Village moyenâgeux, perdu entre collines et plateaux. Routes qui ressemblent à tout sauf à des routes. Mais une volonté farouche de déterrer les trésors de Zama pour redonner vie à Jama.
Par Zohra Abid


De mémoire des séniors, on n’a jamais vu un cortège pareil dans la région. La visite des ministres de la Culture, de la Femme, du Tourisme – sans compter les hauts cadres d’autres ministères, les journalistes, les archéologues et les artistes – restera dans les annales du village. Jeudi 16 juin, un jour gravé dans la mémoire à Jama (ou Zama, site historique à 9 km de Siliana). Suivons le cortège…

Y a fête à Dar Zama Hannibal
«Depuis la révolution, la télévision a diffusé des reportages sur les gouvernorats voisins, mais rien sur le nôtre. Nous allons parler de vive voix aux ministres et nous allons, nous aussi, passer à la télé», a dit avec le sourire à Kapitalis mademoiselle Brari. Soudain, la fille blêmit en se rappelant de son frère handicapé et souffrant. «Mourad, 42 ans, a perdu un œil et boite de la jambe à cause d’une pierre qui lui est tombée dessus alors qu’il était en bas dans le chantier. Il touchait 8 dinars par jour et il n’était pas assuré. Je vais raconter tout cela au ministre», a-t-elle dit.


Hommes et animaux vivent dans les ruines.

Des filles à l’âge du printemps racontent qu’elles n’ont rien à faire dans le village sauf de se tourner les doigts ou de faire... des enfants. «La couture ne marche pas. L’agriculture, non plus. Notre terre n’est bonne que pour les céréales. Notre spécialité, le mermez à base de blé concassé (sorte de vermicelles). Nous souhaitons le commercialiser dans le monde entier. C’est du bio», rêve l’une des jeunes femmes. Elle traîne derrière elle trois petits.  
Pour les villageois (es) comme pour les autorités, grâce à ce  site archéologique, Zama serait un pôle touristique. Tout le monde a entendu parler de ce projet national, tous y croient! Et il y a de quoi.


Siège de l'association Dar Zama Hannibal.

L’association Dar Zama Hannibal, que vient de créer Noureddine Ghenimi, va leur donner des ailes, et un sens à leur vie. Ici, l’accueil est simple, mais chaleureux. Youyous partout comme s’il y avait un mariage dans ce patelin où tous sont des parents.

Des km à pieds, ça use...
Le siège de l’association Dar Zama Hannibal érigé sur les hauteurs n’est pas loin des ruines datant du 5e siècle avant Jésus. Dans l’une de ses trois petites pièces, sur des étalages, on a posé des pots de miel de mille et une fleurs, des sachets de pin d’Alep, du mermez, et autres produits de Jama. «La culture est biologique et sans engrais chimiques. Ce secteur est à développer», a lancé la représentante du ministère de l’Agriculture. Dans les deux autres pièces, du pain tabouna, du miel, du lait caillé, des crêpes traditionnelles faites par les femmes pour tous. Tous ont dégusté...
Des hommes pressés pour rencontrer les politiques. C’est l’occasion où jamais ! A chacun sa demande: une carte de soins, un travail permanent, une pension pour un fils lycéen... Tous parlent en même temps et chacun pour soi. Plus loin, d’autres ont préféré parler aux médias. «Je viens de Frayjia à 4 km d’ici. L’été, la lune éclaircit nos soirées. L’hiver, les lampes à pétrole», a dit un trentenaire. «Moi, je viens de Awled Jouine à 5km. Je dois ramener l’eau potable de la source d’ici à dos de mon âne. Pour aller à l’école, nos enfants empruntent des pistes inaccessibles avec des caillasses et des risques. Imaginez en hiver avec vents et pluies. En fin de journée, ils sont usés. Rares sont ceux qui continuent leur scolarité».
Un quinquagénaire a fait le déplacement d’un autre village à pieds sous un soleil de plomb. Selon lui, sa vie est plus que dure. «Je vis avec femme et enfants dans une grotte qui ressemble à cette écurie... Imaginez !». Ce que l’homme a montré du doigt n’était pas une écurie, mais un vestige d’une civilisation lointaine.

Dans le ventre de Jama, de petits trésors
«J’adore toucher la pierre. La sensation est indescriptible. Fabriquer des bijoux avec des motifs propres à Zama et les exposer dans une boutique autour du village, c’est un rêve», raconte Fatma. Son mari apiculteur ne travaille pas à temps plein. Lui aussi veut fouiner dans les ruines de ses ancêtres. «Dougga, Sbeitla, Kairouan sont chanceux. Trois mille touristes par an visitent Makthar, 500 autres le Krib. Mais Siliana est condamnée à l’isolement. Pas de boulot donc pas d’avenir. Jama a toutes les chances pour devenir un site visité», a lancé l’archéologue Ahmed Ferjani.


Les filles de Jama seront formées à la sculpture de la pierre.

Pour se développer, Siliana a besoin aussi de ses hommes et de ses femmes. Jama compte aujourd’hui 25 familles. Elle est désertée par ses propres habitants vivant aujourd’hui à la Cité Fattouma Bourguiba et à la Cité El Khadhra, à Tunis. Si ce projet se développe, ils reviendront et repeupleront leur village.
«Il ne suffit pas d’y croire ! Il faut une volonté, des efforts, du concret, un coup de pouce», a insisté le ministre de la Culture, qui a promis une aide de 5.000 dinars à l’association.  
Le ministère de la Culture doit donc restaurer le site archéologique, celui du Transport s’occuper des routes et des circuits, celui du Tourisme, bâtir des boutiques et une unité d’habitations, celui de l’Emploi et de la Formation professionnelle, ouvrir des centres pour former des artisans et celui de la Femme, d’assurer l’encadrement des femmes et la coordination entre tous ces ministères pour que le projet pilote de Zama devienne une réalité.
Moncef Khémiri, gouverneur de Siliana depuis peu, a constaté que la région manque presque de tout. «A Siliana, tout est priorité. L’enseignement aussi ! Chaque année, 100 élèves au moins réussissent au concours d’entrée au collège pilote, mais faute de moyens, ils n’iront ni aux lycées du Kef ni de Kairouan et s’arrêteront en cours de route. J’en ai parlé au ministre de l’Education. Siliana serait doté d’un collège pilote», a-t-il annoncé.

Artistiquement vôtre !
La présence de tous ces ministres à Jama s’explique, celle des journalistes, aussi. Et la quinzaine d’artistes plasticiens et photographes, que sont-ils venus faire? C’est pour la bonne cause de Zama. S’inspirant des sites, ils ont passé la journée à peindre des tableaux, tirer des photos. Leurs œuvres seront exposées et vendues du 9 au 13 juillet au Centre des Arts vivants de Tunis. Autre bonne nouvelle, l’artiste calligraphe Nja Mahdaoui vient, lui aussi, de faire un geste. Il a offert à l’association un tableau qui sera exposé à la vente. Venez nombreux!
La visite est terminée. La journée aussi. Les invités de Tunis sont rentrés, laissant derrière eux des gens rêver. Route difficile! Chaussée lézardant entre collines et plateaux dorés. Nous sommes en pleine saison de la moisson de blé. De temps à autre, au loin, une mosquée ou un mausolée se profile. Le long de la route, sur la cime des poteaux d’électricité, des oiseaux migrateurs faisant leur nid de paille. Trois heures de route pour 130 km, ce n’est pas rien. Une escale s’est imposée... sur le bas- côté. Car le long du chemin, pas l’ombre d’une seule aire de repos. Elle est si loin Jama, et pourtant si proche de nos cœurs.