Du meeting populaire tenu samedi à Monastir (littoral centre-est), sous la férule de l'ex-Premier ministre Béji Caïd Essebsi, naîtra-t-il un front rassemblant des démocrates centristes et modernistes qui aidera à rééquilibrer la scène politique dans le pays ?
Par Zohra Abid
Dès la veille, des portraits géants du «zaïm» Bourguiba, l’enfant «chéri» de la région, ont été placardés partout, des banderoles, des drapeaux implantés dans les coins et recoins de la ville qui s’est faite toute belle, samedi 24 mars, pour accueillir un méga meeting, conduit par l’ex-Premier ministre Béji Caïd Essebsi, disciple de feu Habib Bourguiba et son ancien ministre de l’Intérieur, de la Défense, des Affaires étrangères.
L’«Appel de la nation»
Le jour J, des milliers de personnes ont investi, tôt, Monastir pour assister à l’«Appel de la nation», thème du meeting qui s’est donné pour objectif de rassembler les forces centristes dispersées, afin de réfléchir sur l’avenir du pays. Et, peut-être aussi, constituer un front du centre capable de peser face au parti islamiste Ennahdha lors des prochaines joutes électorales.
Sur les traces du Néo-Destour
Prévu à 15h30, le meeting n’a commencé que peu après 17heures, et s’est terminé une heure et demie après. Y ont participé plus de 50 partis et 500 associations.
A l’intérieur de la salle omnisports Mohamed Mzali, ancien Premier ministre, lui aussi originaire de Monastir, on a estimé le nombre de présents à 15.000 personnes. Faute de place, plus de 5.000 sont restées à l’extérieur suivant l’événement à travers un écran géant. Sur les banderoles, on lisait : «Nous sommes tous du centre. Le juste milieu est la solution» ; «Non à l’exclusion, nous avons un gros cœur» ; «La discorde hivernait, maudits ceux qui l’ont réveillée» ; «Ô drapeau, par notre âme et sang, nous nous scarifions pour toi»…
Des slogans et des youyous, un peu de poésie aussi et un Lotfi Bouchnak chantant pendant quelques minutes «Al Alam» (drapeau). Et, bien sûr, l’hymne national a résonné plus d’une fois lors de la manifestation. Puis on est passé à l’essentiel.
Par cette manifestation, les organisateurs ont voulu créer l’événement. Et, si possible, prendre un rendez-vous avec l’histoire. En pensant au congrès du 2 mars 1934 à Ksar Hellal (près de Monastir), qui a vu la naissance du Néo-Destour.
Il y a 78 ans, le rassemblement des nationalistes a enfanté le parti nationaliste du Néo-Destour sous la houlette de Habib Bourguiba, qui a conduit le mouvement national contre la colonisation, et sera, 21 ans après, le premier président de la République tunisienne.
Photos Slim Abid
Les petites phrases de la journée
«Béji Caïd Essebsi est un homme d’Etat qui rassemble toutes les forces politiques et fait l’unanimité», souligne un membre du parti Ettajdid, héritier du Parti communiste tunisien (centre gauche), ajoutant que l’ex-Premier ministre a toujours été l’homme fort de toutes les situations.
Le fondateur du Parti démocrate progressiste (Pdp), Nejib Chebbi, a déclaré, de son côté, que le gouvernement actuel est incapable de diriger l’Etat et qu’il était temps de réunir toutes les forces centristes pour constituer un front d’opposition.
Kamel Morjane, président du parti Al Moubadara (et ancien ministre des Affaires étrangères sous Ben Ali) a appelé à ce que tous les politiques se serrent les rangs et évitent tout conflit entre eux. Et que «l’intérêt de l’Etat soit au-dessus de tous les intérêts», a-t-il souligné.
Caïd Essebsi en casquette de capitaine
Entamant son discours par des versets coraniques et des hadiths du prophète, comme il aime toujours le faire, l’ancien Premier ministre qui était notamment entouré de Mustapha Filali, un destourien de son âge, a déclaré que la consécration de la démocratie est une responsabilité commune. Et qu’elle exige un élargissement de la représentation du gouvernement afin que le peuple puisse participer au succès de la démocratie.
Appelant sans cesse au dialogue national, l’ancien Premier ministre a prévenu de la discorde et de ses dangers. «Il faut appeler à un consensus et non à la ‘‘fitna’’ (discorde)», a-t-il martelé plus d’une fois. Et de lancer un appel au gouvernement afin qu’il s’ouvre au plus vite sur l’ensemble des sensibilités politiques et qu’il associe toutes les compétences nationales. Et ce n’est pas tout.
Il a exigé des membres de l’Assemblée nationale constituante (Anc), qui n’ont pas encore écrit une ligne de la nouvelle constitution, de se dépêcher à le faire, la lenteur pouvant constituer un danger pour la transition démocratique, et, surtout aussi, de commencer à s’organiser pour les élections prochaines en octobre 2013.
Un mot pour la mémoire et un autre pour la réconciliation
A l’occasion, M. Caïd Essebsi a tenu à rappeler l’accord conclu avec tous les acteurs politiques – avant les élections du 23 octobre – pour que les prochaines élections se déroulent dans un délai ne dépassant pas un an.
L’ancien Premier ministre a proposé, aussi, l’organisation d’un référendum sur l’article premier de la Constitution de 1959, qui souligne l’identité arabe et musulmane de l’Etat tunisien. Selon lui, le gouvernement actuel «est incapable de trancher cette question, en dépit de son engagement précédent à faire en sorte que cet article demeure le dénominateur commun entre tous les Tunisiens et que la Tunisie est un pays musulman et que sa langue est l’arabe».
M. Caïd Essebsi n’a pas, non plus, oublié de féliciter l’initiative prise par le président de la République Moncef Marzouki qui a appelé à la réconciliation entre Bourguibistes et Youssefistes. C’était, le mardi 20 mars, au palais de Carthage, à l’occasion de la célébration du 56e anniversaire de l’indépendance.
Le pays a, en effet, besoin aujourd’hui davantage de rassemblement que de division.