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La conférence de presse de Mehdi Jomaa, mercredi 14 mai 2014, qui a été annoncée à cor et à cri, a finalement été un non-événement. 

Par Imed Bahri

Ceux qui s'attendaient à l'annonce de mesures pour accélérer la mise en oeuvre de la feuille de route du Dialogue national sur la base de laquelle son gouvernement a été mis en place, pour relancer la machine économique et atténuer les effets de la crise sur le pouvoir d'achat des citoyens, on en ont  finalement eu pour leur frais. Car le chef du gouvernement provisoire Mehdi Jomaa n'a pas, à l'évidence, de solutions inédites aux problèmes anciens et actuels du pays. Et les solutions connues et déjà préconisées par les experts, il ne semble pas avoir la détermination et le courage nécessaires à leur mise en oeuvre. Aussi sa conférence de presse de mercredi ne doit-elle pas être appréciée à l'aune de ce qu'il a dit (finalement pas grand-chose), mais de ce qu'il n'a pas pu dire ou qu'il a ouvertement esquivé...

Un Ben Ali souriant

Conséquence: sa conférence de presse, censée faire le bilan des 100 jours de son cabinet et annoncer son programme jusqu'à la fin de l'année en cours, a été redondante, longue, fastidieuse, lassante et parfois ennuyeuse de fatuité. Elle a démontré que M. Jomaa, «un Ben Ali souriant» selon le commentaire assassin d'un confrère, n'a visiblement pas l'audace exigée d'un chef d'Etat qui doit prendre des mesures draconiennes, dures et impopulaires, et trouver les mots et le ton adéquats pour les annoncer. Tout sera donc dit (ou tu) à demi-mot (la hausse imminente des prix du carburant, par exemple) et les questions gênantes bottées très courageusement en touche ou renvoyées aux ministres pour qu'ils y répondent dans les semaines à venir.

Alors que les différents acteurs sociaux attendent la promulgation de la loi de finance complémentaire, toujours en gestation, pour savoir sur quel pied danser, le gouvernement continue de tergiverser, de renvoyer la balle au Dialogue économique national, prévue pour le 28 mai courant, et de faire ainsi durer l'indécision. Ces atermoiements traduisent, à la fois, son manque d'imagination et de courage à prendre le taureau de la crise par les cornes. Ils sont, par ailleurs, très préjudiciables, car l'économie a horreur de l'indécision et, à défaut de confiance, la situation économique dans le pays a besoin de clarté.

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Seule prouesse de Mehdi Jomaa: plus de 2 heures de tchatche pour ne pas dire grand-chose... 

On retiendra donc que le gouvernement Jomaa restera ferme face au phénomène du terrorisme. Le contraire nous aurait tout de même étonnés. L'annonce de la création d'un pôle policier et judiciaire destiné à lutter plus efficacement contre le terrorisme est presque anecdotique. D'abord parce que l'idée a été avancée il y a plus d'un an par des experts et que sa mise en route, déjà très tardive, demandera encore une année ou plus. Alors d'ici là...

La méthode du renvoi de la balle

M. Jomaa admet que les hommes d'affaires interdits de voyage «constituent de grandes énergies dont le pays est privé», mais il se félicite (ou presque) du fait que leur nombre soit inférieur à 50 et avoue, à demi-mot, son incapacité à agir en leur faveur. Il se contente, en tout cas, de renvoyer la balle à la justice. Qui a bon dos...

La dissolution des Ligues de protection de la révolution (LPR), ces milices violentes au service du parti islamiste Ennahdha et qui empoisonnent la vie politique dans le pays, est également une affaire de... justice. Et la justice, on le sait, est indépendante du pouvoir exécutif. Alors, M. Jomaa s'en lave presque les mains.

En ce qui concerne les nominations partisanes effectuées par les deux précédents gouvernements et que le gouvernement de technocrates est censé revoir, M. Jomaa est resté très évasif, dans une volonté évidente d'éviter de froisser le parti islamiste Ennahdha qui a mis ses pions dans tous les rouages de l'administration publique. Quand on sait que la plupart des proches collaborateurs de l'actuel Premier ministre l'ont précédé au Palais de la Kasbah et que beaucoup d'entre eux – à commencer par son chargé de la communication Abdessalem Zbidi – ont été nommés par Ennahdha, on ne peut être convaincu par son argumentaire.

On peut multiplier les exemples des esquives et évitements que M. Jomaa croit pouvoir ériger en méthode de gouvernement. Reste que cette méthode a un délai de péremption et que le pays ne pourra pas attendre jusqu'au 31 décembre 2014, date au-delà de laquelle le mandat de M. Jomaa et de son gouvernement prendra fin, pour savoir enfin qu'il est en quasi-faillite. Et que les gouvernements qui se sont succédé à sa tête, y compris celui de Jomaa, n'ont rien fait pour lui éviter un tel sort...

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