
Pour son premier meeting, organisé samedi au Palais des Congrès de Tunis, Afek Tounès, un parti nouvellement créé, a drainé la foule. Un petit poucet qui joue déjà dans la cour des grands.
Avec un programme sur mesure pour une Tunisie ouverte et moderniste, mais attachée à son identité de toujours, Afek Tounes fera peut-être bientôt de l’ombre à ses aînés. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.
Pour un parti né au lendemain de la révolution (le 15 janvier exactement) et encore peu connu de la scène, il y a eu vraiment du monde. Il fallait vraiment voir pour y croire. Le Palais des Congrès était plein à craquer et tous les présents écoutaient religieusement un discours qui, a priori, ne se démarque pas beaucoup de celui des cinquante autres en ce qui concerne l’élection de l’assemblée constituante, du développement régional et de certaines questions de société. Mais qui avance des idées réellement novatrices en soulignant le rôle de l’économie en tant que principal pilier du développement, de la prospérité et du progrès.
Une scénographie à l'américaine
Concernant les rapports de la religion et de l’Etat, Afek Tounes tient à dissocier la politique des convictions personnelles de l’individu, et particulièrement sa foi, selon l’un des fondateurs du parti, Emna Menif, porte-parole, professeur en radiologie de son état.
Un sang nouveau, de la fraîcheur et beaucoup de réalisme
Zeïneb Ben Romdhane, lycéenne de 18 ans, est venue s’informer. Elle ignore jusque-là, tout sur la politique. «Puisque je tiens à voter en juillet prochain, il m’est important d’écouter les uns et les autres. Ce que j’ai entendu n’est pas mal et pourrait répondre à mes attentes... Je vais voir», a-t-elle confié à Kapitalis. Plus décidés que Zeïneb, Montassar et Ikbal, deux étudiants aux Beaux-Arts, n’ont pas arrêté d’applaudir les militants de Afek Tounes. «Je sens le sérieux de ce groupe. Il y a un sang nouveau, de la fraîcheur et beaucoup de réalisme. Ces gens sont intelligents et ont les pieds sur terre. Je crois que ce programme est fait sur mesure pour la Tunisie plurielle toutes classes confondues et ça me convient», nous confie Montassar. Il semble avoir déjà identifié sa famille politique.
Emna Menif au centre une étoile qui monte
Faute de place, beaucoup ont suivi les discours à l’extérieur, à partir des postes de télé géants accrochés à l’entrée, au milieu des trois stands qui proposaient les cartes d’adhérents. Pour ceux qui se sont déplacés avec leurs enfants, pas de problème. Le parti a pensé presque à tout. Au bonheur des petits choux, une tente a été réservée à côté de la buvette, avec animateur, de la musique et du chant jusqu’à 16 heures. C’est-à-dire la fin du meeting.
Dans le hall, ça grouille. Des cinéastes, des hommes de théâtre, de jeunes musiciens cherchent encore leur voie. «Je ne sais pas encore. Je dois écouter les uns et les autres. Tous sacrifient à l’émotionnel et n’ont pas encore posé de vrais problèmes. Mais je suis contre les gens d’Ennahdha et ceux de la gauche, deux partis extrémistes qui s’allient, c’est vraiment la dernière. C’est une monstruosité… Ce n’est pas ça notre Tunisie», philosophe l’homme de théâtre Mohamed Kouka.
L’économie est la clef de la dignité
«Nous vous remercierons de venir si nombreux. Nous savons que plusieurs parmi vous sont convaincus de notre programme; mais beaucoup aussi n’ont aucune idée sur ce que nous proposons. Après ce meeting, ils ne tarderont pas à se décider», a lancé l’un des fondateurs avant de céder la place à ses camarades.
Emna Menif , avec des petites phrases simples, rationnelles et réalistes, a mis en lumière le projet social du parti qu’elle représente. «Afek Tounes est constitué de compétences. Qui ne se contentent pas d’esquisser des programmes, mais sont décidées à les appliquer. Comme vous le saviez déjà, sans la justice sociale, sans la santé pour tous, sans l’enseignement, sans le logement décent, il n’y a pas de démocratie», a-t-elle souligné. Et d’ajouter que la démocratie est synonyme de liberté, de culture et d’éducation, qui vont de pair avec la bonne gouvernance, bien entre les mains des compétences ouvertes au dialogue. «Il faut trouver à la société tunisienne des solutions. La Tunisie n’a plus besoin d’effets d’annonce. On en a marre des paroles. Les Tunisiens ont toujours travaillé et donné à l’Etat. En revanche, ils n’ont rien reçu. Nos jeunes ont besoin de travailler et nous devons être à la hauteur du 14-Janvier qui nous a permis de relever la tête. Comment? Il faut travailler, construire des programmes dont l’économie est la solution et la clef pour retrouver la dignité», a-t-elle expliqué, définissant à grands traits l’image de la Tunisie de l’après 14-Janvier, telle que la voit son parti, un pays à la fois enraciné et ouvert sur le monde, mais surtout dynamique, créateur, novateur, prospère et juste.
