Dans cette lettre à Raja Farhat, auteur, metteur en scène et interprète de ''Bourguiba, la dernière prison'' (1), l'ancien collaborateur de Bourguiba revient sur les souvenirs que cette pièce a évoqué chez lui.
Par Chedli Klibi*
Votre Bourguiba est saisissant de vérité. Vous avez restitué le personnage avec des détails inséparables de l'image que nous gardons de lui. La démarche, à petits pas, lents, souvent saccadés. Cette gestuelle unique – que la nostalgie rend aujourd'hui épique – qui précède la parole, comme pour l'accoucher. Cette élocution qui lui est propre, tantôt hardie, tantôt hésitante, parfois à dessein, mais toujours l'expression d'une personnalité hors pair. Puis, à travers tout cela, ce prodigieux coq à l'âne, ce discours, à la fois dirigé et anarchique, au gré des réminiscences d'un passé qui ne le quitte jamais.
Ces personnalités, convoquées comme pour un dernier face à face: De Gaulle, Nasser et bien d'autres.
Cette oasis enchantée qu'il évoque toujours avec des tressaillements d'aise: la visite d'Etat qu'il fut le premier à effectuer à Washington, après l'élection de JFK qui reçut HB avec des égards exceptionnels. Et la fierté de Bibi Jr d'avoir, comme ambassadeur, réussi ce coup de force qui mettait la Tunisie au pinacle.
Ces anciens collaborateurs – proches ou improbables – à qui H.B. semble encore donner ses instructions.
Ces apartés – qu'il réserve à son infirmière – et où fusent des émotions longtemps refoulées, ou des souvenirs qui remontent loin dans son passé de combattant suprême.
Bref un Bourguiba toujours debout, jamais à genoux – comme le destin l'y aura, un jour, cruellement, contraint, à son cœur défendant, mais trahi par «cette carcasse» – comme il aimait à dire – que la maladie et l'âge, ligués tous deux contre elle, ont fini par briser.
Cette résurrection de Bourguiba – pour un soir – était une magnifique prouesse. Le Bourguiba que nous aimions. Avant cette déchéance physique, source de beaucoup de nos maux.
Le Bourguiba adoré des foules et que ses adversaires haïssent encore, mais secrètement jalousent et admirent, se mettant à l'imiter dans ses moindres faits et gestes.
Merci, Raja Farhat, pour cette prestation inoubliable, ce bain de jouvence – ce qui est pour vous, je le sais, une sorte de catharsis libératrice, car vous ne manquez pas de raisons d'en vouloir à un homme que votre père avait combattu et dont il eut à souffrir.
Pour vos invités, cette séance d'évocation d'un passé qui leur est cher offre quelques instants de bonheur, car elle a le pouvoir d'exorciser certaines inquiétudes sur le devenir du pays, ou quelques interrogations, encore lancinantes sur le passé.
Merci, cher Raja, et trouvez ici le témoignage de mon amitié et de mon estime.
Carthage, juin 2013.
* Ecrivain, fondateur du ministère tunisien de la Culture et ancien secrétaire général de la Ligue des Etats arabes.
(1) La pièce est programmée, cet été (programme provisoire), le 30 juillet au Festival international de Hammamet, le 1er août au Festival international de Bizerte, 3 aoûtat festival international de Monsatir et le 4 août au Festival de Sousse.