Des experts et économistes tunisiens estiment que le programme du nouveau gouvernement «part de bonnes intentions» mais manque «d’objectifs quantitatifs clairs et de mécanismes pour leur réalisation».
M. Hamadi Jebali avait annoncé, dans le programme de son gouvernement présenté jeudi à l’Assemblée nationale constituante (Anc), la création, en 2012, de 20.000 postes d’emploi dans le secteur public comme «contribution de l’Etat à l’effort pour la promotion de l’emploi». Il a évoqué, à ce sujet, les emplois qui seraient offerts notamment par la Libye, les pays du Golfe et l’Europe.
Le programme prévoit également de faire bénéficier de la prime mensuelle de 70 dinars 50.000 familles nécessiteuses supplémentaires, ce qui porterait le nombre global des familles bénéficiaires à 235.000.
Quel schéma de financement ?
Selon Mahmoud Ben Romdhane, enseignant de sciences économiques à l’Université de Tunis, cité par l’agence Tap, la question qui se pose actuellement est «comment financer les nouvelles mesures économiques et sociale décidées par le nouveau gouvernement et quel est leur impact sur les grands équilibres financiers et économiques du pays ?».
L’universitaire, qui est un membre dirigeant du parti de centre gauche Ettajdid, s’est interrogé aussi sur les «limites tolérables» du déficit du budget de l’Etat pour le gouvernement de Jebali et sur les méthodes de financement de ce déficit (endettement intérieur ou extérieur).
Le Nahdhaoui Noureddine Bhiri, ministre de la Justice dans le nouveau gouvernement, avait annoncé, auparavant, que le gouvernement projette de réaliser un taux de croissance de 5% en 2012 et de créer environ 400.000 emplois, deux chiffres que les économistes jugent trop ambitieux sinon irréalisables, eu égard à la situation actuelle en Tunisie.
Pour Moez Labidi, analyste financier, ces mesures demeurent «de simples promesses» en l’absence de visibilité concernant les méthodes et les mécanismes de financement. L’expert a mis en garde contre une «réaction négative» face à l’annonce de ces mesures de la part des milieux avisés de financement et d’affaires. L’actuelle phase transitoire nécessite, a-t-il dit, «la transmission de signaux clairs pour les investisseurs tunisiens et étrangers», faisant remarquer que le grand défi consiste en «le rétablissement de la confiance des Tunisiens et des hommes d’affaires et l’amélioration du climat d’affaires en général».
M. Laabidi a insisté, par ailleurs, sur «la nécessité d’engager, dans l’immédiat, les débats sur le budget de l’Etat et la loi des finances», pour garantir une meilleure visibilité. Il a suggéré, à ce propos, «la création de comités de réflexion regroupant des compétences indépendantes», dont la mission consistera à identifier des solutions pratiques pour promouvoir l’emploi et le développement régional et réformer les systèmes de l’éducation, de l’enseignement et de la formation.
Une marge de manœuvre très limitée
Un autre économiste, qui a requis l’anonymat, a indiqué, que la marge de manœuvre du gouvernement de Jebali est «très limitée», puisque le budget de l’Etat pour l’année 2012, présenté par le gouvernement de Beji Caid Essebsi, prévoit un déficit estimé à 6%, et ce, sur la base d’un ensemble de scénarios difficiles à traduire dans les faits. Il s’agit, notamment, de la réalisation d’un taux de croissance de 4,5% au cours de l’année 2012, du prélèvement de 4 jours des salaires et du rajustement des prix des hydrocarbures. Et d’ajouter que le recours au marché financier mondial et l’endettement à des coûts élevés constituent des solutions difficiles à adopter d’autant plus que la révision du rating de la Tunisie aura pour conséquence le doublement du coût de la dette.
Pourtant, le chef du nouveau gouvernement a estimé, dans son discours de jeudi, que les mesures «urgentes et vitales», figurant dans le programme 2012, sont à la portée de son équipe. Ces objectifs sont réalisables, car la politique du nouveau gouvernement va être axée, selon le Premier ministre, sur la «lutte contre la corruption et la garantie de l’indépendance et de la compétence des institutions de contrôle financier», ainsi que «l’approche de transparence et d’austérité qu’adoptera l’équipe gouvernementale».
On doit attendre la discussion du budget de l’Etat et de la Loi des finances 2012 à partir de lundi et les réaménagements qui vont y être apportés par la nouvelle équipe gouvernementale pour avoir une idée plus précise de la capacité de cette équipe à renverser la vapeur et à impulser de nouveau la machine économique.
I. B. (avec Tap).