Quinze mois après la révolution tunisienne, la vie est encore plus chère qu’avant, le chômage des jeunes atteint des sommets et nous ne sommes pas au bout du tunnel. C’est à se demander pourquoi cette révolution s’est elle déclenchée?
Par Moncef Chtourou
Les jeunes, qui ont fait la révolution et sacrifié, pour certains, leurs vies, se retrouvent toujours, dos au mur. Les chefs de famille ne savent plus où donner de la tête entre leurs enfants diplômés-chômeurs et la cherté de la vie, conjugués à une absence de solidarité populaire accentuant un sentiment partagé d’amertume et d’impuissance.
Rien, absolument rien n’a bougé durant ses quinze mois infructueux: aucun produit de première nécessité n’a vu son prix baisser depuis la révolution, si ce n’est de quelques dizaines de millimes, insignifiante baisse qui ne fait ni chaud ni froid.
Des histoires pour endormir le peuple
Mais pour contrecarrer les appréhensions légitimes des couches populaires qui ont souffert de la cherté de la vie, de la cherté du logement et de frustrations diverses relevant du besoin le plus élémentaire et le plus légitime, voilà qu’on les assomme avec des histoires abracadabrantes sur l’assemblée constituante et le futur du parlement tunisien. Sera-t-il un parlement monocaméral ou bicaméral? Aurons nous un régime parlementaire ou un régime présidentiel ou une variante des deux? Quels partis méritent les suffrages? Que peut (et doit) faire la société civile? Autant de questions sur des sujets, de prime abord, à mille lieu des préoccupations premières du Tunisien lambda.
Mais comment peut-on parler de démocratie quand le peuple est à ce point souffrant? L’immobilier, par exemple, devient un bien si inaccessible qu’un cadre diplômé du supérieur, gagnant bien sa vie, oserait à peine y penser, et quand bien même il y parviendrait à avoir un chez lui, il serait hypothéqué auprès de la banque jusqu’au dernier salaire précédant sa retraite. Alors quand il s’agit de tranches sociales moins payées, l’affaire devient beaucoup plus dramatique…
Les produits alimentaires, eux, sont un exemple édifiant. Depuis quelques années déjà, quand le désengagement de l’Etat a atteint des sommets jusqu’à devenir une démission au profit des élites (fortunées et pas intellectuelles), les couches populaires ont commencé à grogner, mais personne n’y prêtait attention se croyant assez à l’abri à cause d’un populisme d’Etat coupable et mal intentionné majoré d’un pacte social illusoire.
Seuls les riches ont le droit de manger à leur faim
Les jeunes Tunisiens sont sorti dans la rue et ont défié la dictature et son appareil sécuritaire pour demander une baisse du coût de la vie, devenu impossible à supporter, non pour demander une nouvelle constitution et d’y inscrire les règles de la chariâ, non pour appeler au port du niqab et à l’excision des femmes, et on ne sait quelles autres calamités.
Après la révolution, rien n’a changé, l’indice général des prix est en hausse exponentielle et les produits alimentaires sont d’un prix rédhibitoire. Apparemment dans l’ancienne, comme dans la nouvelle Tunisie, seuls les riches ont le droit de manger à leur faim.
Le salarié à 500 dinars par mois, père de famille et ayant 3 enfants peut-il prétendre acheter un litre de lait à un dinar et le kilo de viande rouge à 14? Le sucre, l’huile végétale ou d’olive, le poisson, etc., ne font pas exception non plus. Sont-ce, eux aussi, des produits destinés à des élites fortunées!
Quant aux médicaments et aux soins en général, nous voilà dépasser d’une bonne tête le système scandaleux des Etats-Unis d’Amérique. Incroyable mais vrai, en Tunisie, les médicaments sont hors de prix, l’intervention chirurgicale se chiffre à des milliers de dinars, alors qu’en Suède, par exemple, une intervention chirurgicale revient au citoyen à 20€, la voracité des établissements privés n’a pas de limite.
