«La croissance est en panne, ce qui se traduit par des difficultés en matière d’investissement et par conséquence de création d’emplois», constate Khalil Ghariani, membre du conseil d’administration de l’Utica.
M. Ghariani, interviewé par l’agence Tap, évoque, aussi le «problème de l’inflation» (estimée à 5,6 depuis le début de l’année, un taux jamais atteint dans le pays, Ndlr).
L’attentisme de l’investisseur national et étranger
Cette situation résulte d’un paysage politique dont les contours ne sont pas clairs, souligne le responsable du patronat en charge des négociations sociales. Il
Explique: «L’agenda politique n’est pas défini, ce qui a créé l’attentisme chez l’investisseur national et étranger. Cet attentisme s’est répercuté négativement sur l’économie», a estimé M. Ghariani. Qui ajoute: «Il n’y a pas de clarté dans les mesures, ni dans la politique menée par le gouvernement à court, moyen et long termes. La politique politicienne est privilégiée, au détriment de l’économique et du social, qui ne semblent pas être au cœur des préoccupations».
«Il faut établir une réelle concertation sur les politiques économiques entre toutes les parties prenantes Utica-Ugtt-gouvernement... et, partant, susciter la responsabilisation par la participation», explique encore le membre du conseil d’administration de l’Utica. «Nous ne pouvons demander à l’employeur de créer des emplois, de la croissance, d’exporter..., sans l’impliquer dans les consultations sur la réforme économique ni le faire réellement participer au débat national», déplore-t-il. Et d’ajouter: «Aucun débat national sur l’avenir du pays ne peut être viable, en l’absence de l’entreprise, structure de base de l’économie. D’autant que l’Utica, représentante légitime du patronat tunisien et organisation apolitique, a beaucoup de potentiel, qui est malheureusement occulté».
Hausse excessive des charges de l’entreprise
M. Ghariani évoque aussi «l’augmentation en cascade des charges de l’entreprise» avec les hausses successives des prix des hydrocarbures et de l’électricité (+ 8% pour les entreprises) ainsi les demandes d’augmentations salariales.
Les secteurs qui rencontrent le plus de difficultés, aujourd’hui, sont, d’après lui, ceux du cuir et chaussures et du transport.
Face à cette situation, l’Utica demande «la paix sociale, la levée des obstacles administratifs et financiers entravant l’entreprise et l’assainissement du secteur bancaire».
Pour M. Ghariani, «il n’y a pas de signal encourageant pour les Pme, pour les aider à sortir de la crise. Même s’il y a une volonté déclarée d’assainir l’environnement de l’entreprise, le ministère des Finances n’a pas encore mis en place de plan efficace, issu d’une concertation, pour la réalisation de cet objectif».
«Vision Utica à l’horizon 2020»
La centrale patronale prépare un programme de réforme économique, «Vision Utica à l’horizon 2020», qu’elle va présenter bientôt. Il porte sur tous les grands chantiers: investissement, financement de l’entreprise, protection sociale, exportations, logistique...
Ce travail a été réalisé par les structures professionnelles de l’Utica, avec un apport académique de plusieurs universitaires.
Pour M. Ghariani, «le patronat tunisien, c’est une majorité de Pme et non des hommes d’affaires véreux», soulignant l’impératif de «valoriser l’image des employeurs et des entrepreneurs». Il appelle pour cela à «accélérer le traitement des dossiers des hommes d’affaires qui sont, au demeurant, des justiciables comme les autres tunisiens, et à les clore pour lever l’interdiction de voyager, frappant plusieurs patrons».
Le responsable de l’Utica déclare avoir été «surpris de voir qu’une même liste des personnes impliquées dans les affaires englober les Ben Ali, les familles qui leurs sont alliées, notamment les Trabelsi, d’anciens ministres et gouverneurs et quelques hommes d’affaires.»
Ouvrir le dossier du pouvoir d’achat
«Le dossier des augmentations salariales est en pleine discussion alors que la croissance est en panne et que l’on enregistre même des décroissances sectorielles», relève, par ailleurs, le président de la commission sociale de l’Utica.
L’Utica demande, «l’ouverture du dossier du pouvoir d’achat, lequel est composé des salaires et des prix, surtout que les augmentations successives des salaires et des prix, créent une spirale inflationniste. L’inflation dépasse même, l’augmentation salariale», selon M. Ghariani. Qui explique: «Le prix est composé du coût de production, de la marge bénéficiaire de l’entreprise et de la fiscalité (Tva). Or, nous ne maîtrisons pas le coût de production, étant donné qu’il n’y a pas assez d’intégration économique».
Pour aider à remédier à ce problème, il faut, selon lui, «identifier certaines activités qui peuvent être intégrées pour limiter les importations des matières premières et des composants, dans le textile, l’électrique et électronique, l’agroalimentaire». «Il s’agit d’assurer une plus grande intégration de l’industrie nationale, à travers de grands groupes tunisiens, en encourageant les secteurs à forte valeur ajoutée et intégrables», ajoute M. Ghariani. C’est là, selon lui, «un nouveau créneau d’investissement, permettant d’accroître l’intégration économique, de créer plus de valeur ajoutée et de se préparer à une convertibilité du dinar qui se traduira, de fait, par une dévaluation de la monnaie nationale».
Cela dit, le patronat est prêt à «poursuivre les négociations pour rechercher un équilibre entre croissance de l’activité de l’entreprise, inflation et augmentation salariale, car, en cas de déséquilibre, les augmentations des salaires peuvent avoir un impact négatif sur la création d’emplois», avertit M. Ghariani.
Toujours dans ce même souci d’équilibre, «il importe d’ouvrir le dossier de la fiscalité pour repenser l’imposition de l’entreprise et des salariés». Il importe également d’harmoniser les grandes lignes de la politique salariale (entre public et privé), en tenant compte des spécificités des secteurs.
Autre sujet important : la fiabilité des statistiques nationales. La centrale patronale avait demandé, dès le 30 octobre 2011, après les élections, aux trois principaux partis élus, de garantir l'indépendance de l’Institut national de la statistique (Ins) et de la Banque centrale de Tunisie (Bct), rappelle, à ce propos, M. Ghariani.
I. B. (avec Tap).