Saura-t-on un jour les raisons qui ont rendu si urgent le limogeage du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (Bct) par le président de la république provisoire?


Une mise à l’écart non fondée sur des arguments clairs

Mustapha Kamel Nabli, pour sa part, estime la décision de sa mise à l’écart prise par Moncef Marzouki «n’est pas fondée sur des arguments clairs et convaincants», infirmant «l’existence d’un quelconque problème personnel avec le président de la république», qu’il n’a d’ailleurs jamais rencontré. Et ce n’est pas faute d’avoir sollicité cette rencontre, au moins à deux reprises, en mars et en mai, pour lui présenter des rapports sur l’état des équilibres financiers dans le pays. M. Nabli attend, d’ailleurs, la fixation d’un rendez-vous pour une audience au cours de laquelle il présentera au président de la république le rapport annuel de la Bct de l’année 2011, comme le veut une tradition remontant à la création de la banque en 1958.

M. Nabli, qui parlait au cours d’une conférence de presse, vendredi, au siège de la Bct, à Tunis, préfère éviter les questions personnelles et situer la décision de son limogeage annoncé d’«un point de vue institutionnel». «Si l’aspect personnel ou le poste en soi prévalait dans cette affaire, j’aurais présenté ma démission depuis longtemps, ce qui compte le plus pour moi c’est l’intérêt de la Tunisie et le succès de la transition démocratique», a-t-il ainsi expliqué.

M. Nabli a estimé que la décision présidentielle le concernant n’a pas été justifiée ni fondée sur des raisons clairement exprimées. C’est une décision «unilatérale», prise avant même la consultation préalable de l’Assemblée nationale constituante (Anc). Celle-ci est, d’ailleurs, en train d’examiner la question. Dominée qu’elle est par la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir,  elle ne risque pas de donner un avis contraire.

La confiance dans les institutions est nécessaire à la relance de l’économie

«Cette décision a engagé la Bct, malgré elle, dans des tiraillements politiques,  alors que l’article 26 de la loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics, relatif à l’indépendance de la banque, indique clairement les conditions de la nomination et du limogeage du premier responsable de la Btc», a expliqué M. Nabli, qui ne cache pas sa frustration. D’autant que «le gouvernement n’a pas pris une décision claire au sujet du limogeage et a préféré transférer la décision présidentielle à l’Anc», alors que les quelques points de divergence entre la Bct et le gouvernement ont pu être dépassés grâce au dialogue.

Le gouverneur de la Bct avoue, par ailleurs, en quoi les positions prises par la Bct et le contenu de ses communiqués ont-ils pu «perturber le travail du gouvernement», comme cela avait été dit et écrit. «Le travail de la Bct consiste à analyser la situation économique et financière dans le pays afin d’éclairer l’opinion publique et de justifier les décisions qu’elle prend», a-t-il précisé, tout en précisant que la divergence des points de vues constitue un facteur «d’enrichissement». Elle ne devrait pas entamer le climat de confiance qui doit régner au sein des institutions de l’Etat, car sans cette confiance, l’économie ne saurait être relancée sur une base solide.

D’ailleurs, a-t-il expliqué, les bailleurs de fonds et les investisseurs étrangers accordent un grand intérêt à la confiance qu’inspirent les institutions en général et les institutions financières en particulier.

Les dossiers de corruption présentés à la Cour des comptes

Répondant à la critique, lancée par certains médias, selon laquelle la Bct aurait dissimulé des dossiers de corruption, M. Nabli a indiqué que ces accusations sont infondées et que tous les dossiers découverts et instruits par ses services ont été présentés à la justice, ajoutant que «toutes les parties impliquées dans la publication de ces accusations seront poursuivies».

S’agissant de la question du financement des partis au cours des élections d’octobre 2011, M. Nabli a déclaré que «la Bct a présenté à la Cour des comptes toutes les informations qui lui sont parvenues à ce sujet et c’est à elle de rendre son rapport à ce sujet».

«Je n’ai pas de problèmes d’être l’ami de l’homme d’affaires Kamel Letaïef tant que ce dernier n’a pas commis d’actes illégaux», a, par ailleurs, affirmé le gouverneur de la Bct, en réponse à une question relative à ce sujet, et qui laissait entendre que la relation de Nabli avec cet «homme de l’ombre et faiseur de rois» a peut-être inspiré la suspicion que nourrissent le gouvernement et la présidence de la république à son égard. Et il y a sans doute beaucoup de vérité dans cette analyse, tant la «troïka» semble incapable de produire la moindre raison tangible pouvant justifier sa décision de limoger un homme dont la compétence dans le domaine financier n’a d’égal que l’indépendance

M. Nabli a, par ailleurs, souligné que, malgré les pressions morales dont il fait l’objet depuis plusieurs semaines avec la chronique de son limogeage annoncé par voie de médias, il refuse de présenter lui-même sa démission, et pour deux raisons. La première, c’est qu'il n'existe pas de causes objectives qui le pousseraient à le faire (incapacité physique ou grave manquement professionnel). La deuxième raison est liée au timing. «Le fait de présenter ma démission sous la pression politique constitue un facteur déstabilisant par la Bct», a-t-il soutenu, rappelant, au passage, qu’en cas de non adoption par l’Anc de la décision relative à sa révocation (ce qui est très peu probable, Ndlr), il restera à son poste, auquel il a d’ailleurs été nommé après la révolution, et pour une période de 6 ans, conformément à la loi, qui vise la préservation de la fonction du gouverneur de la banque centrale.

I. B. (avec Tap)