Dans ce message aux hommes d’affaires tunisiens, Dhafer Charrad, gérant de société, rappelle à nos capitaines d’industrie à leur devoir de solidarité avec le peuple qui les a libérés. Et parfois de leurs propres tares.  


La démocratie s’installera inéluctablement, le peuple avec toutes ses composantes restera sur le qui vive et veillera au grain.
Les bandes armées s’essouffleront, leurs munitions s’épuiseront et elles finiront par être démantelées.

Démocratie, pain et eau claire
Un président sera élu démocratiquement avec 51 ou 60% des voix des Tunisiens et rien que pour cela il sera dans l’obligation de ne penser qu’à l’intérêt de la nation et attentif à tout ce qu’il fera.
On n’aura plus jamais de ministres, de parlementaires et de hauts responsables lâches, qui se laisseront faire et qui, à défaut d’avoir le courage de se rebeller et de rouspéter, auront celui de simplement démissionner.
On n’aura plus jamais de responsables politiques qui penseront que leur poste leur procure un pouvoir mais plutôt une responsabilité.
On n’aura plus de médias et de journalistes complaisants et lèches bottes. Politiquement et démocratiquement tout baignera dans l’huile, le peuple a fait le nécessaire.
Malheureusement, est-ce qu’on peut vivre dignement avec seulement de la démocratie?
Est-ce qu’elle permettra cette démocratie d’acheter de la nourriture, des vêtements, des couvertures et de payer loyer et factures, quand on est au chômage?
Avec un taux de chômage de l’ordre de 35% – si ce n’est plus – et avec les millions de salariés pauvres, qui n’arrivent jamais à joindre les deux bouts, malgré les 48 à 60 heures de travail quotidien, la réponse est bien sûr NON.
Si cette situation perdure, ne risque-t-on pas, dans un proche futur, de vivre une révolution sociale, plus grave que l’actuelle, de ces chômeurs et de toutes les victimes des inégalités, révolution dont la cible sera les intérêts et les biens de la classe trop aisée, qui n’a toujours pensé qu’à elle-même et a toujours feint d’ignorer la grande misère qui l’entoure?

Le silence assourdissant des entrepreneurs
A mon avis, ceci est certain et même inéluctable et il faut être incroyablement naïf pour ne pas voir cette prochaine révolution venir et pour ne pas penser dès aujourd’hui à l’éviter: gérer c’est prévoir et pourtant je constate le silence assourdissant des hommes d’affaires, entrepreneurs et prometteurs. Aucun d’eux, à ce jour, n’a pris l’initiative patriotique d’annoncer le moindre effort de recrutement. Aucun de ceux qui représentent le vrai moteur de l’économie ne pense que c’est à lui de tout faire pour résorber une grande partie du chômage.
Tous restent dans une position d’attente, probablement en espérant les éventuelles et habituelles incitations et aides financières de l’Etat, pour le faire.
Aucun d’eux ne s’est déclaré et ne se sent concerné par le grave problème du chômage.
Ces acteurs économiques qui se pavanent en annonçant tous les ans des centaines et des milliers de millions de dinars de bénéfices, qu’est ce qu’ils font pour le pays et contre le fléau du chômage qui les perdra?
Quand est-ce qu’ils se rendront compte que c’est à eux que revient l’obligation de résorber le chômage et pas uniquement à l’Etat et que c’est dans leur intérêt à court et à moyen terme?
Quand est-ce qu’ils prendront conscience que le plein emploi, synonyme de croissance de la consommation, est bénéfique à tout le monde et notamment à eux qui pourront produire plus.
Quand-est ce qu’ils décideront qu’à un certain niveau de richesses accumulées, eux ainsi que leurs enfants, leurs petits-enfants sont à l’abri du besoin et qu’il est grand temps de penser au pays qui leur a permis de devenir ce qu’ils sont aujourd’hui?
Quand-est ce qu’ils se rendront compte que, dans un pays ayant 40% de chômeurs et dieu seul sait combien de smigards, vivant avec un salaire de 272 dinars, il est indécent et choquant :
- de posséder un jet privé: un voyage en classe affaire ou même excellence est aussi prestigieux pour ceux qui adorent le prestige ;
- de posséder un parc automobile évalué à des milliards, composé de bolides qui consomment en carburant l’équivalent d’un Smig pour un aller retour Tunis-Sousse ;
- de déclarer un salaire mensuel (hors dividendes et autres revenus) de l’ordre de 50.000 dinars soit 183 fois le Smig ;
- de posséder une multitude de résidences secondaires, qu’ils ne visitent presque jamais, car quand ces gens prennent des vacances, c’est à l’étranger qu’ils les passent ;
- de posséder des palaces et de mener un train de vie digne des princes saoudiens qu’ils ne sont pas.
C’est le peuple et essentiellement les chômeurs et les démunis qui ont chassé à coup de pieds, les dictateurs qui les rackettaient et leur volaient leur affaires juteuses et ceci se chiffre à des milliards, donc la moindre des choses est d’avoir l’honnêteté morale d’être reconnaissants et de renvoyer l’ascenseur au peuple en employant ses chômeurs.

Les associés du diable peuvent se racheter
La crème de nos hommes d’affaires doit descendre de son piédestal et personne ne doit se croire vierge et au dessus de tout soupçon, tous ont profité d’une manière ou d’une autre de l’ancien système mafieux.
Ils ne doivent pas oublier qu’ils se sont presque tous associés au diable et qu’un sale gamin gominé d’à peine 30 ans les a entrainés dans de grosses et sales affaires: certains diront par lâcheté et d’autres diront par cupidité, et dans les deux cas de figure – qui ne les honorent pas - , ils ont contribué au développement et à l’enracinement du système de racket dont ils ont tous profité directement ou indirectement, et rien que pour ça ils doivent beaucoup au peuple.
A ceux animés de réelles bonnes intentions, je dis: pas la peine de rester immobiles et d’attendre un miraculeux retour au calme, car c’est à eux de faire ce qu’ils ont à faire pour permettre ce retour au calme.
Il ne leur est pas demandé de réduire à néant ce chômage, en une année ou deux, mais de commencer immédiatement à agir dans ce sens.   
Ils ont une chance inouïe de devenir des héros en jouant de leurs propres chefs leur rôle contre le fléau du chômage, rôle qu’ils auraient été obligés de jouer, la tête basse et sous la pression et les menaces, si le dictateur avait réussi à garder sa place.
A bon entendeur

* Dhafer Charrad est gérant de société et diplômé en sciences économiques et planification.