Débarqué à Tunis, en juillet 2010, le directeur de l'Institut français de Tunis (IFT), Valéry Freland, va bientôt retourner à Paris. Il évoque dans cet entretien trois années de coopération et d'action culturelle française en Tunisie.
Propos recueillis par Emmanuelle Houerbi
Kapitalis : La révolution tunisienne a eu lieu quelques mois après votre arrivée en Tunisie : comment vous êtes-vous adapté à cette nouvelle situation?
Valéry Freland: Je peux dire sans exagérer que l'IFT a fait sa propre révolution. Devant la soif de liberté des jeunes, des artistes et de la société dans son ensemble, et devant le foisonnement d'idées et de créativité, nous avons eu à cœur d'être au plus près des Tunisiens, partout dans le pays.
Personnellement, j'ai parcouru la Tunisie de long en large, ce qui m'a permis de me faire une idée plus précise des projets qui émergent en région, des attentes de la société civile ! Dans cette dynamique, nous avons lié des partenariats comme nous en avions trop peu connus par le passé, non plus seulement à Tunis et dans les grandes villes, mais aussi à Gafsa, au Kef, à Kelibia, Djerba, Kasserine, et j'en passe. Il est impossible de les citer tous ici, mais je vous assure que nous avons tout fait pour élargir nos horizons et nous approcher au plus près de la réalité du pays afin d'accompagner efficacement la période de transition démocratique que connaît la Tunisie.
Compétition de Breakdance organisée depuis juillet 2011 à l'Acropolium de Carthage.
Je tiens d'ailleurs ici à saluer l'accueil exceptionnel que nous avons reçu en régions, et l'engagement admirable de tous ces hommes et de ces femmes qui agissent au quotidien pour l'avenir du pays.
Quelles ont été vos priorités et les actions concrètes que vous avez menées?
Dans cette phase de transition, nous avons poursuivi trois objectifs principaux: l'appui à la société civile, le soutien à la construction de l'Etat de droit, et l'appui à la formation des Tunisiens.
Pour chacun de ces points, je pourrais vous citer des dizaines d'exemples, que vous pouvez retrouver sur le site de l'ambassade de France en Tunisie ou de l'IFT, puisque nous publions chaque année un bilan détaillé de nos activités.
Je peux toutefois vous évoquer des images fortes, comme le spectacle de breakdance organisé en juin 2011, avec des jeunes venus de toute la Tunisie et qui pour certains n'étaient jamais venus à Tunis! Ces danseurs de rue, que nous avons contribué à faire découvrir ont aujourd'hui un beau succès en Tunisie et à l'étranger, puisque l'association Art Solution, qui en est issue, a même été invitée à Genève le mois dernier pour danser devant le siège de l'Onu.
Forum jeunesse 2013 à Monastir.
Je pourrais aussi évoquer des partenariats qui me tiennent à cœur, comme celui mené avec l'association AID, qui a créé notamment un centre d'apprentissage au cœur de la cité Ettadhamen, destiné aux jeunes femmes. Permettre à des jeunes de se construire un avenir est la plus belle chose que l'on puisse faire pour ce pays.
De quoi êtes-vous le plus fier?
Tout d'abord, d'avoir innové dans beaucoup de domaines, et d'avoir réussi, avec mes équipes qui sont pleinement mobilisées depuis trois ans, à organiser avec nos partenaires associatifs des événements ambitieux comme les deux forums tuniso-français de la société civile de 2011 et 2012, ou le forum jeunesse d'avril dernier à Monastir. De tels événements, qui je l'espère ne seront pas les derniers, créent une dynamique incomparable, et les idées qui en ressortent sont inestimables.
Je pense par exemple à la création après le 1er forum tuniso-français de la maison des associations, du BAC, où des jeunes volontaires assistent les associations à Tunis et en région. Cette initiative inédite, ici comme ailleurs, fait beaucoup parler d'elle, et j'espère qu'elle fera bientôt des petits.
Sur le plan culturel, je suis fier que l'IFT ait permis de contribuer à la découverte de nombreux jeunes artistes, comme ces breakdancers, ou au soutien de jeunes talents, comme par exemple le photographe Wassim Ghozlani. Je suis fier aussi que les ateliers Sud-Ecriture de Dora Bouchoucha, que nous avons soutenus, aient permis à des documentaires comme ''Maudit soit le phosphate'' de Samy Tlili ou ''C'était mieux demain'' de Hinde Boujemaa de voir le jour avec le succès que l'on sait.
Enfin, pour l'anecdote, je suis fier des progrès que nous avons faits en termes de visibilité, grâce aux réseaux sociaux notamment, dans lesquels nous avons investi beaucoup de temps et d'efforts. 28.000 personnes nous suivent aujourd'hui sur FB, Twitter ou Dailymotion, ce qui n'est pas mal !
Visite de la ministre Yamina Benguigui au Centre d’apprentissage de l'association AID à Ettadhamen.
L'IFT a aussi pour mission de promouvoir les artistes français en Tunisie?
Bien entendu. Après Grand Corps malade en 2012, nous avons présenté cette année une représentation de la Comédie française et des concerts de musiciens exceptionnels, comme Gérard Caussé, Michel Dalberto ou Renaud Capuçon.
Depuis le 14 janvier, de tels événements s'étaient faits plus rares puisqu'ils représentent un investissement important et que nos efforts se concentraient surtout sur la Tunisie et la création locale. Mais nous nous devons aussi de promouvoir la culture française en Tunisie, tout en respectant deux principes fondamentaux : une absolue exigence de qualité et le soucis que ces spectacles soient donnés partout où cela est possible et qu'ils soient ouverts au plus grand nombre.
Pour la Comédie française, un tiers des places a été réservé à des jeunes de toute la Tunisie, pour lesquels nous avons organisé le transport par bus, et, pour les concerts, plus de 200 invitations ont été envoyées aux étudiants des instituts supérieurs de musique et des conservatoires.
Quels sont les prochains rendez-vous de l'IFT?
Concernant les prochains événements, je citerai le concert du groupe Tryo sur l'avenue Bourguiba, le 21 juin, à l'occasion de la fête de la musique, la troisième édition de la Route du cinéma au mois d'août dans 15 villes tunisiennes, et un concert de Dorsaf Hamdani en décembre, qui s'annonce magnifique puisqu'il réunira dans un même tour de chant les deux divas Fayrouz et Barbara.
Je regrette pour ma part déjà de ne pas y assister, ma mission se terminant cet été. Je continuerais toutefois à suivre de près l'évolution de la Tunisie, puisque je vais rejoindre la direction de la coopération culturelle, universitaire et de la recherche au Quai d'Orsay à Paris, le service qui pilote les efforts de tous nos centres culturels dans le monde.
Illustration: Valéry Freland, au centre, entouré de l'ambassadeur de France François Gouyette et de Murielle Mayette, administratrice générale de la Comédie Française.