Un rappeur opposé à l’émancipation féminine s’attaque, nommément, dans l’une de ses chansons, à des artistes et des intellectuels qu’il juge trop libéraux? Où finit la libre d’expression et où commence la diffamation? Le tribunal tranchera…
L’affaire a commencé lorsqu’un obscur rappeur, Mohamed Jendoubi, alias Psyco.M., a écrit une chanson intitulée ‘‘Manipulation’’, où il s’en prend nommément à des intellectuels et des artistes, qu’il accuse de s’être éloignés de la voie de l’islam. La vidéo de la chanson mise sur sa page Facebook provoque un buzz monstre. Les commentaires sur le réseau social dépassent le cadre de la simple expression d’opinion. Des facebookers lancent des menaces de mort à l’encontre des artistes et des intellectuels nommés dans la chanson, notamment le cinéaste Nouri Bouzid, l’écrivain et universitaire Olfa Youssef, la comédienne Sawssen Malalej et le mannequin Rym El Banna. Des photos et des vidéos de ces derniers sont diffusées sur Facebook, les montrant dans des postures jugées répréhensibles (en train de boire du vin, par exemple).
Le rappeur dresse sa black-list
Les black-listés sont terrifiés par l’ampleur du mouvement de haine déclenché par la chanson. Leur vie privée est étalée sur la Toile. Bientôt, c’est toute la scène artistique et intellectuelle qui s’émeut de la tournure inquiétante prise par l’affaire. Un comité de soutien aux artistes et intellectuels attaquées est constitué. Une avocate, Me Bochra Belhaj Hamida, est appelée à la rescousse. Vendredi dernier, une plainte allait être déposée au tribunal pour diffamation contre le rappeur déclencheur de la tempête.
Dans une dernière tentative visant à éviter le recours au tribunal, Wajdi, le rappeur du groupe Mascott, propose de réconcilier les deux parties. Tout ce beau monde se retrouve donc samedi à l’Espace El Teatro, à El Mechtel.
Sawsen Maalej, Me Bochra Belhaj Hamida et Mohamed Jendoubi
Les longs conciliabules n’apportent rien de nouveau, chacun campant sur ses positions. Sawen Maalej et les autres black-listés exigent du rappeur qu’il présente des excuses publiques et retire la vidéo de la chanson de sa page Facebook, de manière à réparer le mal qu’il a fait.
«La justice dira son mot !»
L’auteur des faits, Psyco.M., qui est venu lui aussi accompagné de son avocate et des membres de son groupe, ne l’entend pas de cette oreille. Il oppose un refus catégorique, invoquant la liberté d’expression. «Je n’ai fait qu’exprimer la voix de la société», dit-il. «Quant aux photos et vidéos balancées sur le réseau social par les facebookers, je n’en assume pas la responsabilité», argumente-t-il.
A la vérité, la chanson incriminée l’a fait passer de l’ombre à la lumière: de rappeur quasi-anonyme, n’est-il pas devenu, à la faveur d’un buzz, une célébrité comptant des milliers de fans? «Je représente la société et il n’est pas question de décevoir les milliers d’amis qui m’ont fait confiance. Je ne peux pas être contre eux et encore moins contre mes convictions. Notre société est musulmane, et en tant qu’artiste, je suis le porte-parole de cette société. Je m’exprime en son nom et je dois continuer, c’est mon droit et mon devoir…», argumente-t-il. Tout un programme. C’est à se demander s’il n’a pas l’attention de se présenter à une prochaine élection…
Il ne fallait pas tant pour que Sawssen Maâlej, son avocate et ses amis mettent fin à un dialogue de sourds qui ont dégénéré en un prêche fondamentaliste. «La justice dira son mot !», lance alors Me Ben Hmida.
Y. M.