Dans un entretien avec l’agence Tap, Mohamed Bichiou, directeur général de la Bourse des valeurs mobilières de Tunis (Bvmt), passe en revue les principaux axes de développement de cette institution qui tarde à décoller.


«La faible contribution de la Bvmt au financement de l’économie est imputable, en grande partie, à la qualité de l’environnement des affaires dans lequel elle évolue», a déclaré Mohamed Bichiou.

L'enjeu de la transparence financière

«Aujourd’hui, le marché financier exerce dans un environnement de concurrence déloyale, car la transparence financière, exigence édictée par la loi en vigueur, n’est pas systématiquement respectée par les autres institutions financières, en l’occurrence les banques», a-t-il soutenu.

Or, pour pouvoir lever des fonds en bourse, toute entreprise est obligée de publier un prospectus destiné à l’information du public et comportant des données sur son organisation, sa situation financière et surtout ses perspectives de développement (business plan), et ce, conformément à la loi 117-94 portant réorganisation du marché financier, a rappelé le responsable de la Bvmt.

«Même cotée, l’entreprise doit fournir périodiquement au marché financier ses états financiers audités», a-t-il précisé, avant d’ajouter que «les banques ont cette tendance à n’assurer aucun suivi de la situation des entreprises qu’elles financent. Elles se limitent, après l’octroi du prêt, à superviser les mouvements du compte bancaire de l’entreprise». Le résultat est prévisible : «Pour contourner la contrainte de la transparence exigée par la bourse, les entreprises en quête de financement vont s’orienter vers les banques qui sont peu regardantes sur cette exigence», ajoute M. Bichiou.

Au cours des années 2008, 2009 et 2010, la contribution de la bourse au financement de l’économie était en moyenne de l’ordre de 10%, avec une pointe de 12% en 2010, soit la plus forte contribution de la bourse enregistrée, depuis sa création, a affirmé le directeur général de la Bvmt. Cet élan semble donc avoir été stoppé par le ralentissement économique ayant suivi la révolution. Ainsi, en raison de la baisse des investissements et de l’arrêt de l’activité de certaines entreprises, la participation du marché financier au financement de l’investissement privé est redescendue à 5%.

Pouvoirs publics et dynamisation de la bourse

Selon le directeur général de la Bvmt, les pouvoirs publics ont un grand rôle à jouer en matière de dynamisation de la bourse et d’édification de la culture boursière. En effet, a-t-il expliqué, la composition sectorielle actuelle des entreprises cotées en bourse fait ressortir une quasi absence des secteurs stratégiques, tels que le transport, les mines et énergie, qui relèvent pour l’essentiel de la tutelle de l’Etat (entreprises étatiques et semi-étatiques).

Il a indiqué que l’introduction de ces entreprises publiques en bourse «requiert une volonté politique» et relevé que la cession au public d’une partie de la part de l’Etat dans le capital de ces entreprises ne peut être que bénéfique pour toutes les parties (Etat, entreprise, marché).

«En cédant une part de 5 ou 10% du capital de ces entreprises, l’Etat gardera toujours le contrôle de la société et conférera à sa participation plus de transparence dans la mesure où celle-ci serait directement supervisée par le marché (états financiers audités, communication financière périodique)».

L’ouverture au public sera également profitable à l’entreprise. M. Bichiou explique, à ce propos, qu’une fois cotée celle-ci pourrait non seulement renforcer ses ressources financières et financer ses investissements, mais également améliorer son image de marque tant au plan national que régional (elle sera plus connue si elle est cotée en bourse).

De même l’introduction des entreprises confisquées, actuellement gérées par l’Etat, nécessite une volonté politique pour accélérer leur processus d’introduction en bourse, a avancé M. Bichiou.

