Dans une lettre au ministre tunisien des Droits de l’homme, Amnesty International exprime son inquiétude concernant les propos que ce dernier a tenus sur l’homosexualité lors d'une interview télévisée début février 2012.


Dans une lettre en date du 23 février, l’organisation internationale a exhorté Samir Dilou, ministre des Droits de l’homme et de la Justice de transition, à revenir sur ses propos du 4 février, dans lesquels il déclarait que l’homosexualité n’était pas un droit humain, mais une perversion qui nécessitait un traitement médical.

Des lignes rouges ?

Répondant à des questions sur la naissance d’un magazine gay en Tunisie, Samir Dilou a aussi affirmé que «la liberté d’expression a ses limites. Ils [les gays, les lesbiennes et les personnes bisexuelles] ne doivent pas franchir la ligne rouge fixée par notre culture, notre religion et notre civilisation.»

«Ces commentaires sont extrêmement décevants, en particulier venant de la personne même qui devrait veiller à la protection des droits humains de tous les Tunisiens», a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International.

«Ce ne sont pas là que des mots. Cautionner la discrimination pour des motifs liés à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre revient à donner le feu vert aux violations les plus graves des droits humains.»
«Le ministre doit revenir sur ses déclarations et défendre clairement les droits fondamentaux de tous les Tunisiens.»

Ni maladie ni perversion

Dans sa lettre, Amnesty International souligne que cela fait plusieurs dizaines d’années que l’homosexualité n’est plus considérée comme une maladie ni une «perversion» par les organisations et associations médicales internationales.

L’Organisation mondiale de la santé l'a officiellement retirée de sa Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes en 1990, et elle ne figure plus dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux depuis 1973.

Des études ont montré que les commentaires homophobes tenus par des dirigeants et des gouvernements avaient des retombées sur l’opinion publique et pouvaient amener les gens à penser que la discrimination, l’intimidation et les attaques à l’égard des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles étaient acceptables.

Amnesty International a souligné que ce n’était pas la première fois ces derniers mois que des membres de la nouvelle élite politique tunisienne faisaient des déclarations fragilisant les droits humains.

Tuer, crucifier ou amputer

Ainsi, le 23 janvier 2012, Sadok Chourou, député du parti Ennahdha (Renaissance) – qui a remporté une majorité de sièges à l’Assemblée constituante – a tenu à l’Assemblée constituante un discours dans lequel il justifiait le recours à la violence contre les manifestants, affirmant que le Coran permettait de tuer, de crucifier ou d’amputer des mains ou des pieds ceux qui sèment le «désordre sur la terre».

Le 9 novembre 2011, un autre député d’Ennahdha, Souad Abderrahim, a pour sa part déclaré à la radio que l’État ne devait pas aider les mères célibataires car leur comportement n’était pas conforme à la culture tunisienne et ne devait pas être encouragé.

Ce courrier d’Amnesty International intervient à l’heure où les autorités tunisiennes sont soumises à une pression croissante leur demandant de montrer la voie en matière de droits humains.

Mi-février, la visite en Tunisie de Wajdi Ghanim, éminent prédicateur égyptien connu pour ses prises de position favorables aux mutilations génitales féminines (Mgf), a suscité une vaste controverse et a conduit la ministre tunisienne des Affaires de la femme à dénoncer publiquement cette pratique.

«Nous saluons le fait qu’une ministre ait pris fermement position contre la pratique des Mgf», a déclaré Hassiba Hadj Sahraoui. Qui a ajouté : «Malheureusement, de telles déclarations sont réduites à néant par d’autres qui cautionnent les violations des droits humains.»

«En tenant ce type de discours à propos de groupes vulnérables ou marginalisés ou des contestataires, les membres de l’élite politique tunisienne fragilisent les droits humains et ouvrent clairement la voie à leur violation», dit-elle encore, ajoutant que «les autorités tunisiennes ne doivent pas se contenter de manifester un attachement de pure forme aux droits humains, mais être réellement moteurs dans leur protection.»