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El-Hadhra à Carthage : Le soufisme dans l’âme des Tunisiens

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Le remake du spectacle El-Hadhra du talentueux Fadhel Jaziri a été l’un des grands moments du festival de Carthage.

Par Rachid Barnat

Ce qui frappait de prime abord, quand on entrait dans l’amphithéâtre romain de Carthage, en cette chaude soirée du samedi 25 juillet, c’était l’immense foule disciplinée qui se dirigeait dans le calme vers ce lieu magique comme pour communier avec Fadhel Jaziri, grand adepte du soufisme, natif de la médina de Tunis, et ami d’enfance d’un autre célèbre Tunisois, l’écrivain Abdelwahab Meddeb, qui nous quitta il y a quelques mois.

Une heure avant le début du spectacle, l’amphithéâtre antique était archi-comble de spectateurs ravis de renouer avec leur identité religieuse immémoriale, façonnée par des siècles d’islam malékite et de soufisme, la mystique musulmane.

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Les feux d’artifice du 25 juillet.

Magnifique bouquet de feu d’artifice

Ce spectacle n’a pas été programmé pour le 25 juillet par hasard, et les organisateurs n’en ont pas fixé le prix unique à 25 dinars par hasard non plus: c’était une façon de fêter dans la joie, en ce 25 juillet, fête de la république tunisienne, proclamée en 1957.

Pour cette occasion, les organisateurs nous ont offert un magnifique bouquet de feu d’artifice en prélude au spectacle d’‘‘El-Hadhra’’.

Parmi les invités d’honneur, il y avait Habib Essid, chef du premier gouvernement, issu des premières élections libres et démocratiques tunisiennes. Il portait la «jebba», tenue traditionnelle tunisienne, qui lui sied bien, comme pour affirmer aux Tunisiens son attachement à l’identité nationale, n’en déplaise à ceux qui voudraient la remplacer par une autre venue du désert d’Arabie.

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Le public de Carthage résiste à sa manière à l’extrémisme religieux en montrant son attachement au soufisme tunisien.

Le spectacle se compose de chants et de danses soufis où Fadhel Jaziri a repris des thèmes puisés dans le patrimoine liturgique, musical et rythmique tunisien, lui qui a côtoyé dans son enfance les «zaouias» de la médina de Tunis, lieux de culte et de méditation, dédiés à la mémoire de saints hommes, théologiens et hommes de lettres, adeptes du soufisme. A travers ce spectacle, le metteur en scène a voulu, également, partager ses souvenirs et communier avec un public, marqué lui aussi par cette même culture.

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Fondre dans l’entité divine et faire un avec Allah.

D’ailleurs, le spectacle ne se passait pas seulement sur scène; il se passait aussi sur les gradins où jeunes et moins jeunes chantaient en chœur avec la troupe et dansaient, entraînés par les rythmes des «bendirs» (percussion) indispensables pour ce genre de cérémonie religieuse appelée «hadhra», qu’on pourrait traduire par «présence», «apparition»… et où, par le chant, la musique et la transe, certains entrent en transe et croient voir Allah… Foudroyés ou médusés par cette apparition, beaucoup s’évanouissent… ce que Fadhel Jaziri traduit par la mort spirituelle du danseur qui perd connaissance et que d’autres danseurs évacuent de la scène, tel un mort, à bout de bras, après qu’il ait atteint le paroxysme de l’extase: fondre dans l’entité divine et faire un avec Allah. Car, dans le chant soufi, l’invocation des saints et la louange d’Allah sont une quête initiatique et une voie spirituelle menant au «trésor caché» de l’âme pour en jouir.

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L’invocation des saints et la louange d’Allah sont une quête initiatique et une voie spirituelle menant au «trésor caché» de l’âme.

Immersion dans leur mémoire collective

Dans la nouvelle version de ce spectacle, Fadhel Jaziri a pris la gageure d’innover en mariant les instruments de musique traditionnels à ceux de notre époque. Pari d’autant plus gagné que le saxophone, la batterie et la guitare électrique ont trouvé leur place dans ce spectacle traditionnel sans le dénaturer, bien au contraire ils en ont accentué les effets, dans le but ultime de toucher et émouvoir jusqu’à l’extase les spectateurs. Le tout servi par une scénographie moderne qui a su tirer le meilleur profit des possibilités offertes par la scène de l’amphithéâtre antique et ses équipements de son et d’éclairage.

Bref, Fadhel Jaziri a réalisé ce dont rêvait son ami Abdelwahab Meddeb, le grand absent : un spectacle dont la spiritualité ancrée dans la tradition islamique s’insère sans difficulté dans une vision universelle! Pour preuve : deux familles françaises, assises devant nous, sur les gradins, étaient ravies du spectacle : enfants et parents dansaient aux côtés des Tunisiens sur une musique qui les prenait aussi aux tripes.

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Une scénographie moderne qui a su tirer le meilleur profit des possibilités offertes par la scène de l’amphithéâtre antique.

D’entendre et de voir les milliers de Tunisien(ne)s présents à ce spectacle communier avec leur patrimoine commun qu’est le soufisme, on se demande si, consciemment ou inconsciemment, ils ne rentrent pas en résistance contre le wahhabisme envahissant que les salafistes et autres Frères musulmans tentent de leur inculquer, obédience pour laquelle le chant, la danse, la poésie… sont interdits comme moyen d’accéder à Allah, puisque le dieu d’amour des soufis devient le «dieu la terreur» chez les salafistes et les extrémistes de tous poils.

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Fadhel Jaziri félicité par la ministre de la Culture Latifa Lakhdar après le spectacle.

Fadhel Jaziri pense que les chants liturgiques sont une forme de célébration indispensable pour les Tunisiens et un moyen d’apaiser, le temps d’un spectacle, leurs peines du moment et de remplir leur coeur de paix et d’amour. Et il a bien raison de faire une telle piqûre de rappel à ses compatriotes pour qu’ils n’oublient jamais les racines de leur «tunisianité», constituée, sur le plan religieux, de malékisme et du soufisme, ayant façonné leur caractère si particulier!

Bravo à tous les artistes et aux organisateurs d’avoir, le temps d’un spectacle, permis aux Tunisiens présents à Carthage une immersion dans leur mémoire collective.

Blog de l’auteur.

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