Réflexions sur le 2e Congrès des économistes africains, tenu à l’hôtel du Golfe d’Abidjan, du 24 au 26 novembre, avec la participation de l’intelligentsia africaine du continent et de la diaspora.
Par Aram Belhadj*
Le choix de l’hôtel du Golfe, où avait été enfermé l’actuel président ivoirien Alassane Ouattara pendant quatre mois avant que la crise ne touche à sa fin en avril, n’était peut-être pas fortuit. Il semble même qu’on ait voulu souligner l’idée que, tout comme la Côte d’Ivoire, les pays africains ont besoin d’un nouveau souffle et doivent aller de l’avant sur la voie de la démocratie, de la croissance économique génératrice d’emplois, de l’intégration régionale et continentale ainsi que du développement durable.
Des indicateurs plutôt positifs
L’observation des performances économiques de l’Afrique n’envoie guère de signes alarmants. Les économies du continent semblent s’être mieux sorties de la crise qu’on ne l’attendait. La croissance du produit intérieur brut de l’Afrique est estimée à 5% en 2011, contre 4.7% en 2010. De même, les exportations africaines, bien qu’elles aient pâti de la crise en 2009 et chuté de 32.4%, se sont redressées en 2010 grâce à un rebond des prix des produits de base et à une demande vigoureuse émanant des économies en développement et émergentes. Enfin, les apports de capitaux extérieurs ont continué de renforcer l’investissement intérieur et les dépenses publiques dans de nombreux pays africains.
Toutefois, il est clair que ces performances ne se sont pas traduites ni par une réduction considérable du chômage, ni par une diminution de la pauvreté, ni par des progrès significatifs vers la réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (Omd) dans le continent.
Participants tunisiens, Aram Belhadj et Mohamed Moncef Ben Said, économiste agronome à l'Inat
Les chiffres montrent en effet que le taux de chômage pour les jeunes se situe à 23.7%. De même, on estime que plus de 70% des personnes en Afrique subsaharienne vivent avec moins de deux dollars par jour, contre un peu plus de 15% pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. La famine s’est également aggravée en 2010 en raison essentiellement de la hausse des prix des produits alimentaires et de la diminution des subventions.
Investir dans les secteurs intensifs en main d’œuvre
Cette situation pose une question centrale à laquelle les congressistes ont essayé de trouver des réponses. Cette question est la suivante : comment gérer une croissance économique forte et durable en Afrique, pour résorber le chômage et soutenir la dynamique de l’intégration régionale et continentale ?
Vue des travaux du Congrès
La qualité des personnalités politiques et intellectuelles invitées et le niveau des interventions présentées au cours du congrès ont permis une analyse approfondie des problèmes de l’Afrique et des recommandations assez pertinentes. Celles-ci concernent l’investissement direct étranger (Ide), le chômage, la gouvernance, le rôle du secteur privé, du commerce intra-régional ainsi que de l’aide publique au développement.
La diversité des thèmes débattus a abouti à une diversité de solutions proposées. On évoquera ici quelques unes de ces recommandations, qui sont loin d’être exhaustives, notamment la nécessité d’acheminer les Ide vers des secteurs intensifs en main d’œuvre (agriculture et infrastructure), l’obligation d’élaborer des stratégies permettant une transformation de l’Afrique d’un continent offrant seulement des produits agricoles et des ressources naturelles à un continent où les industries et les services sont développés, la lutte contre la corruption et le renforcement de l’Etat de droit, la multiplication des initiatives africaines dédiées au développement (tel que le Nepad), la promotion de l’intégration économique, financière et monétaire du continent ainsi que la négociation d’un programme d’aide publique non générateur d’endettement et de conditionnalité...
La distance entre les paroles et les actes
Ayant eu la chance d’assister à la première édition de ce congrès, qui s’est déroulée du 2 au 4 mars 2009 à Nairobi, la capitale kenyane, quelques questions m’ont particulièrement interpellée au cours de cette seconde session.
La première concerne le manque de concrétisation des recommandations avancées, ce qui n’aidera pas à la résolution des problèmes identifiés. La raison en est que cette manifestation constitue une force de proposition et non un moyen de pression sur les décideurs politiques.
La tâche qui consiste à imposer aux Etats les stratégies élaborées par les experts semble être très difficile, eu égard surtout à la faible contribution des gouvernements africains (mais aussi étrangers) au financement de l’Union africaine (UA), organisatrice de l’évènement.
Le premier congrès des économistes africains, qui a porté sur «la création d’une monnaie unique africaine», a abouti à une série de propositions assez intéressantes, mais aucune n’a été mise en route et encore moins concrétisée. Certes, entre les deux congrès, le rôle des comités directeurs chargés de piloter le processus d’intégration monétaire africaine a été renforcé et des textes réglementaires ont été élaborés, mais la mise en place effective des trois institutions monétaires – le Fond monétaire africain à Yaoundé, la Banque centrale africaine à Abuja et la Banque africaine d’investissement à Tripoli, institutions censées couronner le processus d’unification monétaire – enregistre un retard certain.
Autant dire donc que les propositions issues des travaux du congrès ne sauraient être concrétisées sans une mobilisation socio-économique et une volonté politique. A cet effet, les acteurs privés seraient bien inspirés d’œuvrer à la mise en place de mécanismes de pression sur les gouvernements.
La deuxième question qui vient à l’esprit concerne le chevauchement des thèmes abordés par le congrès avec ceux traités par d’autres institutions et organismes panafricains. La redondance des problématiques soulevées pose la question de l’utilité de ce genre de manifestation, dont l’organisation reste très coûteuse. L’on se rappelle, à cet égard, de la dernière Conférence économique de l’Afrique (Cea) organisée sous la houlette de la Banque africaine de développement (Bad) en octobre dernier à Addis-Abeba, où la problématique de la croissance durable a aussi été traitée pratiquement dans les mêmes termes que durant le second congrès des économistes africains. Il en est de même de la question de l’aide publique au développement, qui va être débattue, durant le mois de décembre, à Nairobi, dans le cadre de la conférence du Consortium de la recherche économique en Afrique.
Il convient, par conséquent, de renforcer la coordination de l’UA avec les institutions monétaires, bancaires et financières concernées par les problèmes économiques contemporains de l’Afrique.
La troisième et dernière interrogation porte sur la multiplicité des sujets abordés. Comme déjà dit, les discussions du 2e congrès ont concerné les Ide, l’emploi, la gouvernance, la relation secteur privé-secteur public, l’innovation, le commerce régional et l’aide publique au développement.
Toutes ces questions sont intéressantes et se complètent et peuvent se traduire par des solutions complémentaires. Mais la contrainte du temps empêche, parfois, une couverture complète des différents sujets et réduit d’autant l’intérêt et l’utilité du congrès.
De ce point de vue, un ciblage adéquat des thématiques abordées pourrait aider ce genre de manifestation à faire un saut qualitatif en termes d’efficacité et d’impact sur les politiques économiques des gouvernements.
* Doctorant au Laboratoire d’économie d’Orléans (UMR 6221 du Cnrs-France),
Faculté de Droit, d’Économie et de Gestion.