Dans cette lettre qu’ils nous ont fait parvenir, les fils d’Abdelwaheb Abdallah, l’ancien conseiller de Ben Ali, évoquent le parcours de leur père. Nous ne pouvons leur dénier le droit de présenter leur version de ce parcours. Version qui, bien sûr, ne nous engage pas.
Nous, les fils d’Abdelwaheb Abdallah, souhaitons apporter une brise de vérité au milieu d’un ouragan de mensonges concernant notre père qui a pris une ampleur démesurée à partir du 13 janvier 2011. Oui, le 13 janvier 2011! Mais avant de rétablir la vérité sur son parcours politique, nous souhaitons éclaircir ce qu’il avait vécu durant la dernière semaine du régime déchu.
Il jouait un rôle de paratonnerre pour Ben Ali
Contrairement à de nombreuses versions ayant circulé dans toutes sortes de médias, Abdelwaheb Abdallah a été évincé le 11 janvier et non le 13. Déjà, le 12 janvier, Sakher El Matri annonçait déjà la couleur à une bloggeuse bien connue: le bouc-émissaire était déjà désigné. Le dernier discours du président-déserteur continuait le travail avec le fameux «Ghaltouni!» («J’ai été induit en erreur»). Le chef d’œuvre s’achevait en apothéose lors du plateau de télévision suivant produit par Cactus Prod. Ce rôle du bouc-émissaire attribué à notre père par Ben Ali lui-même allait continuer après la fuite du dictateur. Nous y reviendrons.
Abdelwaheb Abdallah était le dernier ministre de l’Information de feu le président Habib Bourguiba. Il a été reconduit dans le premier gouvernement de Ben Ali pendant… quelques mois. En octobre 1988, il était nommé ambassadeur de Tunisie au Royaume-Uni et en Irlande. Il y restera durant trois ans. Cette période a coïncidé avec la mise en place du Rcd, de son fonctionnement, de ses rouages… et de son système de financement.
A son retour à Tunis, notre père a été nommé Ministre-conseiller Porte-parole de la Présidence. Durant cette période, il était en charge de la communication. Il a subi les foudres du dictateur en d’innombrables reprises pendant qu’il jouait le rôle de paratonnerre pour Ben Ali dans ses relations avec les médias. Contrairement à une idée fort répandue, il n’a joué qu’un rôle d’intermédiaire entre Ben Ali et les communicants et n’a jamais vraiment été décideur pendant qu’il occupait cette fonction. Les circonstances de sa première éviction, le 7 novembre 2003, montreront à quel point Abdelwaheb Abdallah ne bénéficiait ni de la confiance ni de l’estime du dictateur.
Limogé à cause des vêtements cintrés de Leïla
Ce jour là, au cours d’un reportage diffusé au télé-journal de 20h de la Chaîne nationale, un plan de quelques secondes montrait Leïla moulée dans des vêtements cintrés. L’image n’a pas plus au président déchu. Il s’en est suivi un coup de fil nocturne à notre père, comme Ben Ali en avait le secret pendant 13 ans, où fleurissaient une colère inqualifiable et des reproches disproportionnés adressés à notre père. Le lendemain, il apprit à la radio qu’il était viré.
Cette date-là a marqué la fin de ses responsabilités dans le domaine de l’information. D’autres hauts-responsables ont pris le relais depuis. Mais ils ont toujours utilisé l’alibi Abdelwaheb Abdallah pour se couvrir.
Ainsi, entre novembre 2003 et août 2005, notre père a gardé son poste de Ministre conseiller, mais il a été, tout au long de cette période, en marge de toutes les problématiques politiques du pays. Ben Ali l’a gardé à ce poste afin d’entretenir la fausse réputation qu’il n’abandonnait jamais complètement quelqu’un qui a travaillé avec lui…
En août 2005, Abdelwaheb Abdallah a été éloigné du palais présidentiel et nommé ministre des Affaires étrangères. Oui, nous disons bien éloigné car sa présence au Palais commençait à gêner un certain nombre de personnes qui ont fini par obtenir son éloignement. Il est resté à ce poste jusqu’en janvier 2010.
C’est à la suite de cette nomination qu’il a intégré, en 2006, le bureau politique du Rcd. En effet, le président Ben Ali imposait à tous les ministres de souveraineté d’intégrer cette instance. Du fait de son activité intense au sein du ministère des Affaires étrangères, son statut au parti n’était qu’honorifique et il ne disposait d’aucun pouvoir de signature dans ses instances. Aussi n’a-t-il jamais eu à faire de collecte de fonds ni à gérer, en aucune façon, les finances du parti. Ces tâches étaient du ressort du président du parti, des vices-présidents, des secrétaires généraux, de leurs adjoints et des trésoriers.
Limogé une deuxième fois à cause d’une nomination d’ambassadeur
Nous laissons aux lecteurs le soin d’imaginer le nombre de personnes que cela représente sur 23 ans et surtout la longueur d’une procédure judiciaire équitable sur de présumées malversations financières au sein du parti…
En janvier 2010, Abdelwaheb Abdallah est, du jour au lendemain, démis de ses fonctions de ministre des Affaires étrangères. Les raisons de son éviction sont aberrantes: il a tenu tête à certains membres du clan Ben Ali à propos d’une nomination d’ambassadeur!
