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A propos de la conférence sur la lutte anti-terroriste en Tunisie

Brigade-antiterroriste

Quelques recommandations pour une meilleure préparation de la conférence nationale sur la lutte anti-terroriste en Tunisie.

Par Lassaâd Bouazzi *

Dans son livre ‘‘Anges et Démons’’, le célèbre romancier Dan Brown écrit que «le but du terrorisme est tout simplement de provoquer peur et terreur. La peur mine toute confiance dans la classe politique. Elle affaiblit l’ennemi de l’intérieur, elle démoralise le public… Le terrorisme n’est pas l’expression d’une fureur incontournable, c’est une arme politique. Privez un gouvernement de sa façade d’infaillibilité et le peuple perdra confiance en lui».

Voilà résumée en une phrase la stratégie satanique que les forces du mal cherchent à appliquer en Tunisie. En effet, les deux attaques terroristes qui ont frappé des sites touristiques au Bardo, le 18 mars, et à Sousse, le 26 juin, visent essentiellement à affaiblir l’Etat, ébranler la confiance du peuple en son gouvernement et briser une cohésion nationale déjà fragilisée par la paupérisation, le chômage et les disparités régionales.

Comme l’équipage d’un navire qui doit se mobiliser en urgence pour lutter contre un sinistre à bord, toute la population et les forces vives de la nation doivent mettre en synergie leurs efforts pour lutter contre cette hydre qui menace notre civilisation et l’existence même de l’Etat.

La lutte contre le terrorisme est une affaire délicate, complexe et sérieuse qui ne peut pas être improvisée. Elle doit faire l’objet d’une conférence nationale pour élaborer une stratégie objective et basée sur le consensus pour garantir la synergie des moyens et des compétences de toutes les forces vives de la nation.

Annoncée pour la première fois par l’ancien chef du gouvernement Mehdi Jomaâ, lors d’une réunion avec les représentants des 26 partis représentés à l’Assemblée nationale constituante (ANC), le 3 mars 2014, cette conférence tarde à être organisée bien qu’elle fasse l’unanimité de tous les Tunisiens. Confirmée par le gouvernement Habib Essid, elle est l’objet de tergiversation. Bien que la date de son déroulement soit fixée pour le mois d’octobre prochain, des atermoiements retardent le démarrage effectif des préparatifs, qui pourraient prendre au moins 3 mois, selon l’avis des spécialistes.

Pour garantir la réussite de ce rendez-vous tant attendu et duquel dépend notre salut, avançons quelques recommandations que les responsables seraient bien inspirés de prendre en compte.

1- Revoir l’intitulé :

Limiter le thème de la conférence à la lutte contre le terrorisme se traduirait par une stratégie erronée car le terrorisme ne peut être abordé indépendamment des autres formes de grande criminalité organisée qui lui sont liées.

Pour reprendre une phrase à Charb, je dirais que «le terrorisme vise à paralyser une société par la peur. Les terroristes amateurs font exploser des voitures. Les professionnels font grimper les chiffres du chômage». Les chefs de cartels qui contrôlent l’économie parallèle sont parmi ces professionnels qui cherchent à ruiner le pays. Ils sont aidés dans cette sale besogne par leurs sbires qui bloquent l’accès aux entreprises et institutions productives.

«La conférence nationale sur la lutte contre le terrorisme et les crimes connexes» serait, donc, à notre avis, un intitulé mieux adapté au sujet.

En effet, le financement du terrorisme passe forcément par le trafic d’armes et de stupéfiant, les rançons, les rackets et le blanchiment d’argent. Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) est l’une des organisations terroristes qui se livrent à ces formes de criminalité pour assurer son financement. Séparer le terrorisme de ces formes de criminalité connexes serait une erreur méthodologique car les caractéristiques communes et les similitudes sont grandes et s’expriment à travers les phénomènes suivants:

* la coexistence : le terrorisme et les autres formes de criminalité existent généralement dans le même théâtre. Dans la région de Kasserine, les terroristes et les contrebandiers se partagent les mêmes itinéraires voir les mêmes moyens logistiques ;

* la coopération : le terrorisme coopère avec les organisations criminelles pour affaiblir l’Etat et son appareil de sécurité. Leurs actions peuvent se compléter: sécurité et liberté de mouvement pour les cartels de contrebande contre renseignement et soutien logistique pour les terroristes;

* la convergence : c’est le cas de l’Aqmi lorsque les contrebandiers intègrent l’organisation terroriste pour assurer son financement.

Outre ces caractéristiques communes, les similitudes concernent essentiellement le caractère transnational des activités, le recours à la terreur pour réaliser les objectifs et la maitrise des nouvelles technologies qu’offre internet pour communiquer, recruter et étendre les capacités de nuisance.

