La problématique de l’érosion côtière se pose à l’échelle mondiale et particulièrement en Méditerranée où le taux d’urbanisation est relativement élevé. C’est le cas aussi en Tunisie, où le littoral, long de 1.300 km, est gravement atteint par une urbanisation massive.
Depuis l’indépendance du pays, en 1956, les Tunisiens se sont distingués par l’agression des dunes bordières qu’ils n’hésitaient pas à terrasser parce qu’elles les empêchaient de voir la mer. Il leur arrivait aussi d’utiliser ces dunes comme un stock sableux pour la construction de leurs habitations. Des villes côtières comme La Goulette, Bizerte, Rades, Hammam-Lif, Kélibia, Monastir, Mahdia et Sfax ont beaucoup puisé dans les ressources de sable existantes sur leurs plages comme matériau de construction. Parfois, on construisait des installations, industrielles et autres, aux dépens des composantes naturelles des plages, en privilégiant ainsi le développement économique et la satisfaction des besoins immédiats.
Le tourisme se concentre à 90% sur le littoral
Ces dégradations ne sont pas spécifiques à la Tunisie. Elles ont été provoquées dans beaucoup d’autres pays, l’idée de développement durable n’étant entrée dans le discours et les mœurs que très récemment. Les outils d’études, de diagnostic ou de prévision n’étaient pas, eux non plus, assez développés pour inciter les pouvoirs publics à prendre les précautions nécessaires pour optimiser l’exploitation des ressources naturelles. Avec le développement du tourisme, une activité qui fait vivre (indirectement) un Tunisie sur huit et qui se concentre à 90% sur le littoral, la situation des plages s’est dégradée.
L'enrochement est aussi l'une des solutions envisagées
Pour gérer cet espace particulier et sensible, et le protéger des pressions naturelles et entropiques, il faut d’abord former des compétences humaines dans le domaine de l’ingénierie maritime et côtière. Or, force est de constater que la Tunisie, malgré les efforts consentis pour la formation des élites, est encore assez pauvre dans ce domaine d’expertise. Pis encore, tout en étant rares, les experts en ingénierie maritime et côtière ne sont pas aux commandes de ce secteur ô combien sensible, pour des raisons que seule l’administration comprend, explique le responsable d’un bureau d’études. Il ajoute : «Il ne suffit pas de former des experts et de les charger des dossiers relatifs à la préservation du littoral, il faut aussi les doter des moyens adéquats pour qu’ils puissent assumer les tâches d’étude et de mise en œuvre des projets dont l’urgence ne supporte pas les temporisations, tergiversations et lenteurs caractéristiques du fonctionnement administratif.
Djerba-Aghir. Recharge artificielle des plages
«Sachant qu’en milieu maritime, on est confronté à 3 phases physiques (vent, vagues et sédiments), qui interagissent en même temps et pas toujours de manière cohérente, comme dans le cas des tempêtes, on comprend dès lors les difficultés que pose l’étude de ce milieu relativement complexe. Or, les compétences suffisamment formées dans ce domaine se comptent sur les doigts d’une seule main et ils ne sont pas tous à des postes conformes à leur compétence», explique un hôtelier. Qui déplore que«la décision, en matière de protection du littoral, n’appartient pas toujours aux experts ou aux meilleurs d’entre eux». A l’appui de son affirmation, ce dernier évoque la dégradation de la côte autour de certains ouvrages réalisés au cours des dernières années et qui étaient pourtant censés protéger cette côte. Certains de ces ouvrages ont produit des stagnations d’eau et des accumulations d’algues qui ont beaucoup contribué à la détérioration de la plage. C’est le cas, par exemple, des brise-lames réalisés sur la plage d’Hammam-Lif, dont la cité balnéaire n’a pas fini de payer les conséquences: il n’y a plus vraiment de plage où les gens puissent se baigner.
Mais que fait donc l’Apal?
La Tunisie a certes pris conscience très tôt du phénomène de l’érosion des plages. Le Président de la République a même ordonné, en 1995, la création d’une Agence de protection et d’aménagement du littoral (Apal). Cette décision, unique en Méditerranée, doit être appréciée à sa juste valeur. Et pour cause: le rôle attribué à cette agence est révolutionnaire, en tout cas dans les textes, puisqu’elle est chargée de la protection et de la gestion du littoral d’une manière intégrée et durable. Mais si les textes statutaires ont donné à l’Apal les moyens de mener convenablement sa mission, l’agence n’arrive pas, dans la réalité, à suivre le rythme d’exploitation intense du littoral. Résultat: elle s’empêtre dans des pesanteurs bureaucratiques et ne parvient pas à être suffisamment réactive pour répondre aux urgences exprimées par les divers interlocuteurs. Aussi, les bureaux d’études, entreprises en charge des projets et hôteliers continuent-ils de se plaindre des longues attentes avant de se voir délivrer des autorisations pour lancer leurs travaux.
«C’est plus un problème de gouvernance que de moyens. Une réforme ou une réorganisation de cette agence pourrait lui permettre de dépasser ses dysfonctionnements actuels», explique un hôtelier. Il souligne: «Cette réorganisation est d’autant plus urgente que l’état actuel du littoral l’exige et que la mise en œuvre du programme national de protection contre l’érosion côtière fait partie du programme présidentiel pour 2014.»
«L’urgence est dictée également par la nécessité de s’adapter aux agressions générées par les changements climatiques, qui se traduisent déjà par l’élévation du niveau de la mer et par l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des tempêtes», renchérit un expert.
Il suffit de voir l’état des plages d’El Kantaoui, de la baie de Monastir, de l’hôtel Mammounia à Kélibia, ou celles de la corniche de Bizerte et des îles Kerkennah, ravagées l’année dernière par une tempête, pour prendre conscience de cette urgence.
«Au cours des vingt dernières années, Sfax a bénéficié de décisions présidentielles d’envergure, concernant notamment la dépollution de la zone industrielle de Taparura et le rechargement en sable de 3 km de plage artificielle. Cela démontre qu’une volonté politique forte est toujours suivie de réalisations», renchérit un hôtelier.
Mohsen Tounsi, patron cabinet d’études Sirius, qui a réalisé plusieurs études de protection de littoral dans l’île de Djerba, renvoie la balle dans le camp des hôteliers: «L’Apal est encore jeune. Nous avons besoin de faire des études générales sur la situation du littoral, identifier des projets et les mettre en cohérence avec ceux, partiels, déjà réalisés. Il faut aussi trouver les sources de financements. Le secteur du tourisme, qui est le premier consommateur de plage, doit mettre la main à la poche. A l’instar de ce qu’il a fait avec le Fonds de protection des zones touristiques, qui contribué à l’embellissement des villes, il doit aider aujourd’hui à la préservation des plages.»
R. K.
Demain : Tunisie. Le programme national de protection contre l’érosion marine (3/3)
Lire aussi : Tunisie. Les hôteliers et le casse-tête de l’érosion des plages (1/3)