Quelques jours plus tard, notre père a été nommé Ministre conseiller à la Présidence «chargé des Affaires politiques». On aurait très bien pu appeler cela un frigo, car les nouveaux maîtres de Carthage voulaient absolument l’isoler. Ses deux collaborateurs (oui, seulement deux, y compris son assistant) et les anciens employés de la Présidence peuvent témoigner du peu d’activité qu’assurait son bureau. Et bien qu’il fût «chargé des Affaires politiques», il ne s’était jamais entretenu avec les responsables de la société civile, des syndicats, des partis d’opposition ou un quelconque acteur politique… Un autre conseiller à la présidence était en charge de ces missions.
Il est également important de signaler que, durant cette dernière année, il n’a rencontré le président déchu en tête à tête qu’une seule fois: le jour de son débarquement au Palais. Les archives de la présidence en font foi. Et ce jusqu’au 11 janvier 2011…
Le 14 janvier au soir, notre maison à La Marsa a été pillée
Le 14 janvier 2011, nous avons appris, notre père et nous, en même temps que tous les Tunisiens, que le dictateur avait pris la fuite. Ce soir là, notre maison, que nous avons habitée depuis 1984, située dans un quartier populaire de La Marsa, a été pillée par des voleurs. Elle n’a été ni brûlée ni saccagée comme cela a été parfois annoncé. De nombreuses maisons ont subi le même sort dans notre quartier depuis des années et, en particulier, durant cette période d’insécurité qu’a traversé le pays.
Nous avons donc été contraint d’habiter quelque temps chez des proches, il n’a jamais été question de fuite ou de voyage ou de quoi que ce soit d’ailleurs. Le 22 janvier, à l’annonce du fameux «communiqué», notre père a contacté les autorités pour leur donner ses nouvelles coordonnées. A partir de cette date, il a été mis officiellement en résidence forcée. Pour quelles raisons? Sur la décision de qui? Dans l’intérêt de qui?
Le jeudi 10 mars, notre père a été arrêté sur une décision du ministère de l’Intérieur. Les procès-verbaux de son interrogatoire par la police le soir même en attestent. Le lendemain, vendredi 11 mars, il a été présenté au procureur de la république et au Juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis. Tous les deux ont refusé de l’entendre étant donné qu’ils ne l’avaient ni assigné ni convoqué.
C’est finalement sous la pression de certaines parties qu’une instruction a été officiellement ouverte le lendemain, samedi 12 mars, et annoncée publiquement dans les médias.
Il a ainsi été convoqué au Palais de Justice afin d’être entendu par le juge d’instruction dans l’affaire de «détournement d’argent public par le biais et au profit du parti Rcd» et de «collecte de fonds auprès de particuliers et d’entreprises pour financer ses activités».
La plainte avait été déposée par 24 avocats contre 16 anciens membres du Rcd. Parmi ces 16 personnes, seules 3 ont été mises en garde à vue, entendues et incarcérées, et ce en l’espace de 3 jours. 6 personnes ont, par ailleurs, été mystérieusement retirées de la liste!
Son parcours politique ne lui a pas servi pour s’enrichir
Cette affaire, dans laquelle notre père est accusé de corruption, n’est fondée sur aucune preuve, en tout cas en ce qui le concerne. Une simple enquête sur ses avoirs financiers et fonciers démontrera, par la modestie relative de ces avoirs, que son parcours politique ne lui a, en aucun cas, servi pour s’enrichir. Son arrestation arbitraire, l’humiliation publique qu’il a subi au sein même du Palais de Justice, la décision de son incarcération devant les caméras de la télévision nationale alors qu’il n’est qu’un simple prévenu, suscitent en nous un sentiment d’injustice.
Pourquoi les principaux et vrais responsables du Rcd jouissent-ils de leur liberté pendant que notre père est emprisonné? Pourquoi les principaux signataires du parti ne sont-ils pas entendus? Pourquoi les médias relayent-ils des informations diffamatoires et irresponsables sans même mener une brève investigation?
Nous ne voulons pas que notre père serve de bouc-émissaire. Nous ne voulons pas que son emprisonnement serve à protéger les intérêts de certains.
Nous sommes tout à fait conscients qu’il a fait partie de l’espace politique pendant des années; nous disons seulement qu’il ne mérite pas une telle persécution. Il n’a jamais commis ni de crime, ni de détournement de biens, ni tiré un quelconque avantage de ses positions tout au long de sa carrière politique. Une vraie justice indépendante le prouverait sans aucune difficulté.
Le peuple tunisien s’est soulevé pour voir enfin naître une Tunisie démocratique basée, entre autres, sur une justice équitable et indépendante. Notre système judiciaire est en train de se reconstruire grâce à la forte volonté de tous ceux qui en font partie. Nous espérons que notre père ne sera pas une victime de cette difficile phase transitoire.
Nous sollicitons la vigilance du peuple tunisien quant à la situation profondément injuste et humiliante dans laquelle se trouve un homme de 71 ans opéré du cœur en 2008 et diabétique de surcroît, emprisonné sans preuve aucune.
Les fils d’Abdelwaheb Abdallah
Fait à Tunis, le 31 mars 2011