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Gafsa, la plaie béante du sous-développement en Tunisie

GafsaLes bonnes volontés devraient se concerter dans le cadre d’assises ou états généraux pour refonder le concept du développement dans la région du bassin minier de Gafsa.

Par Abderrazak Lejri et Lakhdar Souid*

La situation dramatique et sérieusement préoccupante prévalant à la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), durement frappée par une paralysie totale depuis plusieurs semaines, provoquant l’arrêt net de tout le cycle de production, de transformation, de transport et d’exportation, fait que cette entreprise jadis prospère s’enlise dans des difficultés incommensurables et dont la reprise de l’activité est un défi majeur qui pourra, nous l’espérons, être relevé.

Problèmes récurrents et priorités pressantes

La batterie de 25 mesures annoncées par le chef du gouvernement Habib Essid en faveur de la région, censée calmer les esprits, apaiser les tentions et assagir les récalcitrants, n’a visiblement pas rencontré l’adhésion des populations et a paradoxalement jeté de l’huile sur le feu, provoquant une spirale de revendications avec pour paroxysme un appel à la grève générale dans toute la région pour aujourd’hui, mercredi 20 mai 2015.

Cela tient au fait que les gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution (les problèmes du bassin minier se sont accumulés depuis des années dans un ostracisme orchestré par l’ancien régime) ont eu une attitude autiste, permissive et réductrice en se focalisant sur la CPG au lieu de se pencher sur les problèmes récurrents et les priorités pressantes et cruciales de la région, à savoir un sous-développement avec ses composantes les plus criardes. Nous en citerons: un chômage endémique des jeunes, une infrastructure dégradée et désuète depuis des décennies, le tarissement des nappes phréatiques du au pompage intensif au profit des laveries du phosphate, la réduction des surfaces cultivées notamment dans les oasis effeuillées, chenues et menacées de désertisation par manque d’eau, une infrastructure routière crevassée, une politique sanitaire caduque (pas un seul hôpital n’a été construit à Gafsa en 59 ans d’indépendance et l’unique bâtiment abritant les services régionaux de la santé a été construit dans les années 50 par le génie militaire du colon français) et in fine le problème environnemental, tant la pollution empoisonne la vie des citoyens: maladies respiratoires, sous-qualité de vie.

D’aucuns se poseraient cette question légitime et recevable : pourquoi spécialement Gafsa alors que d’autres régions de l’intérieur souffrent des mêmes syndromes et subissent les conséquences similaires dues au déséquilibre régional au profit des régions privilégiées du littoral volontairement favorisées par les pouvoirs successifs depuis l’indépendance?

Tout simplement pour la bonne raison que les populations de Gafsa et du bassin minier errent assoiffés, affamés et désœuvrés dans un fleuve en crue charriant un minerai valant son pesant d’or sans bénéficier de la moindre portion.

Un retard à l’allumage

Notre élite politique et nos «éminents experts» – après s’être occupés de leur positionnement au pouvoir – se sont rendus compte avec un retard à l’allumage que le tarissement des revenus du phosphate grevait fortement le budget national, sachant par ailleurs que moult efforts diffus et soutenus sont déployés en toutes directions pour quémander et quérir des concours de financements extérieurs à des coûts usuriers pour boucler le budget de fonctionnement.

A contrario, l’Office chérifien des phosphates (OCP) au Maroc voit ses revenus exploser et dont la direction – loin de tout tiraillement politique – a misé sur le redéploiement et la reconversion progressive des bassins miniers et des hommes dans ce qui est une véritable politique environnementale – qui n ‘est pas fictive et une vue de l’esprit – basée sur une dépollution des déchets toxiques, hydriques et atmosphériques (projet de mine verte écologique de 350 hectares avec un investissement de 440 millions d’euros).

Il n’ y a pas que l’autisme et la myopie qui ont dicté à nos dirigeants successifs une politique à l’emporte-pièce caractérisée par une confusion dans la conception et une improvisation dans l’action aboutissant à des programmes désordonnés et inadaptés pour avoir l’adhésion d’une coalition composite de quatre partis opportunistes à la courte vision, l’essentiel étant de garantir un exercice du pouvoir avec une confortable majorité.

Manque visible de courage et d’autorité

Ce qui explique surtout l’avènement de ce état catastrophique, c’est le manque visible de courage et d’autorité et de planification stratégique pour:

• se déplacer sur site et faire un état des lieux (hormis des déplacements de quelques ministres à des visées politiques, aucun chef de gouvernement n’a eu la témérité d’affronter par sa présence physique la réalité en face);

• mettre le doigt sur les causes profondes de la corruption instaurée par la mafia des relais de l’ancien régime qui n’a fait que proliférer, et en traduire les barons devant la justice;

• rectifier le tir quant au chantage à l’intégration au sein de l’effectif déjà pléthorique de la CPG et de ses deux filiales moribondes chargées du transport et de l’environnement créées par lâcheté par les gouvernements successifs pour masquer les véritables problèmes;

