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La Tunisie, engagée dans une guerre régionale contre le terrorisme, est à un tournant décisif dont peu de responsables politiques saisissent la portée historique et géostratégique.

Par Imed Bahri

Kapitalis a été le premier média tunisien à avoir éclairé l'opinion, dans plusieurs articles, sur les enjeux de la formation de l'axe Alger-Le Caire, avant même la récente visite du président Abdelfattah Sissi à Alger pour rencontrer Abdelaziz Bouteflika.

L'objectif de cet axe politico-militaire est de prendre en tenailles les groupes terroristes qui ont élu domicile en Libye et de les en chasser. Pour les deux pays, il s'agit de la défense de leur sécurité nationale.

Cette stratégie conjointe suppose l'intervention des deux armées sur le sol libyen. Ce qui nécessite les feux verts des puissances internationales et de l'Otan, lesquelles ont échoué à imposer un gouvernement central formé de toute pièce à travers un simulacre de démocratie. Une telle intervention ne saurait, en effet, être menée sans l'aval de ces puissances.

Fritures entre Carthage et la Kasbah

Une réunion des pays ayant une frontière commune avec la Libye devait se tenir le 2 juin 2014 à Tunis, en présence de représentants des Etats Unis, de la France, de l'Angleterre, de l'Italie de l'Union européenne, de l'ONU et de la Ligue arabe.

Cette réunion, dont l'objectif inavoué est de donner une couverture légale à une telle intervention, était souhaitée par certaines parties en Libye, mais elle a été annulée en raison du désaccord entre le chef du gouvernement provisoire Mehdi Jomaa et le président provisoire Moncef Marzouki sur qui devait représenter la Libye, ce dernier ne reconnaissant que le Premier ministre libyen déchu, représentant les Frères musulmans.

Cependant, lors du sommet de l'Union africaine tenu récemment à Malabo, en Guinée Equatoriale, où le président égyptien Sissi avait fait impression, au grand dam de Marzouki passé complètement inaperçu, il a été décidé que Tunis abrite, sous couvert de l'Union africaine, une réunion pour décider des mesures à prendre vis-à-vis de la situation en Libye.

Cette réunion a eu effectivement lieu à Hammamet, en l'absence du ministre libyen des Affaires étrangères, officiellement «empêché» de voyager en raison de la fermeture de l'aéroport de Tripoli, sachant qu'il aurait pu voyager par la route via le poste frontalier de Ras Jedir. Mais passons...

La réunion a accordé à l'Algérie et à l'Egypte la présidence de deux commissions relatives à la Libye, notamment celle de la «Sécurité». Une fois la couverture légale et internationale acquise, la Tunisie, qui préside la commission de l'UA, l'Egypte et l'Algérie ont désormais la haute main sur le dossier libyen, sous le couvert de l'UA et avec le soutien tacite des puissances internationales.

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Rencontre entre le président du gouvernement Mehdi Jomaa avec son homologue algérien Abdelmalek Sellal, à Tebessa, dans l'est algérien: sécuriser les frontières communes.

L'axe Alger-Tunis-Le Caire

C'est ainsi que la Tunisie a rejoint, de fait, l'Axe Alger-Le Caire, en dépit de la «résistance» de Marzouki qui, on le sait, ne porte pas dans son coeur – c'est un euphémisme – ni Alger ni Le Caire. Mais c'est depuis le rencontre entre le président du gouvernement Mehdi Jomaa avec son homologue algérien Abdelmalek Sellal, accompagnés des ministres de la Défense et des Affaires étrangères et des états majors des armées des deux pays, près de Tebessa, à l'est d'Alger, non loin de la frontière tuniso-algérienne, que Tunis est devenu un maillon central de l'axe Alger-Tunis-Le Caire.

Cette rencontre est à marquer d'une pierre blanche, non seulement dans l'histoire commune des deux pays, la Tunisie et l'Algérie, mais aussi dans celle du Maghreb et du monde arabe. Ses conséquences ne se sont d'ailleurs pas fait attendre, tant sur le plan intérieur qu'extérieur. Les deux armées ont mobilisé 14.000 hommes sur leurs frontières communes et l'Algérie a mis à la disposition de l'armée tunisienne des avions russes, des drones Seekers, des avions Beach 1900 MSA, des Mig 25 RB, des hélicoptères et d'autres armes nécessaires pour la traque des groupes terroristes. Des patrouilles conjointes ont également étés formées pour ratisser la frontière.

Selon le site ''Secret Difa3'', proche des milieux de renseignements algériens, des soldats algériens participeront avec leurs homologues tunisiens au ratissage de Jebel Chaambi, information non confirmée mais non démentie non plus par les autorités tunisiennes.

Certaines officines proches du Congrès pour la république (CpR), le parti de Marzouki, expliquent la démission du chef d'état major de l'armée de terre Mohammed Salah El-Hamdi par son refus de ces opérations communes sur le territoire tunisien. Ces mêmes sources laissent entendre que c'est aussi la position de Marzouki dont les rapports avec l'Algérie sont exécrables. Mais devant le refus du porte-parole de la présidence provisoire de la république Adnen Mansar de divulguer les raisons de cette démission, tout en affirmant bien les connaître, on en est réduit à d'inutiles supputations.

Abdelfattah-Sissi-Abdelaziz-Bouteflika

Abdelfattah Sissi reçu à Alger par Abdelaziz Boureflika: une intervention égypto-algérienne en Libye n'est plus une vue de l'esprit.

Un plan d'intervention algéro-égyptien

Toujours est-il que, conjointement à l'affirmation de cette stratégie commune tuniso-algérienne pour sécuriser leurs frontières, Alger a dépêché au Caire une délégation d'experts de haut niveau, formée d'officiers de renseignements, sous les ordres directs du président algérien, pour faire valider un plan d'intervention algéro-égyptien en Libye. Il s'agit pour les deux pays d'extirper le mal à la racine, d'anéantir les réseaux terroristes actifs sur le territoire libyen, notamment à Derna, où se trouvent les chefs des organisations djihadistes, et d'y empêcher ainsi la fondation d'un Emirat islamique comme Daech en Irak.

L'armée tunisienne, qui a renforcé son contrôle sur la frontière sud pour empêcher l'infiltration des éléments terroristes dans le territoire tunisien et la région de Jebel Chaambi, dans l'ouest.

La commission «Sécurité» présidée par l'Algérie doit coordonner les actions militaires des pays ayant une frontière commune avec la Libye et qui visent à libérer ce pays de l'emprise des groupes terroristes, tout en laissant aux diplomates le soin d'agir en vue d'une solution politique concertée.

L'implication de la Tunisie dans une guerre régionale contre le terrorisme, en plus de la guerre qu'elle livre à ce fléau à l'intérieur de ses frontières, laissent penser que le pays vit un tournant décisif que beaucoup de dirigeants politiques tunisiens, obnubilés par les prochaines élections, ont du mal à saisir les tenants et les aboutissants.

IllustrationAbdelmalek Sellal accueille Mehdi Jomaa à Tebessa, dans l'est algérien.

 

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