Le Tunisien n’a pas besoin de tuteur de la foi
«La Tunisie est un pays arabo-musulman et nous n’avons pas besoin de tuteur pour nous guider. Notre pays a été et demeurera un pays de liberté, de dialogue, de tolérance et luttera toujours contre la discrimination raciale, ethnique ou religieuse», a insisté Mme Menif, en se référant à la Constitution du 1er juin 1959, qui appelle à un Etat libre, indépendant, souverain, dont la religion est l’islam et la langue l’arabe.
Les autres cadres du mouvement, qui se sont relayés à la tribune, ont tenu le même discours moderne et réaliste, en rupture totale avec les anciennes pratiques du régime déchu, comme la corruption politique et financière et l’exclusion et la marginalisation des régions. La liberté de la presse et l’indépendance de la magistrature ont été également parmi les grands thèmes du meeting.
Selon Afek Tounes, la Tunisie n’a pas de puits de pétrole, ni de gisements de diamants ni de mines d’or. Mais sa seule richesse réside dans la qualité de ses hommes et de ses femmes. «Pas de société sans civilisation ou culture. L’Etat a une obligation vis-à-vis des intellectuels, des artistes, des créateurs et tous les hommes de culture. Mais il n’a pas le droit d’imposer son diktat et tuer toute pensée différente et empêcher toute réforme. Non, l’Etat n’a pas le droit de tirer le pays 100 ans, voire plus, en arrière, et vers le bas», plaide un autre orateur, dont on n’a pas pu entendre le nom. Pour lui, les libertés individuelles ou publiques sont le mot d’ordre du progrès. Pas de place pour les réactionnaires, dit-il, dans une allusion limpide aux islamistes que tout le monde ici semble redouter. Les acquis du Code du statut personnel doivent être préservés et consolidés, insiste-t-il, comme pour mieux désigner les ennemis de l’émancipation féminine.
Pas de chèque en blanc à n’importe qui
A l’instar d’autres mouvements libéraux et progressistes, les membres d’Afek Tounes plaident pour un pacte républicain qui définirait les principales orientations de la nouvelle constitution, un texte qui engagerait définitivement les Tunisiens. «S’il y a quelque chose à rectifier, c’est via un referendum et aucun n’a le droit de toucher un seul mot ou une seule virgule de la nouvelle constitution. Car elle est (et doit être) au-dessus de tout le monde», dit un orateur. Il enchaîne: «Puis personne n’a un chèque en blanc pour avoir le bras long. Nous insistons pour que chaque membre du gouvernement déclare ses biens avant et après son mandat».
De jeunes militants hyper motivés
Quelle est la forme du régime qui convient le mieux à la Tunisie? Les membres du jeune parti préconisent une judicieuse combinaison entre les régimes parlementaire et présidentiel. Mais il laisse à l’assemblée constituante le soin d’élaborer le projet de la nouvelle constitution, qui devra être soumis à un référendum populaire… le 14 janvier 2012, date symbolique d’une renaissance républicaine.
Le premier contact d'Afek Tounès avec le public semble avoir porté ses fruits. Les présents ont été séduits par la force de proposition de ces hauts cadres, fins technocrates dotés d’un sens aigu de l’action politique, et qui tiennent à mettre la machine de production et de distribution des richesses économiques au cœur de l’action publique. Car, soulignent-ils, sans un climat économique et social propice à l’investissement et à la production, il n’y aura pas d’emplois, et sans création d’emplois il n’y aura pas de prospérité, et sans une prospérité partagée, il serait difficile de garantir la stabilité politique.
Autant dire que pour ces socio-libéraux, qui semblent vouloir faire campagne au centre, l’urgence, aujourd’hui, impose de conforter la confiance des investisseurs, nationaux et étrangers, pour relancer la machine économique et, ainsi, améliorer le niveau de vie des citoyens, donner une égalité des chances et surtout booster le développement dans les régions qui étaient, des décennies durant, marginalisées et exclues. Une manière de dire aussi que, là où la politique divise, l’économie intègre et unit. Une vision qui semble avoir fait mouche, si l’on en juge par la satisfaction affichée par la majorité des présents.
Zohra Abid