Quand l’Europe prend froid, et elle est carrément «grippée» depuis quelque temps, il y a un risque que ses partenaires sud-méditerranéens se mettent à tousser. Car, dans un monde globalisé, où les risques systémiques sont diffus, nos «petites» économies ne sont pas à l’abri d’un gigantesque effet domino. Gare, donc, à l’insouciance et à l’autosatisfaction ! Ridha Kéfi
«Il n’y a aucun doute que l’économie se trouve dans la situation la plus difficile depuis la Seconde Guerre mondiale, voire depuis la Première (…) Nous avons vécu et vivons des moments vraiment dramatiques (…) Les marchés ne fonctionnaient plus»…
Quand c’est le président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, qui se permet des affirmations aussi péremptoires et au ton sciemment dramatique – dans une interview paru lundi 17 mai dans l’hebdomadaire allemand ‘‘Der Spiegel’’ –, on a de bonnes raisons de s’alarmer et de nourrir de sérieuses inquiétudes.
Ce grand argentier, qui ne parle pas si souvent, mais qui sait toujours de quoi il parle, établit un lien entre la crise actuelle dans la zone euro et la chute de la banque américaine Lehman Brothers en 2008. Comme quoi, dans une économie mondiale globalisée, plus aucun pays n’est à l’abri de la contagion.
L’effet domino
Les risques systémiques étant diffus et les connexions nombreuses, nos responsables ne devraient pas se contenter d’affirmer que la crise n’a pas eu les impacts redoutés sur notre économie – faiblement globalisée du reste –. Ils devraient prendre les devant pour préparer d’éventuelles réponses aux effets induits des bouleversements actuellement en cours en Europe, notre principal client et fournisseur, et qui représente entre 70 et 80 de nos échanges extérieurs.
Avec la crise grecque, déjà installée, et celles portugaise et espagnole, que l’on annonce à cor et à cri, et leur conséquence immédiate, la dévalorisation de l’euro, victime d’un vaste mouvement spéculatif, ne pourrait-on pas craindre un effet domino qui bouleverserait les économies les plus solides en Europe, notamment allemande et française, et impacterait négativement nos performances, notamment en matières d’exportations de biens et services, de recettes touristiques et d’attraction des investissements directs étrangers ?
La diversification de nos partenariats économiques est une solution. Elle a d’ailleurs commencé à être mise en place, avec un intérêt accru pour les pays africains, asiatiques, sud-américains... Mais les effets escomptés de cette politique ne seront pas immédiats. Il nous faudra encore du temps et des investissements. En attendant, la menace est là, tapie au cœur d’une Europe à laquelle nous avons choisi d’être fortement amarrés et qui, aujourd’hui, tangue dangereusement sur ses bases. Cet ensemble, hier donné en exemple pour sa solidité financière et économique, est aux prises aujourd’hui avec des déficits budgétaires et commerciaux, une contraction de la demande, une faiblesse de l’investissement, un ralentissement de l’activité avec une espérance de 1% de croissance, au meilleur des cas, pour l’exercice en cours.
Les vents du nord
Dans un article intitulé ‘‘La crise de l’euro et nous’’ publié au ‘‘Quotidien d’Oran’’ du 16 mai, Pierre Morville notait que le marasme économique européen affectera «également les proches voisins de la zone géographique Europe, les pays candidats (Turquie, pays des Balkans) mais aussi les principaux partenaires méditerranéens hors Union européenne qui font une part plus que majoritaire de leurs échanges avec l’Union, au premier rang desquels les pays du Maghreb.» 1
D’où la nécessité, aujourd’hui, d’un langage de vérité. Les propos soporifiques de nos responsables sur la crise qui frappe à notre porte mais n’entre pas, sur le nuage qui passe loin au-dessus de nos têtes, sur la certitude des acquis et des réalisations… sonnent faux dans le concert d’avertissements et de mises en garde dont nous submergent les responsables et experts européens.
Au moment où, dans les pays les plus développés, on parle d’austérité, de réduction des dépenses publiques et de programmes d’extrême rigueur, l’opinion publique tunisienne doit être préparée à faire face, elle aussi, le cas échéant, à des mesures similaires. L’insouciance comme l’autosatisfaction n’ont jamais été de bons conseils, surtout lorsque le ciel commence à s’obscurcir sous l’effet d’un nuage épais et lourd, poussé par des vents du nord.
1-L’auteur va plus loin en affirmant, à propos du projet de l’Union pour la Méditerranée, censée renforcer l’intégration euro-méditerranéenne : «tous les chantiers esquissés (transports, eau, santé, agriculture…) reposaient sur des financements provenant principalement d’une économie européenne alors en croissance modérée… Il n’en est pas du tout de même aujourd’hui, et dans cette situation, il ne faut pas exclure des réflexes protectionnistes de l’UE, soudains et mal maîtrisés.»