L’Agence nationale pour la maîtrise de l’énergie (Anme) a présenté, jeudi, le projet britannique TuNur. L’auteur souligne, ici, les bénéfices que la Tunisie pourrait tirer de ce projet de production d’énergie verte.

Par Mohamed Habib Cheikh Khalifa*


Les produits de base importés par la Tunisie sont constitués principalement par les céréales, l’huile alimentaire et le sucre. Ces produits pèsent plus d’un milliard de dinars dans le déficit chronique de notre balance commerciale!

Ces denrées peuvent être produites localement. Pour se faire, la terre arable ne manque pas, mais ce qui manque c’est un apport hydrique substantiel afin d’augmenter significativement les rendements et d’éliminer les écarts de production inter-campagnes.

Une mue du pays tout entier

Les produits à 100% importés peuvent être produits aussi sur nos terres: maïs, soja et betterave-à-sucre dont les sous-produits sont très utiles: pulpe pour le bétail et mélasse pour la production de levure!

Ceci entrainerait une extension des terres cultivables régulièrement telle que la mise en culture des superficies arables du centre du pays et qui sont d’habitude mises en jachère lors des années sèches.

L’effet d’entrainement de leur production sur le développement socio-économique à l’échelle locale est incommensurable: plein-emploi des facteurs de production dans le secteur agricole et des industries alimentaires, repeuplement de nos campagnes, tarissement des sources de l’émigration clandestine vers l’Europe voisine, arrêt de l'avancé du désert... Il s’agit en fait d’une mue du pays tout entier!

Les besoins de ces apports d’eau sont déterminés par rapport à nos latitudes selon l’empreinte hydrique desdits produits, comme suit:

A- Amélioration des rendements  par une irrigation d’appoint :

Denrées Ÿ Eau nécessaire (a) Ÿ Q importée (1) Ÿ Apport hydrique (5)

Blé dur 2 550 m3/t                  440 000 t         1 122 Mm3

Blé tendre 2 250  m3/t              1 000 000 t         2 250 Mm3

Orge 3 810 m3/t                  430 000 t         2 020 Mm3

Sous-total grains 5 392 Mm3

Huile d’olive 43 800 m3/t                160 000 t(2) 7 008 Mm3

Apport hydrique au titre d’amélioration des rendements 12 400 Mm3

Un champ de panneaux solaires.

B- Nouvelles cultures par irrigation

DenréesŸ        Prod. locale en 1000 t(c)Ÿ / Eau, m3/ha(b) / ŸRdt/t/ha / ŸEmblavure (ha)Ÿ /Apport hydrique

Maïs 650                          5 750                    4                 162 500               934 Mm3

Soja(3) 330                          6 370                    3                  110 000              700 Mm3

Betterave à sucre(4) 2 450                         6 500                    4                  612 000              3 981Mm3

Apport pour les nouvelles cultures 884 500              4 615 Mm3

Besoins de notre agriculture en eau de sources non conventionnelles 17 015 Mm3

Ainsi pour atteindre l’autosuffisance alimentaire de notre pays pas moins de 17 Km3 d’apport hydrique supplémentaire et de source non conventionnelle sont nécessaires pour cultiver nos terres en vue de combler notre grenier. Cet apport peut être fourni par la technique de cogénération d’électricité verte et d’eau dessalée par les centrales à concentrateur solaire (Csp) à installer sur nos côtes en coopération avec la Communauté Européenne sur la base d’un échange équitable: eau versus électricité!

Ceci est devenu à portée de main à condition d’instaurer un partenariat gagnant/gagnant avec nos voisins de la rive nord. En effet, notre quête d’un tel apport d’eau n’a d’équivalent que la demande des pays européens en électricité verte.

C- Le projet TuNur pourra-t-il être mis à contribution?

Le processus de cogénération promu par Desertec est déjà au point, et s’il est adopté par TuNur, il peut nous fournir déjà 6 milliards de m3! En effet, selon T. Gropp, le directeur de la fondation allemande Desertec, promotrice du projet, «un Km² de désert sur lequel s’implante une centrale à concentration solaire (Csp) peut produire 250 million de KWh et 60 million de m3 d’eau dessalée par an».

Comme le projet nécessite 10.000 ha soit 100 km² de notre désert, il est donc possible à ce projet de se rapprocher des côtes, aux fins d’utilisation de l’eau de mer pour le refroidissement/dessalement. Il nous épargne ainsi l’usage annuel d’un million de m3 d’eau douce fossile, qu’il compte pomper de la nappe phréatique de son lieu d’implantation projeté: R’gim Maâtoug. Cette eau, si rare dans ces contrées désertiques assoiffées, est réservée à l’usage de la consommation humaine. Elle couvrira les besoins de pas moins de 50.000 de nos concitoyens!

