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Disparités fiscales et inégalités sociales en Tunisie

Fraude-fiscale

Pour éviter que l’iniquité fiscale ne provoque une explosion sociale le gouvernement devrait déployer des task-forces pour explorer les gisements d’évasion fiscale.

Par Mohamed Chawki Abid*

Depuis 4 ans, nous assistions au développement d’une mafia de business-voyous. Celle-ci occupe progressivement les terrains libérés par la famille Ben Ali et s’ingénie à opérer des OPA amicales sur les partis politiques homologués par les partenaires de la Tunisie (pays «amis», institutions financières internationales, entreprises transnationales…).

La mafia de la délinquance commerciale et de l’évasion fiscale constitue aujourd’hui le principal pourvoyeur d’argent politique et l’un des bailleurs de fonds du terrorisme. En assurant le financement des principaux partis au pouvoir, cette association de malfaiteurs réussit à les prendre en otages, les faire chanter comme bon lui semble, et à leur prescrire une feuille de route non conforme aux priorités basiques de l’Etat.

Torturer le bon payeur et laisser filer le fraudeur

Concernant la mobilisation des finances publiques, elle s’évertue à vider le projet de «réforme fiscale» de ses substances utiles, tout en favorisant l’amplification de la disparité contributive et en empêchant la convergence vers l’équité fiscale. Par conséquent, le gouvernement de sous-traitance semble ériger une Loi de finances (LFC’2015) «light» et n’y intègre aucune disposition fiscale visant l’amélioration triennale de la recouvrabilité des créances fiscales évadées et de la répartition de la charge contributive. Bien au contraire, le mot d’ordre serait le suivant: «Torturer le bon payeur, et laisser filer le fraudeur». Aussi, ne va-t-il pas faire du dos au plan de réforme fiscale élaboré consensuellement au terme de deux ans de réflexions et concertations?

Au moment où les millionnaires et les milliardaires deviennent de plus en plus nombreux, brassant des profits colossaux en noir, les salariés et les prestataires se paupérisent et se sur-endettent. En outre, ils observent leur pression fiscale s’alourdir venant écraser leur pouvoir d’achat, à l’inverse des malfaiteurs structurels dont la charge contributive s’allège graduellement eu égard à la déficience des mécanismes de contrôle quand leur indice de tolérance n’est pas évolutif.

A présent, le Trésorier de l’Etat se veut être obéissant face aux instructions qui lui sont livrées par des lobbyistes, dans le cadre de la mobilisation des ressources au titre du Budget de l’Etat 2015:

1- faire montre de générosité avec les grands fugitifs des impôts et les fraudeurs des douanes, en guise de renvoi d’ascenseur pour leur précieuse collaboration pré-électorale;

2- différer l’intégration progressive dans la LFC’2015 des mesures du plan de réforme fiscale, pour offrir un délai de grâce supplémentaire aux voyous de la délinquance commerciale;

3- maintenir la pression fiscale sur les contribuables asservis par le système de le «retenue à la source», particulièrement les salariés observant déjà une paupérisation rampante;

4- recourir sans hésitations à la «planche à billets» pour boucher les trous du titre I, ainsi qu’aux emprunts extérieurs en dépit de l’insoutenabilité de la dette.

Iniquité fiscale et explosion sociale

Si elles venaient à être confirmées, ces consignes auraient pour conséquences l’aggravation de la disparité contributive et l’amplification de l’iniquité fiscale, sachant que l’enjeu de l’évasion fiscale avoisinerait les 10 milliards TND par an (toutes formes confondues), soit près de 40% du Budget de l’Etat.

Mais le plus inquiétant dans cet environnement de traîtrise et d’injustice, c’est le silence assourdissant des partis d’opposition et particulièrement des formations de gauche, qui semblent être distraits par des sujets idéologiques non plus importants.

Face à l’accentuation des disparités fiscales et des inégalités sociales, Habib Essid gagnerait à se libérer des réseaux d’influence qui le ligotent, et devrait prendre ses responsabilités pour atténuer l’iniquité fiscale et éviter une explosion sociale.

Dans cette perspective, au lieu de tomber dans le piège de l’instauration de nouvelles taxations qui viendraient torturer les bons contribuables, il devrait sélectionner parmi le personnel pléthorique de l’ensemble de l’Administration des agents de recouvrement (entre 500 et 1000) en vue de les redéployer au ministère des Finances et renforcer la structure de contrôle fiscale.

Ce faisant, ces task-forces seront dotés d’outils appropriés pour explorer les plus grands gisements d’évasion fiscale (gros BIC, BNC récidivistes, industries extractives, capos de l’économie souterraine) dans le cadre de la législation fiscale en vigueur.

De l’avis des spécialistes en la matière, la mise en œuvre d’une telle stratégie permettra d’atteindre d’excellents résultats à court terme.

* Ingénieur économiste.

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