Le levier fiscal peut impulser l’introduction en bourse

Par ailleurs, le directeur général de la Bvmt estime que «le système fiscal actuel n’accomplit pas la mission qui lui est réellement impartie», recommandant, à ce propos, de réviser les incitations fiscales, notamment celles accordées aux entreprises qui décident de s’introduire en bourse et figurant dans la loi 99-92 du 17 août 1999 relative à la relance du marché financier.

En vertu de cette loi, le taux d’impôt sur les sociétés est réduit à 20% pour celles qui procèdent à l’admission de leurs actions ordinaires à la cote de la bourse, à condition que le taux d’ouverture du capital au public soit au moins égal à 30%, et ce, pendant cinq ans à partir de l’année d’admission. Ces incitations fiscales ont été renouvelées tous les cinq ans, depuis leur institution, a précisé M. Bichiou.

Le directeur général de la Bourse de Tunis a préconisé, à cet effet, de faire bénéficier les entreprises qui s’introduisent en bourse d’un abattement fiscal selon leur taux d’ouverture au public, «plus l’entreprise ouvre son capital au public moins elle paye d’impôts», et ce, dans le cadre d’un projet de loi.

Stratégie de développement du marché financier

Pour développer la culture boursière, la Bvmt lancera, à partir d’avril 2012, une campagne de promotion du marché financier. Cette campagne vise quatre cibles, selon M. Bichiou.

Première cible : toutes les entreprises potentiellement cotables y compris celles qui sont déjà inscrites à la cote. Dans cette finalité, l’action de la Bvmt s’articulera autour de trois actions :

1- la réactivation du Programme national pilote d’assistance au recours au marché financier (Pnar marché financier), qui est resté, jusqu’ici, lettre morte. Initié en 2007 par le ministère de l’Industrie et le Conseil du marché financier (Cmf), ce programme, qui touche les entreprises adhérentes au Programme de mise à niveau (Pmn), vise à renforcer les ressources financières de ces entreprises en mettant à leur disposition des experts chargés de les accompagner durant la phase d’introduction en bourse. Près de 60 entreprises ont bénéficié de ce programme ;

2- l’introduction en bourse des entreprises qui sont détenues majoritairement par les banques (publiques et privées) ;

3- l’approfondissement de la relation entre la bourse et les entreprises cotées.

Deuxième cible : les médias. Dans ce cadre, la Bvmt compte organiser des sessions de formation au profit d’une centaine de journalistes. Elles porteront notamment sur les méthodes d’analyse et de diffusion des informations financières et boursières, en vue de vulgariser la culture boursière auprès du grand public.

Troisième cible : les professions libérales. L’objectif est de promouvoir la bourse et de développer la demande sur le marché financier auprès de cette catégorie de la population, plus portée sur l’investissement dans l’immobilier. M. Bichiou a fait savoir que la bourse compte, dans un premier temps, créer une école de bourse, via son site web, au profit de cette cible, en attendant la préparation d’autres supports de communication.

Quatrième cible : les étudiants (toutes filières confondues), les lycéens et, très probablement aussi, les écoliers. Il s’agit de former au niveau de chaque pôle un club d’investisseurs qui auront à gérer virtuellement un portefeuille de titres et l’équipe gagnante représentera sa région dans le cadre d’un concours national qui sera organisé dans un second temps.

Parallèlement, il sera procédé au renforcement des qualifications des différents acteurs du marché (analystes, intermédiaires en bourse...) pour améliorer la qualité des services fournis à la clientèle, a conclu le directeur général de la Bourse.

Créée en 1969, la Bvmt compte actuellement 58 entreprises, dont 20 institutions opérant dans le secteur financier (11 banques, 5 sociétés de leasing, 4 compagnies d’assurance), avec une capitalisation représentant plus de 55% de la capitalisation totale.

En février 2012, la capitalisation boursière du marché (nombre des actions en circulation de l’ensemble des sociétés cotées multiplié par le prix du marché de leurs actions) a atteint 14,7 milliards de dinars avec un taux de participation étrangère de 20,5%.

Source : Tap.