Qui a dit que le gouvernement provisoire ne fait pas grande chose, se contentant de faire tourner les dossiers et de renvoyer les décisions importantes aux calendes grecques ?

Les mauvaises langues reprochent souvent au Premier ministre Béji Caïd Essebsi et à son équipe de vaquer au plus urgent et de ne pas lancer de vrais chantiers engageant l’avenir du pays. Ce qui est un peu vrai. Mais dès que ce même gouvernement s’aventure un peu trop dans des réformes dans quelque secteur que ce soit, des voix s’élèvent aussitôt pour le renvoyer à sa «finitude».  Il est difficile de contenter quelques Tunisiens sans en offusquer du coup beaucoup d’autres. Que faire alors ? Gagner du temps, gagner du temps et gagner du temps, en attendant les élections de la Constituante, le 23 octobre. Car, officiellement, après cette date, l’actuel gouvernement devrait céder le témoin à un gouvernement élu ou gouvernement d’union nationale qui mènera le pays jusqu’aux prochaines élections présidentielle et législatives, probablement début 2013. A moins que…

Un plan d’urgence pour l’emploi

En attendant d’y voir plus clair, le Premier ministre du gouvernement provisoire a décidé d’envoyer un signe fort de sa volonté de céder le pouvoir le plus tôt possible. C’est ainsi qu’il a annoncé, lundi, qu’il va transmettre au prochain gouvernement une stratégie de développement économique et social pour la période 2012-2016. Ainsi, le prochain locataire du Palais de la Kasbah et son équipe, dont on imagine déjà la composition hétéroclite, pourront entrer immédiatement dans le vif du sujet. Ils n’auront pas à échafauder de nouveaux plans sur la comète, mais à mettre en œuvre celui déjà existant. Des plans «pré-cuisinés» en somme. A moins qu’ils ne veuillent faire leur propre cuisine…

Selon un communiqué de la cellule d’information du Premier ministère, dont la Tap a rendu compte, lundi, cette stratégie comporte un programme d’urgence visant l’intensification des créations d’emplois moyennant un recrutement exceptionnel de 30.000 jeunes dans le secteur public, le lancement de projets dans les Tics dans le cadre du partenariat public-privé, la promotion du développement régional à l’aide d’une enveloppe additionnelle du budget de l’Etat affectée aux régions de l’intérieur et l’impulsion de l’investissement privé.

Ces actions de court terme ont également pour objectifs de consolider les actions sociales pour améliorer les conditions de vies des habitants dans les régions défavorisées et d’améliorer les conditions sécuritaires qui constituent le garant de la redynamisation de l’activité économique.

Meilleure affectation des aides sociales

Il s’agit également de renforcer le cadre institutionnel, la transparence et la gestion administrative et financière et d’adopter une approche ciblée pour optimiser l’affectation des aides sociales.

Au chapitre du financement, le plan de financement extérieur à court terme vise à mobiliser des ressources financières d’origine publique et à décaissement rapide, tout en veillant à maintenir l’endettement de l’économie à un niveau acceptable.

Sur le moyen terme, la stratégie proposée par le gouvernement vise à élaborer un nouveau modèle de développement pour la Tunisie prônant la prospérité et la justice sociale.

Ce nouveau modèle tend, notamment, à rétablir la confiance par la transparence, la responsabilité sociale et la participation citoyenne, assurer la transition de l’économie tunisienne vers une économie innovante et à forte valeur ajoutée, encourager l’initiative privée,  renforcer l’intégration de l’économie à l’international, consacrer la justice sociale et l’égalité des chances, garantir un financement adéquat et viable du développement, en plus de la réhabilitation du service public et de l’action civile, sans omettre la préservation de l’environnement.

Un schéma de croissance

La stratégie de développement ambitionne, également, de réaliser une croissance moyenne de 6,3%, d’atteindre un revenu par tête d’habitant de 9.746 dinars et de créer 500.000 emplois additionnels dont 300.000 au profit des diplômés du supérieur, permettant, ainsi, de réduire le taux de chômage à 10,5% en 2016.

