Sur son deal avec Abdessalem Jerad et l’Ugtt, ses relations avec les ex-Rcd, le ministère de l’Intérieur, le général Rachid Ammar, et autres sujets encore entourés d’un grand mystère. Par Dr Rafik Mzali*
M. Béji Caid Essebsi ne nous dira jamais pourquoi, sitôt les rênes du pouvoir entre les mains, il a décidé de composer avec Abdessalem Jrad, le controversé secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt), allié de longue date (et de circonstance) du sinistre Zaba et pourquoi il a continué d’esquiver l’épineux problème de la police politique qui a maintenu le peuple tunisien sous le joug de la servitude, et par ricochet, a permis sa vampirisation par les clans satellites du pouvoir déchu.
Un deal secret avec l’Ugtt?
Pourtant, dès sa première allocution, lorsqu’il a martelé que seule la potence devait être la récompense de Zaba pour «sévices rendus», tout les Tunisiens ont vu en lui l’homme qui pouvait mener une politique en adéquation avec les idéaux de la révolution.Malheureusement, après le premier speech «coup de poing» qui a assis sa popularité, il a fourbi une légitimité qui n’était pas aussi évidente qu’il l’a laissé croire, oubliant que seule la révolution l’avait placée là ou il était, et s’est mis à agir en solo, donnant l’accolade aux Zaba algériens par ci, passant un deal secret avec la centrale syndicale par là et couvant discrètement les locataires du ministère de l’Intérieur.
Le peuple, pris par surprise et encore sous le charme du personnage, a laissé faire mais a éprouvé l’amère impression d’avoir été encore une fois infantilisé et mis sous tutelle.
Pourtant, M. Caïd Essebsi, auréolé de sa vista conquérante et porté par l’élan du 14 janvier, aurait pu pousser à la rénovation des instances dirigeantes de l’Ugtt en tant que vecteur principal de la concrétisation de la Tunisie nouvelle. Il aurait pu également agir pour que le Tunisien de la rue assiste au repentir des tortionnaires qui ont brisé des centaines d’hommes pour leurs idées.
M. Caïd Essebsi y a-t-il seulement songé? Ou a-t-il estimé par une lecture archaïque que la révolution pouvait se résumer au départ de Zaba et de sa famille? A-t-il estimé en ancien ministre de l’Intérieur qu’un appareil de police puissant et répressif restait toujours indispensable?
Deux vers dans le fruit
Est-il en train discrètement de pousser vers la sortie les durs de la police sans courroucer ceux qui vont rester pour garantir la sécurisation du pays?
A-t-il jugé que l’Ugtt allait toute seule se rénover par des élections et qu’il suffisait d’attendre ?
Ou a-t-il souhaité nettoyer police et syndicat, mais se sachant impuissant et bousculé par le temps, il n’a eu d’autre choix que de laisser ces bombes à retardement pour les futurs élus?
M. Caïd Essebsi a promis de laisser la Tunisie en août mieux qu’en mars. Peut être y aurait-il plus de sécurité et moins de chômeurs, mais, en laissant deux vers dans le fruit, la révolution serait tronquée.
Qu’est ce qui attend le gouvernement de la future Assemblée constituante? Va-t-elle pouvoir imposer le respect des droits de l’homme aux agents de l’Intérieur alors qu’ils ont agressé puis chassé l’ex-ministre Farhat Rajhi? Va-t-elle pouvoir mener des négociations avec une Ugtt d’un autre âge, habituée à défendre les salariés sans trop se préoccuper de leurs devoirs.
M. Caïd Essebsi ne nous dira pas s’il ne voulait pas ou s’il ne pouvait pas agir.
On le saura peu être dans une future autobiographie, qu’il ne pouvait pas s’imaginer un jour avoir à écrire et qu’on s’arrachera plus que la première, pour savoir enfin la vérité sur tout ce qui a été dit plus haut, sur ses rapports avec le général Rachid Ammar, les ex-Rcd et les dangers courus par la Tunisie lors des dernières convulsions de Kadhafi.
* Professeur en chirurgie digestive au Chu Habib Bourguiba de Sfax.