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‘‘Bourga’’ : Jamel Sassi revisite Sartre

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‘‘Huis-clos’’, pièce de Sartre, adaptée par Jamel Sassi, jette une lumière crue sur la condition inhumaine de l’homme, aux prises avec lui-même et les autres.

Par Fawz Ben Ali

Programmée à la 17e édition des Journées théâtrales de Carthage, la pièce ‘‘Bourga’’, adaptation tunisienne de ‘‘Huis-clos’’ de Jean Paul Sartre, a été présentée à guichet fermé, le mardi 20 octobre 2015, à la salle le Mondial, à Tunis.

Une porte qui ne s’ouvre plus

Ecrite en 1943 par l’un des plus grands écrivains et philosophes du XXe siècle, ‘‘Huis-clos’’ a été représentée pour la première fois en 1944 au Théâtre du Vieux-Colombier à Paris. Depuis, la pièce a été traduite dans toutes les langues et adaptée par les plus grands dramaturges. Elle tient son importance de sa valeur philosophique et de la place qu’elle occupe dans l’histoire littéraire.

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Jamel Madani dans le rôle de Garcin.

C’est la pièce la plus connue de Sartre et la mieux représentative du mouvement existentialiste, dont il fut, dans les années 1940-1950, l’un des chantres.

Quand Jamel Sassi décide de mettre en scène ‘‘Huis-clos’’ en l’adaptant au contexte tunisien, l’initiative ne peut que susciter l’intérêt. Et c’est dans un espace sombre et presque nu, que Jamel Sassi, également interprète de sa propre pièce, fait son entrée dans le rôle d’un garçon d’étage. Avec un sourire machiavélique, il entraine derrière lui, à tour de rôle, les trois protagonistes, qui débarquent dans ce huis-clos après leur mort.

Garcin, journaliste et homme de lettres (Jamel Madani), Ines, employée des postes (Samira Bouamoud) et Estelle, une riche mondaine (Ines Ben Abdessalem) savent désormais que, malgré leur dissemblance, ils devront séjourner ensemble et éternellement dans cette chambre post-mortem où ils seront jugés pour les actes qu’ils ont fait durant leur vie sur terre, des actes dont ils sont peu fiers.

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Samira Bouamoud et Ines Ben Abdessalem.

C’est dans ce salon muni de 3 chaises, d’un bronze et d’une porte qui ne s’ouvre plus, que les personnages découvrent qu’ils ne sont capables ni de pleurer ni de dormir et surtout qu’il n’existe aucune échappatoire. Ils sont en enfer, ils attendent un bourreau qui ne vient pas et ils cherchent les instruments de torture qu’ils ne trouvent pas.

L’enfer c’est les autres

Ils commencent donc à se révéler et se découvrir les uns les autres, avouant leurs passés peu glorieux chargés de lâcheté et de crimes. Ils ont tous regretté des actes qui étaient décisifs dans leurs existences respectives mais qu’ils ne peuvent plus changer ou corriger. Cette impuissance devient leur torture du moment où chacun se trouve en position de victime sous le poids du regard accusateur des autres qui l’observent, le décortiquent, l’obligent à avouer ses crimes et lui font comprendre qu’il est pleinement responsable de ce qu’il avait fait. «C’est donc ça l’enfer!, conclut Garcin, l’enfer c’est les autres!». Chacun s’avère être le bourreau de l’autre, car il le renvoie à sa réalité, lui rappelle sa bassesse et sa cruauté. Chacun est le juge et le miroir de l’autre, et ça devient insupportable du moment où aucun personnage de ce trio complexe ne souhaite admettre ses actes. L’enfer sartrien n’est donc pas la torture physique, il s’agit d’une torture psychique et morale régentée par le jugement implacable de l’autre.

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 «C’est donc ça l’enfer! l’enfer c’est les autres!», conclut Garcin.

Malgré l’horreur de la situation, chacun admet finalement l’importance capitale de l’autre dans la connaissance de soi-même. La porte s’ouvre mais personne ne sort, car ils sont devenus interdépendants et inséparables : «Aucun de nous ne peut se sauver seul. Il faut que nous nous perdions ensemble ou que nous nous tirions d’affaires ensemble», admet Garcin.

‘‘Bourga’’ ou le ‘‘Huis-clos’’ tunisien, est certainement l’une des meilleures découvertes théâtrales de cette année. Par la pertinence de sa mise en scène et la grâce de ses comédiens, Jamel Sassi a su reconstruire une adaptation tunisienne à la hauteur du chef d’œuvre sartrien.

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