C’est un projet délirant qui risque de défigurer la cité balnéaire. Soutenu par le clan Ben Ali-Trabelsi, il a survécu à la révolution du 14 janvier 2011 et est désormais soutenu par les nouvelles autorités nahdhaouies.
Par Dr Salem Sahli
Et revoilà le mégaprojet touristique controversé de l’hôtel Tanit à Hammamet qui refait surface. On le croyait définitivement enterré. Que nenni! Il ressuscite, et après avoir profité des largesses du clan Trabelsi-Ben Ali, les richissimes promoteurs tuniso-américano-tchèques du projet ont vite fait de changer leur fusil d’épaule. Désormais, ils sont chouchoutés par nos dirigeants provisoires, Nahdhaouis en tête, qui font pression sur le conseil municipal de la ville de Hammamet afin d’entériner au plus vite le projet et délivrer le permis de bâtir.
Voyons de quoi il retourne…
Plan des résidences du Sea World Hammamet.
2 tours de 32 étages et 33 tours R+5 !
Le projet pompeusement appelé Sea World, programmé sur le site de l’ancien hôtel Tanit, est initié par un consortium tuniso-américano-tchèque. Il s’agit d’un complexe touristique «intégré» qui prévoit la construction de 1.000 logements touristiques et résidentiels comprenant 2 tours de 32 étages et 33 tours R+5, d’un complexe de loisirs et d’animations, d’un delphinarium et d’un bassin à orques. Le tout sera édifié sur une superficie de 19 hectares et mobilisera des investissements de l’ordre de 385 millions de dinars (MD).
La construction du complexe vise à augmenter la capacité d’hébergement et à accroître les offres récréatives sur le site touristique de Hammamet. Il s’agit, de l’avis de Faouzi Mrabti, promoteur tunisien du projet, du «plus important projet touristique dans le bassin méditerranéen qui ne manquera pas de dynamiser l’activité économique de la région et de créer pas moins de 8.000 postes d’emplois.»
Soit, mais à Hammamet, tout le monde sait que ce projet grandiose enfreint les règles d’urbanisme les plus élémentaires. Et pour cause: son site d’implantation classé «H» sur le plan d’aménagement de la ville interdit la construction d’unités résidentielles. Or, le projet en question est pour une large part (60%) un projet immobilier.
«Le plus important projet touristique dans le bassin méditerranéen».
Les promoteurs ont pu obtenir, lors d’une réunion extraordinaire du conseil municipal tenue le 28 octobre 2010, le changement de vocation de la zone qui de «H» devient «H.U.». C’est l'intervention énergique du clan Ben Ali-Trabelsi qui a sommé Habib Ben Salem, ancien maire de la ville, de signer à la hâte et en catimini ce changement de vocation et de délivrer un permis de construction illégal le 6 janvier 2011.
Le projet, aussitôt mort, est remis sur la table
Après le 14 janvier 2011, le même Habib Ben Salem, peu avant son départ et pressé par un sursaut sans précédent de la société civile locale, retire l’autorisation de bâtir qui devient ainsi nulle et non avenue.
Mais, depuis quelques semaines, les promoteurs reviennent à la charge, aidés en cela par les autorités régionales et locales. Le 12 mai dernier, une table-ronde organisée par la Jeune chambre économique de Hammamet sur les perspectives du secteur touristique a été détournée de ses objectifs et consacrée pour une large part à la présentation du projet Sea World en présence du gouverneur de Nabeul et des promoteurs du projet. Mal leur a pris, car le maire actuel, Faiçal Merhébène, a résisté magistralement à la charge et réitéré courageusement et sous les applaudissements d’une assistance nombreuse son refus de ressusciter le défunt permis de bâtir.
Permis de construire délivré puis retiré.
Que faire maintenant? Il est clair qu’à moins d’un miracle, les jours de Faiçal Merhébène à la tête de la commune sont désormais comptés. Ennahdha et ses satellites, forts du soutien du gouverneur et du ministère de l’Intérieur, vont diriger le prochain conseil municipal jusqu’aux prochaines élections.
Les prochaines batailles à mener
Je pense qu’il faut se mobiliser, d’abord pour le maintien de l’équipe municipale actuelle. Et, à défaut de cela, exiger que le prochain maire soit une personnalité (femme ou homme) sage, respectable, indépendante, ayant une longue expérience, au fait des réalités locales et capable de rassembler les différentes parties autour d’un ensemble de principes et d’orientations qui serviront de dénominateur commun ou de feuille de route municipale sur laquelle il peut y avoir consensus. Toutes ces qualités sont requises afin de faire prévaloir l’intérêt général et la primauté de la loi.
Le pire qui puisse nous arriver est la nomination à la tête du conseil d’une personnalité partisane, un béni-oui-oui ne songeant qu’à l’intérêt de son parti et respectant scrupuleusement les consignes qui lui seront données.
La première bataille à livrer et dont dépendent toutes les autres est celle du Plan d’aménagement urbain (Pau) de Hammamet. Pourquoi la sortie de ce plan est-elle à chaque fois renvoyée aux calendes grecques? Pourquoi ce blocage et à qui profite-t-il? Il y a manifestement anguille sous roche. Car tant que le Pau n’est pas approuvé, c’est la porte ouverte aux interprétations, aux manipulations, aux pressions et aux dérogations de toutes sortes.
Partout c’est l’effervescence. Hammamet semble livrée à la surenchère immobilière.
Dans une tribune publié le 19 septembre 2005 sur les colonnes de ‘‘Tunis-Hebdo’’, nous avions déjà tiré la sonnette d’alarme en écrivant: «La fièvre du béton n’a jamais été aussi forte à Hammamet. Partout c’est l’effervescence. La ville semble livrée à la surenchère immobilière. Au sud, au centre, comme au nord de la ville, les grues sont à l’œuvre pour ériger des complexes résidentiels, des centres commerciaux, des unités hôtelières… que sais-je encore? avec pour dénominateur commun une caractéristique: le gigantisme. Et c’est maintenant la mer et ses abords immédiats qui sont visés par les promoteurs de ces ‘‘choses’’, risquant de transformer les rares fenêtres vertes ouvrant sur le golfe d’Hammamet en un immense voile de béton barrant l’horizon. De proche en proche et d’extension en extension, les quelques sites demeurés jusque là intacts sont phagocytés par les constructions, et ce, malgré la grogne d’une partie de l’opinion et de certains conseillers municipaux. Ceux-ci font remarquer que la plupart des constructions hideuses contre lesquelles ils s’insurgent ont pour origine une dérogation à une disposition d’urbanisme. Et ils ajoutent que les dérogations généreusement octroyées aux promoteurs constituent une des techniques juridiques qui a le plus porté atteinte à l’environnement et l’esthétique urbaine de notre ville.»
Ce fut en 2005. Sept ans après, la situation n’incite guère à l’optimisme.