagande financée par l’étranger pour «acheter» les voix des bénéficiaires ! Deux actions totalement illégales.
C’est à l’opposition de dénoncer ces pratiques illégales et hypocrites mais qui perturbent gravement le jeu démocratique.
Rien n’empêche l’émir du Qatar de donner directement aux associations civiles tunisiennes telles que le Croissant rouge par exemple... ainsi il ne pourra être suspecté de financer et de soutenir un parti au pouvoir provisoire mais qui prépare sa campagne électorale pour les prochains scrutins.
Le rôle de la société civile est supplétif de l’action du gouvernement : elle le contrôle et pallie à ses manquements. Elle constitue un des piliers de la démocratie. Pour cela elle doit rester indépendante du pouvoir central. Ce que certaines associations ont voulu expliquer aux Tunisiens pour les faire adhérer à leur association et lui donner plus de poids.
Or beaucoup d’associations déplorent que les Tunisiens aient relégué au second plan l'idée d'une révolution politique, privilégiant la mise en avant d’une révolution sociale et économique. Ce constat, elles le font sur le terrain lors des réunions d'information auxquelles elles participent, sur le rôle de la société civile dans une démocratie.
Pour plus de carté et d’efficacité
Selon certains responsables d’associations, les participants ne viennent que pour soumettre leurs problèmes personnels, alors qu’ils espéraient leur inculquer plus de civisme et de responsabilité civique. Devant le flop, ils conseillent à ces personnes de s’adresser à des associations traitant de leur problème spécifique, sinon de se constituer en association civile pour faire «remonter» leurs revendications aux autorités compétentes de l’Etat.
Cela expliquerait-il la pléthore d’associations civiles que nous avons vu naître dans la Tunisie d'après le 14 janvier ; et qui dépasserait les 9700 associations !? Dommage.
Les Tunisiens reproduisent la même erreur que les hommes politiques quand, chacun voulant son parti personnel, on en est arrivé à dénombrer plus de 112 partis... pour un pays de 10,5 millions d’habitants.
J’espère qu’après l’euphorie libératrice de la parole et de l’action, les Tunisiens se ressaisiront pour devenir plus responsables et plus citoyens, en sacrifiant leur individualisme pour plus de civisme. Et que tous ces partis et toutes ces associations fusionnent quand la couleur politique ou l’action civique des uns et des autres sont proches, voir les mêmes. Cela gagnerait en clarté et surtout en efficacité.
Mais il est vrai aussi qu’il faut absolument que le pouvoir commence à travailler sérieusement sur le problème du chômage, de la pauvreté et de la disparité des ressources entre les régions.
Les partis qui aspirent à l’alternance ne doivent pas oublier que les problèmes économiques sont la première préoccupation des Tunisiens et particulièrement des milieux défavorisés. A bon entendeur…