Ainsi le projet nous ouvrira la voie royale vers la réalisation des objectifs économiques de la révolution: l’autosuffisance alimentaire! Il sera profitable aux deux protagonistes: notre pays en manque d’eau et l’Europe en manque d’énergie!

Aussi l’énergie produite portera le label vert à zéro émission de Co2. En effet, la production d’un KW dans les centrales à charbon, en Allemagne par exemple, entrainerait l’émission de 1 kg de Co2! Ces émissions évitées sont négociables, à 40 euros la tonne environ, dans une bourse spécialisée dans le cadre de l’accord de Kyoto. Et comme TuNur compte installer 2.000 MW de capacité de production, soit l’équivalent de deux centrales nucléaires, la récolte sera fructueuse: 17 millions de tonnes environ/an en version électricité seule et 25 millions en cogénération!

Compte tenu des besoins en eau de notre économie: 18 km3 par référence au seuil de vulnérabilité fixé par la Fao à 2.000 m3/ha/an, et que si TuNur change de site et adopte la technique décrite par M. Gropp nous fournissant au passage 6 km3, il nous reste à pourvoir 12 Km3.

Le tracé du projet TuNur: transfert de l'énergie produite en Tunisie vers l'Europe.

D- Rôle de l’Assemblée nationale constituante (Anc)

Il y a lieu d’associer l’Anc, détentrice en dernier ressort de la légitimité pendant cette période transitoire, à une décision de cette importance capitale pour l’avenir de la nation, d’autant plus qu’il s’agit de question de souveraineté nationale sur nos ressources ainsi que notre territoire. La bonne gouvernance et la transparence dans la gestion d’un tel projet doivent bénéficier d’un consensus national le plus large possible.

A ce sujet, il est préférable de lancer, sous la houlette de la «troïka» (la coalition tripartite au pouvoir), une demande de manifestation d’intérêt à l’échelle internationale dans des termes simples afin d’ouvrir à la concurrence la réalisation de nos objectifs.

Prestations demandées: fourniture de 18 Km3 d’eau dessalée par l’énergie solaire rémunéré par le CO2 évité. L’électricité produite exportable est répartie 50% pour le prestataire et 50% pour la Steg. Les prestataires peuvent faire des propositions techniques de leur choix. L’occupation des lieux d’implantation sera soumise à l’autorité tunisienne et restera partie intégrante du territoire national.

Qu’est-ce qu’on attend pour switcher vers le vert et sortir de ce calvaire de stress hydrique endémique sévissant dans le pays depuis des générations et ouvrir ainsi la voie à un nouveau mode de coopération post révolutionnaire rompant avec les usages d’échange inégal désuet et ce au profit de l’humanité toute entière?

Puisse notre glorieuse révolution entrainer la mue de notre chère Tunisie, tout en faisant le lit à une économie durable et à une mer Méditerranée, havre de paix pour tous les pays riverains! Amen.

Notes :

(a) - Eau nécessaire à la production d’une tonne et estimé selon l’empreinte de l’eau sous nos latitudes. Cf Mekonnen, M. M. and Hoekstra, A.Y. (2010) ‘‘The green, blue and grey water footprint of crops and derived crop products, Value of Water’’, Research Report Series, N°47, Unesco-Ihe.

(b) - Eau nécessaire à l’hectare pour la spéculation donnée selon la Fao.

(c) - Production locale en substitution des importations en équivalent produit brut.

(1) Moyennes des importations de la Tunisie pour la quinquennale 2005-2009 exprimées en tonne.

(2) Importations nettes d’huile végétale, il s’agit de doubler en fait la production nationale d’huile d’olive.

(3) Equivalent grains de soja pour substituer les tourteaux importés.

(4) Betterave à sucre nécessaire pour couvrir la consommation du pays en sucre importé, soit 320.000T.

(5) Apport total d’eau dessalée nécessaire aux champs pour couvrir les besoins en denrées alimentaires exprimés en million de mètres cubes.

* Ancien Pdg.

Articles du même auteur dans Kapitalis:

Tunisie. Encore un rendez-vous manqué avec l’histoire

Tunisie. L’eau et l’énergie renouvelable au cœur de l’éco-développement