2- Ne pas personnaliser la direction:

L’un des points non encore réglé par les organisateurs: la désignation d’un président de la conférence. Pour surmonter ce blocage et suivre l’exemple des pays avancés, il serait plus judicieux de confier l’organisation de cette conférence à l’une de nos universités, à l’instar de l’Union Européenne qui a confié à l’université de Malaga l’organisation de la conférence internationale sur le terrorisme, en septembre 2014, dont la réussite fut exemplaire.
Charger l’une de nos universités de cette mission valorise nos institutions universitaires et leur donne plus de responsabilité et de confiance pour participer plus activement dans la prise de décision concernant les grandes affaires de l’Etat. Dans un pays comme les Etats-Unis, les grandes décisions qui orientent la politique du gouvernement prennent naissance dans les cénacles universitaires et les centres de réflexion (think tanks).

En outre, les universités étant ouvertes sur d’autres institutions, à l’intérieur comme à l’extérieur, la coopération avec des pôles spécialisés comme les centres de recherches stratégiques en serait facilitée.

3- Définition de l’objectif :

Comme indiqué dans l’intitulé de la conférence, l’objectif de la réunion est d’élaborer une «stratégie de lutte contre le terrorisme». D’ailleurs, le secrétaire général de l’UGTT, Houcine Abassi, l’avait bien précisé, à l’issus de la Conférence du Dialogue national, le 18 juillet 2014: «Nous débattrons au cours de cette conférence de la stratégie nationale la mieux indiquée et la plus susceptible d’assurer l’efficacité de l’intervention des forces de sécurité et de l’armée (dans la lutte contre le terrorisme, Ndlr)».

Une stratégie antiterrorisme limitée à l’intervention de la police et de l’armée serait vraiment dérisoire. Pour être productive, elle doit être construite autour d’une batterie d’actions et ne pas se contenter d’une seule. Elle doit comprendre les deux composantes de base : la prévention et la répression. La première aide à maintenir la cohésion nationale et facilite l’adhésion du peuple à cette stratégie. La prévention du terrorisme consiste à trouver les remèdes aux maux de la société qui font le lit du terrorisme. Etant donné que l’Etat n’a pas suffisamment de moyens pour guérir tous les maux dans l’immédiat, la stratégie recherchée devrait comprendre plusieurs volets dont les réalisations sont à court, moyen et long termes. Le volet répressif (intervention armée) et certaines décisions d’ordre préventif sont à court terme.

4- Modalité du déroulement et durée :

La modalité du déroulement et la durée de la conférence dépendent du thème lui-même. S’il est limité à la répression, l’organisation se fait autour d’un seul atelier de travail auquel participent des spécialistes de sécurité et de défense, ainsi que des dirigeants politiques et des juristes. La durée des travaux se limiterait alors à une journée.

Si le thème s’étend à la prévention, plusieurs ateliers seront alors organisés car les remèdes aux causes du terrorisme nécessitent une collaboration interministérielle et une large participation de la société civile. La durée serait alors fixée à 3 jours.

5- Participants :

Outre les experts de l’armée et des forces de sécurité intérieure, les autres participants à la conférence seront désignés en se basant sur les caractéristiques du terrorisme et des menaces connexes.

– Comme disait Tom Clancy, «le terrorisme est avant tout un acte politique, il cherche à provoquer un effet politique par la terreur. Si, à cause de lui, nous changeons notre société, il est gagnant. Nous vaincrons les terroristes en vivant comme nous le voulons, et non comme ils le veulent, eux». Nous pouvons en déduire que les premiers participants seront les principaux acteurs de la société civile.

– Combattre l’hydre de la terreur pourrait conduire à la dictature. Jules Romains n’a-t-il pas précisé que «le terrorisme peut être une méthode de gouvernement, parce qu’en agissant sur l’imagination des masses gouvernées il augmente le pouvoir de la loi»? Par conséquent, la participation des  juristes s’impose, pour constituer des garde-fous à tout éventuel dérapage de l’Etat dans l’élaboration de la stratégie.

– Le terrorisme est transnational et fait l’objet de conventions internationales. Ce qui requiert le concours des experts de l’Onu et des organisations régionales spécialisées.

– La stratégie opérationnelle pour combattre le terrorisme nécessite l’échange d’expériences avec d’autres pays concernés. D’où l’intérêt de faire appel aux experts et analystes étrangers.

–  Le terrorisme prend naissance dans la société et la réinsertion des terroristes serait l’une des recommandations formulées à l’issue de la conférence. D’où la nécessité de faire participer des sociologues et des psychologues ayant travaillé sur ce sujet.

– Le terrorisme se sert d’internet pour la communication, le recrutement et la propagande, ce qui requiert de faire appel à l’Agence nationale de l’internet (Ati) et à des experts dans les menaces cybernétiques.

– Le blanchiment d’argent étant l’une des sources principales du financement du terrorisme, la participation d’experts dans la lutte contre l’argent sale et le traçage des mouvements de fonds serait dont souhaitable.

– Last but not least, la lutte et la prévention du terrorisme faisant intervenir différents ministères, les organisateurs devraient prévoir un atelier de travail interministériel.

C’est là, on l’a compris, une modeste contribution à la préparation de cette conférence dans le but d’en garantir la réussite.

* Officier retraité de la marine et ancien secrétaire général du Centre d’études et de recherches stratégiques des pays 5+5 (Cemres).

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