Le Syndicat des imams annonce qu'il va porter plainte contre le ministre des Affaires religieuses pour avoir laissé faire des prédicateurs ayant appelé au «jihad nikah» (prostitution sacrée) des Tunisiennes en Syrie. Est-ce vraiment une bonne idée?
Par Zohra Abid
Selon Fadhel Achour, secrétaire général du Syndicat des imams tunisiens, une campagne sera organisée dans toutes les mosquées pour dénoncer le wahhabisme, qui commence à prendre racine dans le pays, porté par des groupes extrémistes financés par des Etats étrangers, et particulièrement les monarchies du Golfe.
Redorer l'image des Tunisiennes
Par cette campagne de sensibilisation, le Syndicat des imams tunisiens cherche notamment à redorer l'image des femmes tunisiennes, ternie par l'affaire des filles (80 selon le chiffre officiel du ministère de l'Intérieur) parties au «jihad nikah» en Syrie et rentrées enceintes.
Les imams font assumer la responsabilité de ce drame au ministre des Affaires religieuses, le salafiste Noureddine Khademi, qui n'a pas su assurer le contrôle des mosquées et les écoles coraniques, les livrant – à l'insu de son plein gré – aux prédicateurs extrémistes venus du Moyen-Orient.
A travers leur syndicat, les imams s'indignent et condamnent cette politique qui nuit terriblement à l'image de la femme tunisienne, jadis présentée comme un modèle de maturité et d'indépendance.
Houcine Laâbidi, imam de la Grande mosquée Zitouna: «Le jihad nikah n'a rien à voir avec l'islam».
Selon Houcine Laâbidi, imam de la Grande mosquée Zitouna, le «jihad nikah» n'a jamais été recommandé par la religion islamique; il est même considéré comme un péché.
«Nous l'avons déjà dit à plusieurs reprises. Il y a quelques mois, nous avons rendu public, au nom de la Zitouna, une fatwa pour dénoncer cette escroquerie commise au nom de l'islam», a expliqué le cheikh Laâbidi à Kapitalis.
Reprendre les choses en main
Plusieurs théologiens ne partagent pas cependant l'avis du Syndicat des imams et ne souhaitent pas recourir à la justice contre le ministre des Affaires religieuses. Selon eux, la stabilité et le salut du pays doivent passer avant toute autre considération.
C'est le cas de Farid Beji, président de l'association Dar Al Hadith Zitouni, qui s'est dit opposé à l'idée de procès contre les membres du gouvernement. Selon lui, il vaut mieux aller vers la réconciliation nationale.
Joint au téléphone par Kapitalis, Farid Beji a déclaré: «Si l'on se met à poursuivre en justice les responsables du gouvernement, le pays ne s'en sortirait plus jamais. Ces derniers sont tellement impliqués dans des affaires, qu'ils n'accepteront jamais de quitter leurs sièges.» Et d'ajouter: «Pour éviter le pourrissement de la situation, il vaut mieux adopter une démarche de réconciliation. Que ce gouvernement parte le plus tôt possible, mais avec les moindres dégâts!»
Le cheikh Beji argumente: «Nous n'avons même pas pu poursuivre en justice Ben Ali et ses sbires. Et il est à craindre que, pour se protéger et échapper à la justice, les responsables du gouvernement actuel ne lâcheront plus jamais leurs sièges. Le mieux serait donc de les aider à s'en aller et à céder pacifiquement les commandes à un cabinet de compétences nationales indépendantes... Nous n'avons plus le choix».
Retour sur la destitution du mufti Battikh
Le 19 avril dernier, Othman Battikh, ex-mufti de la république, a déclaré aux médias que le «jihad nikah» est une forme de prostitution et que ceux qui se rendent pour le jihad en Syrie sont payés et instrumentalisés. Des parents de jeunes partis au jihad en Syrie s'étaient alors mobilisés pour alerter le gouvernement et lui demander d'intervenir pour mettre fin aux rassemblements nocturnes d'extrémistes religieux dans les quartiers populaires, et qui encouragent les jeunes, filles et garçons, moyennant finance et soutien logistique, à partir en Syrie.
L'ex-mufti de la république Othman Battikh limogé pour avoir condamné le jihad des Tunisiens en Syrie.
Le gouvernement est cependant resté complètement indifférent à ces appels. Pire encore, des extrémistes religieux ont continué à investir les mosquées, les collèges, les lycées et autres établissements éducatifs, au vu et au su de tout le monde, appelant au jihad et bourrant le crâne des jeunes, les incitant à «répondre à l'appel de Dieu» et à aller au jihad en Syrie.
Contre toute attente : début juillet, trois jours avant ramadhan, le président provisoire de la république Moncef Marzouki a décidé, sur des instructions du parti islamiste Ennahdha, de limoger le mufti Othman Battikh. Ce limogeage a été interprété comme une sanction à l'encontre de l'ex-mufti pour avoir condamné l'envoi de Tunisiens et de Tunisiennes en Syrie.
Cheikh Battikh a été remplacé par Hamda Saïed, universitaire spécialiste de théologie islamique, imam de la mosquée du Souk à Beni Khiar au Cap Bon et président de l'Association coranique de Nabeul. Le nouveau mufti, qui avait brillé, dans les années 1990, par son allégeance à l'ancien président Ben Ali, a changé de chapelle, au lendemain de la chute de ce dernier, pour louer ses services aux islamistes d'Ennahdha. Ceci explique donc cela...
Le ministre de l'Intérieur met le doigt sur la plaie
Lors de son audition le 19 septembre devant l'Assemblée nationale constituante (Anc), le ministre de l'Intérieur, Lotfi Ben Jeddou, a reconnu l'existence, en Tunisie, de réseaux spécialisés dans l'organisation et le financement du jihad en Syrie.
Evoquant le «jihad nikah» des jeunes tunisiennes envoyées en Syrie, le ministre a déclaré: «Elles rentrent enceintes après avoir eu des relations avec une dizaine, une cinquantaine voire une centaine de jihadistes». Et d'ajouter: «6000 Tunisiens ont été récemment empêchés d'aller au jihad en Syrie».
Les propos de Lotfi Ben Jeddou, qui ont confirmé les révélations faites à ce sujet par les médias tunisiens et étrangers, ont fait couler beaucoup d'encre. Ils ont été, on s'en doute, largement relayés par les médias étrangers, le phénomène étant pour le moins surprenant.
Quatre jours après, la ministre des Affaires de la femme et de la famille, Sihem Badi, a publié un communiqué où elle affirme que les filles du «jihad nikah» ainsi que leurs enfants seront pris en charge par l'Etat tunisien. Mme Badi n'a pas cru devoir s'attarder sur les racines du mal, ni condamner les appels au jihad ni ouvert une enquête sur la multiplication anarchique des écoles et jardins d'enfants coraniques, où poussent les germes de l'extrémisme religieux.
L'affaire du «jihad nikah», dont on n'a pas encore mesuré toutes les conséquences sociales et politiques, restera une tache noire dans le bilan, déjà très négatif, des gouvernements Hamadi Jebali et Ali Larayedh.