Le président du Parti Ennahdha s'est opposé à la proclamation du Califat islamique en Irak, mais pas au principe même du Califat, auquel il reste très attaché comme tous les islamistes. Vidéo.
Par Imed Bahri
On croyait que la constitution et la loi tunisiennes interdisaient l'utilisation des mosquées pour faire des discours politiques. Peut-être, mais cela ne s'applique pas à Rached Ghannouchi, qui est, on le sait, au-dessus des lois de la république. Sinon, comment expliquer que le président d'Ennahdha ait choisi la journée du vendredi pour faire son prêche «religieux» et s'adresser à ses ouailles nahdhaouis, mais aussi à ses autres «frères», à propos de la proclamation d'un Califat islamique en Irak. «C'est un acte non réfléchi (''ta'ich'') et irresponsable (''ghayr masoul'')», a-t-il dit, comme s'il s'agissait d'un banal acte politique. C'est une façon aussi de passer un message à tous les Frères musulmans et de leur dire qu'il est encore trop tôt pour déclarer le Califat.
Ghannouchi-Qaradhaoui : 5 sur 5
En fait, Ghannouchi n'est pas opposé au principe du Califat mais à l'opportunité et au timing de sa proclamation aujourd'hui en Irak.
Cette position sera, d'ailleurs, explicitée par Youssef Al-Qaradhaoui, président de l'Union des ulémas musulmans, dont le vice président n'est autre que Rached Ghannouchi lui-même. Les hommes ont dû sans doute en discuter pour harmoniser leurs positions.
Dans une déclaration qui engage tous les adhérents de l'organisation et donc le président du parti islamiste Ennahdha, l'Egyptien a dit: «Nous souhaitons toujours déclarer le Califat, aujourd'hui avant demain!», mais pour des considérations juridiques, il a considéré que le Califat proclamée en Irak, «n'est pas conforme à la charia».
Rached Ghannouchi et Youssef Qaradhaoui: même combat pour le califat.
Al-Qaradhaoui a aussi invoqué le danger qu'une telle proclamation pourrait constituer pour les sunnites, en raison de la proximité de ce «Califat» de l'Iran chiite.
Rappelons que la confrérie des Frères musulmans a été fondée en 1926 par un instituteur égyptien, Hassan Al-Banna, en vue de reconstruire le Califat musulman, aboli par Mustapha Kamel Atatürk en 1924, car il avait pour capitale Istanbul depuis la fondation de l'Empire Ottoman.
Depuis cette date, l'objectif ultime et stratégique de tous les mouvements islamistes est de reconstruire un Califat qui impose la charia à tous les territoires conquis.
Ce qu'ont fait Abou Bakr Al-Baghdadi et l'Etat islamique sur l'Irak et le Levant (Daech) n'est que l'application de l'un des principes commun à tous les mouvements islamistes et notamment les Frères musulmans et Hizb Ettahrir (Parti de la Libération).
Ennahdha et le 6e Califat de Jebali
La réaction de Ghannouchi prouve qu'Ennahdha n'a jamais renoncé à son objectif majeur, comme l'avait révélé son ex-secrétaire général Hamadi Jebali en annonçant que «le Sixième Califat n'est plus un rêve mais verra bientôt le jour». Il était alors chef d'un gouvernement républicain, mais personne n'avait cru devoir appeler à sa démission.
Rached Ghannouchi dit la même chose mais autrement. Le président d'Ennahdha, faisant un discours politique sous forme d'un prêche du vendredi, n'a provoqué, lui non plus, aucune protestation de la part des organisations de la société civile et des partis politiques dits laïcs, qui se pressent actuellement à le courtiser estimant qu'il détient toutes les cartes pour leur réélection.
Pour donner un crédit religieux à sa position, Rached Ghannouchi a invoqué «Nass assahifa», une charte que le prophète aurait promulguée en commun accord avec les juifs de Médine et où il garantit à ces derniers les mêmes droits que les musulmans.
Ce texte, dont les historiens n'ont pas démontré l'authenticité, est en effet un document majeur que Ghannouchi ne semble pas avoir bien étudié, car il stipule que les juifs font partie de la communauté des «mouminoun» (des gens qui ont la foi) et donc de la communauté musulmane. Les chrétiens et les paganistes étant exclus. Il ne s'agit nullement du statut de «dhimmi» inventé par la suite par les docteurs de la Loi musulmane.
Politiquement, Ghannouchi et Qaradhaoui sont contre le Calife de l'Irak mais non contre le principe même de l'instauration du Califat, comme l'a dit clairement le président de l'Union des ulémas musulmans. D'ailleurs, selon leur idéologie, les Frères musulmans considèrent qu'ils sont les seuls à pouvoir déclarer le Califat quand ils veulent et où ils veulent.
L'histoire est pleine de récits où les chefs de cette organisation ont fait miroiter l'idée d'accorder le titre de Calife à l'un des chefs arabo-musulmans, du roi Fouad d'Egypte au roi Hassan II du Maroc, sans parler des «serviteurs des deux lieux saints» et, plus récemment, de l'ex-émir du Qatar. Mais ils n'ont jamais franchi le pas pour des considérations tactiques.
Le problème n'est pas dans cet objectif en soi mais dans les «ruses» que les islamistes emploient pour faire croire qu'ils ont abandonné leurs projet et anesthésier ainsi la vigilance des forces modernistes par un double discours qui n'est plus un secret pour personne.
Pour Ghannouchi, Qaradhaoui et les Frères musulmans: le Califat oui, Abou Bakr Al-Baghdadi non!
Une guerre de religions en perspective
Pour un bon «frère musulman», croire en l'inévitable restauration du Califat est un élément du dogme qui fait partie de la profession de foi musulmane selon le récit qu'on accorde au prophète: «Celui qui meurt sans accorder son allégeance (''baya'') à un Calife, meurt en impie!»
La divergence entre les partis islamistes porte donc sur la personne du Calife et sur le moment et le lieu de la proclamation du Califat, et non sur le principe.
C'est pour cette raison que l'un des porte-paroles d'Ansar Charia (Seifeddine Raies) s'est empressé de déclarer l'allégeance («baya»), à partir de la mosquée de Kairouan, qu'Abou Iyadh avait déclaré ville du Califat, au nouveau Calife de l'Irak. Le chef d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), a fait de même, retirant ainsi, par la même occasion, son allégeance à Aymen Al-Zawahiri, le chef d'Al-Qaïda.
La guerre insensée pour le Califat ne fait que commencer et la Tunisie risque d'en payer les frais. C'est une guerre de religions dont les conséquences pourraient être dévastatrices pour le monde islamique.
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