Glissement du dinar oblige, le prix des voitures a augmenté depuis la révolution. Déjà qu’il était déjà exorbitant avant. L’électricité, elle, est hors de prix. Le Tunisien moyen n’a pas les moyens de chauffer sa maison. Il passe l’hiver à grelotter de froid, à soigner les bronchites et les angines de ses enfants dans l’indifférence totale de la Steg, alors que l’électricité est un produit de première nécessité. Une Tunisie à deux vitesses est-elle toujours de rigueur? Riches contre pauvres, vieux contre jeunes! Où est la concorde nationale?
Curieusement, les tentatives d’évoquer le sujet sont timides. Quant au gouvernement, il crie au complot pour justifier son échec… La population est engloutie dans de nouveaux feuilletons politiques, dont elle n’avait pas l’habitude, aux épisodes plus rocambolesques les uns que les autres. La presse est divertie par le chloroforme de sujets montés de toutes pièces. De l’Assemblée constituante à la privatisation des médias nationaux en passant par le sort des hommes d’affaires interdits de voyager. Les partis politiques et les organisations de la société civile s’échinent à arracher une place au soleil dans la mosaïque politique incohérente qui est la notre aujourd’hui. Et aux problèmes de toutes sortes de pulluler.
Gare à la «république des copains»!
Quinze mois après la révolution, rien ne change, la vie est plus chère, l’incompréhension et la nonchalance des élites envers les couches populaires sont toujours de rigueur. A chaque épisode, voilà ces élites du gouvernement et des cercles gravitant autour qui montent au créneau pour ajouter des diversions aux diversions: assemblée constituante, deuxième république et puis les terroristes venus de pays étrangers…; tout est bon pour nous éloigner du noyau dur du sujet. Et la population qui tombe parfaitement dans le piège. Reste qu’elle commence maintenant à se ressaisir, ayant découvert le pot aux roses.
La diversion politique est une manœuvre tactique qui existe depuis la nuit des temps, et qui consiste à créer, par voie de propagande, un problème artificiel, plus médiatisé que le vrai problème, pour détourner l’attention des gens.
Les vrais problèmes pour lesquels la jeunesse de ce pays s’est insurgée ce sont la cherté de la vie et le chômage. Et plus généralement la démission de l’Etat et l’enterrement de l’Etat-Providence, l’abandon de la majorité écrasante de la population à son sort, au profit d’une minorité faisant ses petites affaires en cercle fermé, trahissant, au passage, l’intérêt général de la population, une coterie de privilégiés assez justement qualifiée par un journaliste de la place de «république des copains».
Or, dans un petit pays comme la Tunisie, l’hyper libéralisme et le capitalisme sauvage ne peuvent réussir; il faudrait absolument revenir à un modèle économique plus humaniste et «remettre» l’Etat providence «au travail».
Voici que chaque semaine, on assiste à la montée d’un nouveau thème de diversion: la faculté de Manouba, l’affaire du drapeau, le port du niqab et les safiret, les agressions des manifestants le 9 avril 2012, la privatisation de la télévision nationale… Or, quinze mois après, on constate avec amertume l’échec de notre révolution
A l’évidence, la baisse des prix des produits alimentaires et du logement devient une nécessité impérieuse si nous voulons assurer un semblant de vie décente à nos concitoyens. Les salaires sont ridicules et s’apparentent plus à de l’argent de poche qu’à une rémunération effective. Comment faire opposition entre un salaire à 500 dinars net/mois et le prix d’un logement, fut-il social? Sérieusement, comment un père de famille, payé à 500 dinars/mois, peut-il acquérir un logement? Le pouvoir d’achat du citoyen a été tellement grignoté qu’il n’est plus en mesure d’honorer ses moindres engagements.
Les caisses de l’Etat sont vides, nous rétorque-t-on. Ce leitmotiv n’est guère convaincant car non conforme à la réalité. Il est grand temps de se défaire de cette mentalité du plus royaliste que le roi qui ne sert que les intérêts de l’étranger et de faire passer les intérêts du pays avant ceux des multinationales et que nos ambitions soient à la mesure de nos moyens.