• dénoncer les emplois fictifs au sein de la société chargée de l’environnement dont l’objet ne correspond à aucune réalité, intégrant dans ses effectifs les repris de justice élargis par la Troïka et tous les petits malins et trafiquants qui ont – moyennant complicités locales et corruption – bénéficié d’une intégration indue pour toucher un salaire sans jamais travailler tout en vacant, soit au pays soit même à l’étranger, à d’autres occupations rémunérées, et en licencier sur le champ les bénéficiaires fraudeurs;

• démonter le processus qui a conduit à faire racheter par la CPG à prix d’or le parc constitué par les rossignols des sociétés appartenant à des hommes de main de l’ ex-famille régnante chargées du transport du phosphate dissoutes après la révolution et à faire supporter toutes les charges salariales à la Société tunisienne des transports des produits miniers (STTPM), d’un effectif habitué aux anciennes combines et méthodes de corruption et qui continuent, sans travailler, à phagocyter ce qui reste du parc dans un immense trafic de pièces détachées;

• punir avec la plus grande sévérité les acteurs et commanditaires qui paralysent le transport par le rail au profit des propriétaires de parc de véhicules flambants neufs avec un niveau de facturation cinq fois supérieur, ce qui a mis à genoux la SNCFT, sans parler de la politique du tout sécuritaire qui avec 139 détenus à ce jour envenime encore plus un climat déjà explosif.

Chantage et diktat des barons de la corruption

Les agissements de certains excités – sous le prétexte de bénéficier d’un emploi qu’il soit fondé et durable ou non – qui veulent tous un statut STTPM, devenu la référence car permettant de disposer systématiquement d’un emploi sensé être à vie au sein d’une société étatique et d’un salaire sans travailler – ont démontré que, dans le cadre d’une prise de décision pyramidale, seul le rapport de force prime.

Ces énergumènes représentent un mauvais exemple pour les jeunes travailleurs désireux de gagner leur pain quotidien à la sueur de leur front et en mouillant leur chemise alors que ceux qui passent leurs journées entre cafés, bars, et au passage de petits trafics sans lever le pouce, garantissent un revenu supérieur au plafond du SMIG expliquant par ricochet la rareté de la main d’œuvre dans un contexte de taux de chômage élevé!

Quant aux véritables problèmes qui ont fait l’objet de saupoudrage de mesures dont la majorité étaient identifiées et proposées par les diverses promesses électorales –émanant soi-disant des populations elles mêmes, ce qui est pure démagogie – tout en sachant que le soubassement structurel de l’infrastructure préalable à envisager est un besoin qui ne peut être satisfait qu’à moyen terme, la réaction négative des populations de la région – jugée par certains comme une surenchère irrationnelle – vient tout simplement du déficit de crédibilité et d’autorité du gouvernement Essid et de l’Etat.

Les citoyens n’ont tout simplement pas admis qu’on puisse les considérer assez crédules et naïfs pour leur faire avaler la présentation du vieux pour du neuf, attisant les feux de la discorde et élargissant le fossé entre un gouvernement qui cherche encore ses marques d’une part et des populations qui ont enduré quatre années d’attente d’un avenir meilleur qui tarde à se concrétiser.

En réalité, le gouvernement mollasson de M. Essid – agissant dans le sillage de l’hyper centralisme du pays faute de véritable décentralisation régionale – loin de répondre aux véritables attentes des populations d’une région marginalisée depuis longtemps, n’a fait qu’obéir au chantage et au diktat des barons de la corruption, aux corporatismes régionaux, et aux criminels et dans la foulée, aux divers spécialistes de la fraude et aux petits trafiquants et petits malins, manipulables à souhait, pour escompter avoir la paix au sein d’un outil productif que tout un chacun ne peut que souhaiter.

La non clairvoyance du gouvernement – malgré les interventions explicites des élus de la région (Adnen Hajji et Ammar Amroussia) – fait qu’il n’a pas encore saisi que la solution de la CPG-GCT se trouve en dehors de la «Compagnie». Pour preuve, ceux qui en perturbent jusqu’à la paralysie le fonctionnement ne sont pas ses employés et cadres empêchés de travailler, mais des citoyens qui ne sont plus dupes pour croire aux promesses non tenues parmi lesquels s’infiltrent, comme dans tout mouvement, des agitateurs manipulés.

Cependant, si la première responsabilité de la dégradation de la situation dans la région de Gafsa en général et son bassin minier en particulier incombe indubitablement à l’Etat, n’y a t-il pas lieu de s’interroger sur la part de responsabilité de ses citoyens et notamment les élus et la société civile?

Il est temps que toutes les bonnes volontés se concertent pour organiser des assises/états généraux en vue d’une refondation de tout le concept du développement dans cette région; et pourquoi pas imaginer un mode de transport par pipeline à l’instar du projet Minéroduc déjà réalisé à l’OCP du Maroc et qui est actuellement l’une des options privilégiées dans le projet d’exploitation de la mine de phosphate de Tozeur-Nefta, laquelle, selon toute vraisemblance, entrera en production au cours de l’année 2017.

Blog de l’auteur.

* Respectivement chef d’entreprise et journaliste.

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