La signature de l'accord de «mobilité» entre l'Union européenne (UE) et la Tunisie a été reportée d'un commun accord. La société civile s'élève contre cet accord où elle pointe des déviances flagrantes à l'égard du droit international.
Par Fathi B'Chir*
La signature d'un accord de «mobilité» avec la Tunisie, qui devait avoir lieu mercredi 5 décembre, a été reportée à une date ultérieure non précisée. Elle est «à convenir d'un commun accord», se borne-t-on à dire des deux côtés.
Le contenu de cet accord, révélé dans ses grandes lignes par les associations de société civile européennes et tunisiennes n'est pas encore donné.
Il s'agirait d'une «déclaration politique» qui présente des objectifs et les priorités que se fixe chacune des parties. Une annexe détermine une série d'actions concrètes.
Le texte sur la table, proche de celui signé le 7 juin dernier avec le Maroc, devrait octroyer aux Tunisiens, du moins à une catégorie déterminée (l'élite économique et intellectuelle, dirait-on pour résumer), des facilités de visas et de séjour. Il engagera à promouvoir un dialogue sur l'ensemble des questions liées à la migration et à la mobilité. Les États membres sont incités à appuyer cette coopération à travers des actions concrètes.
Outre le contrôle des flux illégaux, la coopération devra aussi, comme dans le cas marocain, soutenir les ressortissants séjournant légalement dans l'Union européenne (UE) ainsi que les ressortissants européens résidant légalement en Tunisie dans leurs efforts d'intégration.
L'engagement sera de «développer, de manière réciproque, une coopération pour la mise en place de politiques actives en matière d'intégration, d'inter-culturalité, de lutte contre l'exclusion et la xénophobie afin d'éviter les préjugés et les stéréotypes entre la société d'accueil et les migrants». Il s'agira aussi de «promouvoir le rôle des associations issues de la migration tunisienne dans le processus d'intégration».
Mobilisation contre l'accord de «mobilité»
De leur côté, les sociétés civiles, tunisienne et européenne, se mobilisent contre cet accord de «mobilité». Leurs associations regrettent de n'avoir pas été consultées et demandent à l'être. Leurs plus nettes réserves sont sur le fond.
Le Réseau euro-méditerranéen des droits de l'homme (REMDH), Migreurop, l'Association européenne pour la défense des droits de l'homme (AEDH) et la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) plus le principal syndicat tunisien, l'UGTT, la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH) et plusieurs autres associations de la société civile s'élèvent contre l'accord et en pointent ce qu'elles semblent percevoir comme des déviances flagrantes à l'égard du droit international.
Les associations demandent à l'UE de «mettre fin à sa politique d'externalisation de ses contrôles migratoires». Elle doit, écrivent-elles dans un texte commun, «corriger profondément l'approche sécuritaire de sa politique de gestion des migrations». Elle est priée aussi de «suspendre les négociations» avec la Tunisie «jusqu'à ce que cette dernière soit dotée d'autorités stables, d'une assemblée parlementaire élue dotée de toutes les prérogatives concernant ces domaines». La Tunisie devrait au préalable, selon leurs vues, se mettre en conformité avec les normes internationales en matière de migrations. Et, surtout, il est demandé d'«exclure la clause de réadmission» que l'UE ne serait pas en droit d'exiger et à la Tunisie d'accepter de la signer.
L'UE doit, disent les associations, «s'engager sur une politique de mobilité réelle pour les Tunisiens, qui ne se limite pas aux personnes très qualifiées mais concernerait tous les ressortissants de ce pays».
La Tunisie, pour sa part, doit adopter «un moratoire» et suspendre les accords migratoires en cours ou en négociation avec l'UE comme avec ses États membres car ils violeraient «les droits des migrants, des réfugiés et des demandeurs d'asile» qui seraient en l'état «contraires aux traités internationaux».
La question sur l'opportunité d'un tel accord traverse en fait tout le champ de la coopération euro-tunisienne, la «mobilité» comme la recherche d'un accord «open sky» dans le transport aérien ou d'autres négociations auxquelles est «invitée» – plutôt soumise à pression – la Tunisie. Le contexte n'est pas en sa faveur et la précarité de la situation politique et sécuritaire dans le pays fragilise le pays et affaiblit son pouvoir de négociation.
Un moment mal choisi sans doute pour tracer de grandes perspectives qui auront des effets à très long terme. Seul un gouvernement et une assemblée qui ne soient pas «de transition» seront aptes à le faire.
* Journaliste tunisien basé à Bruxelles.