Les professionnels du tourisme se plaignent des retombées d’une «saison catastrophique», mais que peuvent-ils sérieusement attendre d’un gouvernement confronté à d’autres urgences?


L’activité touristique accuse une baisse moyenne de 50% au cours des cinq premier mois de l’année, par rapport à la même période de 2010. Les professionnels du secteur parlent de «saison catastrophique», expression déjà utilisée par le ministre du Commerce et du Tourisme.
Au cours d’une conférence de presse, jeudi, à Tunis, Mohamed Belajouza, président de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (Fth), affirme que la situation générale dans le pays (instabilité, sit-in, grèves…), les retombées de la guerre civile en Libye et le manque de visibilité pour la prochaine période sont à l’origine de la «situation délicate» qui prévaut dans le secteur. L’intensification des flux de l’immigration illégale à partir des côtes tunisiennes vers l’île italienne de Lampedusa a brouillé davantage l’image de la destination Tunisie et provoqué un effondrement du marché italien, l’un des plus importants pour le tourisme tunisien.

Menace sur les emplois
Comment, dans cette situation «catastrophique», avec des hôtels quasi-vides et des stations touristiques désertiques, préserver les emplois, directs et indirects, du secteur, estimés à 2 millions, dont près de 500.000 postes permanents ?, s’est interrogé M. Belajouza. Traduire: les hôteliers pourraient mettre à la porte un grand nombre de leurs employés. Chantage à l’emploi ? Non, simple constat d’une situation de plus en plus intenable.  
Pour faire face aux pressions de cette conjoncture difficile, la Fth a demandé le soutien du gouvernement provisoire, notamment des facilités de paiement des factures de consommation de l’électricité et de l’eau, le rééchelonnement des dettes vis-à-vis de la Cnss et des banques et l’octroi d’emprunts saisonniers, à l’instar de ce qui a été décidé en faveur des agriculteurs et des industriels, a indiqué M. Belajouza. La Fédération attend toujours une réponse.
Comment se présentent les réservations pour la haute saison estivale? Sans surprise, M. Belajouza affirme ne pas attendre une grande amélioration, malgré les soutiens apportés par certains pays émetteurs, les tours opérateurs opérant sur la Tunisie et les nombreuses campagnes de publicité menées en Europe par l’Office national du tourisme tunisien (Ontt), dont le budget de communication pour 2011 a été multiplié par deux.

Forte diminution des réservations pour l’été
Taher Saihi, président de la Fédération tunisienne des agences de voyages (Ftav) n’est pas plus optimiste. Il déplore une diminution des réservations pour la saison de pointe de 50 et 60%, en comparaison avec l’année écoulée, les touristes ayant opté pour des destinations concurrentes en Méditerranée, telles que l’Espagne, la Grèce et la Turquie. Le Maroc, l’Egypte, le Liban, la Jordanie et la Syrie étant pénalisés eux aussi par l’image d’instabilité que donne aujourd’hui les pays sud-méditerranéens.  
M. Saihi estime que l’amélioration de la situation est tributaire du soutien de l’Etat et de l’instauration de mesure d’urgence en faveur des hôteliers et des voyagistes. Il s’interroge, par ailleurs, sur le sort des correspondances envoyées au ministère du Commerce et du Tourisme. Ces correspondances ont été examinées, au cours d’une réunion ministérielle, le 22 avril, et une décision a été prise pour répondre aux doléances exprimées, mais elle n’a pas encore été publiée au Journal officiel de la république tunisienne (Jort), croit-il savoir.
Les agences de voyage sont dans l’incapacité de payer leurs salariés et de s’acquitter de leurs engagements; certaines sont même menacées de faillite, prévient M. Saihi, qui rappelle les principaux chiffres du secteur: 700 agences, offrant 10.000 directs et indirects.
Boubaker Bouzrara, représentant de la Fédération régionale de l’hôtellerie de  Sousse est allé, lui aussi, de son cri d’alarme. Les hôtels de la région traversent, eux aussi, une situation très délicate. Sur les 104 établissements de la région, 30 ont fermé leurs portes. La plupart essaient de réduire leurs pertes en lançant des offres spéciales en direction des touristes locaux. Le tourisme intérieur, on le sait, occupe la troisième place en nombre de nuitées (3 millions) après la France et l’Allemagne, mais devant l’Italie et la Grande Bretagne.
Les inquiétudes des professionnels sont bien compréhensibles, mais quelle est la marge de manœuvre du gouvernement provisoire?

Que peut faire le gouvernement?
Ce gouvernement, qui hérite d’une situation économique et sociale pour le moins difficile, prévoit une croissance située entre 0 et 1%, soit deux à trois points de moins que ce qui était prévu. Il fait face à une situation explosive dans les régions, longtemps abandonnées et où les taux de chômage atteignent des moyennes incroyablement élevées (30 à 50%). Près de 700.000 chômeurs, dont 200.000 rentrés de Libye, attendent d’hypothétiques emplois. Les recettes du commerce extérieur sont en baisse. Les secteurs de l’énergie et des mines fonctionnent au ralenti, à cause des grèves et des sit-in. Et les prix de certains produits alimentaires subventionnés par l’Etat sont en hausse sur les marchés internationaux.
Face à ce tableau catastrophique, les doléances des hôteliers, dont on mesure la gravité, semblent (presque) anecdotiques.  
Les professionnels du secteur, qui ont longtemps profité des largesses de l’Etat, des prêts bancaires et des facilités tout azimut, seraient bien inspirés aujourd’hui de chercher des solutions alternatives que celle de tendre (encore et toujours) la main au contribuable, confronté à d’autres urgences.

Imed Bahri