Le secteur public aura à sa charge la création de 100.000 emplois, essentiellement au cours de la période (2012-2014), en attendant l’accélération des créations d’emplois par le secteur privé.

Ces estimations sont appelées à croître, si les conditions d’une reprise plus rapide sont réunies. Le nombre d’emplois à créer pourrait, ainsi, atteindre 575.000 et le taux de chômage pourrait encore baisser de 2 points pour être ramené à 8,5%.

Le schéma comprend trois phases, urgence, transition et émergence.

1- Urgence : répondre aux besoins à court terme au cours des mois restants de 2011 et de l’année 2012, en termes de soutien aux régions et à l’emploi, d’appui aux entreprises et d’aide sociale et rétablir les équilibres économiques et financiers pour préparer la phase suivante.

2- Transition : reprendre un rythme de croissance supérieur à 5% tout en se rapprochant de 6% durant les années 2013 et 2014, à travers l’emploi d’un effort de rattrapage exceptionnel et l’engagement de réformes globales touchant les différents domaines politiques, économiques et sociaux.

3- Emergence : amorcer un processus de convergence avec les pays développés à partir de 2015, en ciblant des niveaux de croissance supérieurs à 7%.
Toutefois la réalisation de ces objectifs demeure tributaire de plusieurs facteurs, précise le communiqué.

Activités à fort contenu technologique

Il s’agit de l’augmentation de la part des activités à fort contenu technologique dans le Pib à 30% en 2016 et l’accroissement de la part des biens et services à forte valeur ajoutée dans les exportations à 50% à la même échéance.

L’accent sera mis également sur le doublement des exportations de biens et services pour atteindre environ 60 milliards de dinars en 2016, l’accroissement de leur contribution au Pib à plus de 40%, en plus du triplement des investissements étrangers pour atteindre un volume total de 21,9 milliards de dinars et représenter 5 pc du Pib en moyenne.

Une attention particulière sera accordée à l’investissement. L’enveloppe globale proposée s’élève à 125 milliards de dinars, dont 50 milliards au profit des zones de développement régional. Cette enveloppe sera répartie entre 50 milliards de dinars d’investissement public et 75 milliards de dinars d’investissement privé.

Les besoins de financement, indique le communiqué, sont estimés à environ 150 milliards de dinars.  Il s’agit donc de renforcer l’épargne nationale pour atteindre 25,8% du revenu national disponible brut en 2016 et couvrir 70% des besoins de financement au cours de la période (2012-2016).

Pour réaliser l’équilibre financier, le schéma de croissance suggère, également, de limiter le déficit budgétaire à 4% du Pib et le déficit courant à 5% du Pib en moyenne, les ramenant respectivement à 3 et 3,1% en 2016.

Maintenir la dette publique en-dessous de 40%

En dépit des pressions, ces actions permettront de maintenir la dette publique inférieure à 40% du Pib et la dette extérieure en deçà de 40% du revenu national disponible brut.

Sur le plan social, le schéma se propose d’améliorer l’Indice du développement humain (Idh) pour atteindre 0,733 en 2016 contre 0,683 en 2010, en assurant les attributs du progrès social à l’ensemble de la population, notamment dans les domaines couverts par l’Idh (santé, éducation et niveau de vie).

Les politiques nationales au cours de la prochaine période doivent être guidées par des principes d’action qui consistent notamment à faire de l’Etat le principal régulateur et catalyseur du développement dans le cadre d’une approche républicaine et démocratique, de la libre entreprise, le principal moteur du développement économique, de la liberté individuelle et de la justice sociale, les fondements du progrès.

Il en est de même de l’éducation, la culture et la santé qui doivent être érigées en biens sociaux indissociables du développement économique et social.

I. B. (avec Tap)