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Terrorisme: Les enseignements des attaques de Paris

Attaque-de-Paris

Après les attaques terroristes de la nuit du vendredi 13 novembre à Paris, des points méritent d’être retenus pour agir sur le plan d’action contre le terroriste.

Par Mohamed Nafti *

Le vendredi 13 novembre 2015, la ville de Paris a été secouée par une série d’attaques terroristes sans précédent qui ont fait plus de 130 morts et près de 300 blessés dont le tiers en état critique. Parmi les 8 terroristes qui ont participé aux attaques, 6 ont déclenché leur ceinture explosive et péri sur les lieux et un seul a été liquidé par les agents de la police au cours de l’assaut pour libérer les otages pris dans la salle de concert du Bataclan. Le huitième est encore en cavale.

Des sources médiatiques ont rapporté que cette action était planifiée conjointement avec l’attentat de Beyrouth et qu’une action similaire à celle de Paris était planifiée en Tunisie dans les gouvernorats de Gafsa, Tozeur et Sousse, mais elle a été déjouée au dernier moment par les forces de l’ordre tunisiennes.

Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, il est toujours utile de tirer les enseignements à chaud après chaque action réelle en procédant par une analyse du mode opératoire des assaillants et des réactions du gouvernement. Le but est surtout de dégager des leçons utiles pour rapporter les corrections nécessaires au plan d’action relatif à la stratégie antiterroriste adoptée. C’est, en d’autres termes, une évaluation de ce plan et une procédure pour le compléter ou le rectifier. Pour cela, il importe de passer en revue les événements essentiels de la nuit du vendredi 13 novembre à Paris et signaler les points qui méritent d’être retenus pour agir sur le plan d’action de la stratégie antiterroriste.

Chronologie des événements :

– 21:20 : une première explosion entendue au stade de France où se déroule un match de football entre la France et l’Allemagne et une fusillade dans la rue Bichat. Quelques minutes après, le président François Hollande, qui assistait au match, a été exfiltré par les services de sécurité présidentielle.

– D’autres explosions et des fusillades ont eu lieu dans 6 endroits de Paris durant la demi-heure qui a suivi le premier incident.

– 21:49 : prise d’otages à la salle de concert du Bataclan.

– 22:30 : la président Hollande se rend au ministère de l’Intérieur pour un point de situation. Le parquet anti terroriste se saisit de l’enquête.

– 00:15 : un conseil de ministres exceptionnel se réunit à l’Elysée et décrète l’état d’urgence.

– 00:30 : assaut de la police au Bataclan.

– 01:10 : le président, le chef du gouvernement, le ministre de l’Intérieur et la Garde des sceaux se rendent sur les lieux du drame (Bataclan).

Analyse sommaire du mode opératoire des terroristes :

Une analyse rapide des actes perpétrés par les terroristes fera ressortir quelques caractéristiques de leur mode d’action.

Rapidité de l’exécution : les actions terroristes ont duré une demi- heure. On peut les résumer en trois actions distinctes. Des actions kamikazes aux alentours du Stade de France, des fusillades dans des rues près des cafés et restaurants et une prise d’otages dans une salle de concert pleine de spectateurs. L’action est très rapide pour ne pas laisser du temps suffisant à l’intervention des forces de l’ordre.

Préparation poussée : la rapidité de l’action ne pourrait s’expliquer que par une préparation poussée et par des répétitions qui aboutissent à un automatisme dans l’exécution.

Surprise : l’action des terroristes a été planifiée et exécutée dans le secret total. La police n’a pu déjouer leur plan. La surprise a largement contribué à la concrétisation du plan d’attaques simultanées.

Planification centralisée : une action de ce  genre très bien coordonnée n’est pas l’œuvre de «loups isolés» qui agissent de leur propre initiative. Pour exécuter 3 attaques simultanées dans 7 endroits différents dans une grande ville comme Paris, il fallait un commandement unique pour synchroniser l’action.

Diversion : une action secondaire pourrait masquer l’action principale. Le choix des cafés et des restaurants pourrait être guidé par une idée de manœuvre visant une diversion au profit des actions du Stade de France et du  Bataclan.

Décentrer l’effort des forces de l’ordre : frapper dans 3 zones différentes a obligé la police à répartir les efforts durant son intervention et a rendu la réaction plus difficile.

Le commandement et le contrôle (C2) : il est clair que les 8  terroristes n’ont pas agi seuls et ne sont pas des «loups isolés». L’Etat islamique (Daech) a revendiqué les attaques. Mais il a aussi communiqué avec les exécutants pour leur donner le feu vert ou l’ordre d’exécution par un système de chiffrement à partir d’une vidéo cryptée. On parle d’Encryption Technology.

Logistique de l’intérieur : l’ampleur de l’action et sa «réussite» ne pourrait être expliquée que par une  complicité interne qui aurait fourni l’aide logistique et le renseignement sur les cibles et le déploiement des forces de l’ordre dans la protection des points sensibles. En règle générale, on n’attaque que les points faibles de l’adversaire et les cibles les moins protégées.

Le choix des cibles : pour les terroristes, le choix d’une cible est souvent justifié par la recherche de l’impact médiatique. Le nombre élevé de victimes et la nature des cibles conditionnent ce choix. La salle de concert est un lieu idéal pour faire le maximum de victimes. Le stade est similaire et pourrait être plus sensible avec la présence du président de la république.

Les moyens utilisés : les armes utilisées sont des armes automatiques de type AK7 qui sont meurtrières si elles sont utilisées à bout portant contre des individus non protégés. C’est ce qui explique le nombre élevé de victimes. L’explosif utilisé dans les ceintures des kamikazes est un explosif primaire le TATP très sensible à la friction, au choc et à la chaleur. Il est très difficile à détecter et qui peut être préparé à partir d’ingrédients procurés sur le marché.

Un  bilan humain lourd : les terroristes cherchent souvent à infliger de lourdes pertes humaines pour saper le moral de la population d’une part et pour mettre en difficulté le gouvernement en lui disant : «Tu es incapable d’assurer la sécurité des citoyens».

Analyse sur la base de la stratégie antiterroriste de l’Union européenne

En 2005 les Etats membres de l’UE ont adopté une stratégie visant à lutter contre le terrorisme qui s’appuie sur 4 piliers. La prévention grâce à des mesures visant à lutter contre la radicalisation et le recrutement. La protection concerne les citoyens et les infrastructures et vise la réduction de leur vulnérabilité aux attentats. La poursuite pour s’attaquer au financement des terroristes et leurs outils de communication et les traduire en justice. La réaction pour faire face aux conséquences des attentats et minimiser les dégâts.

Il est préférable de se limiter à l’analyse sommaire de la réaction française pour en tirer les enseignements utiles qui pourraient nous servir dans le futur.

– Le président de la république a reçu le point de situation au ministère de l’Intérieur après une heure du début des actions terroristes.

– Le conseil des ministres s’est réuni  à l’Elysée après 2 heures et 45 minutes pour décréter l’état d’urgence en France. 15 minutes après, le feu vert est donné à la police pour faire l’assaut et libérer les otages du Bataclan.

– La police a déclenché son assaut à la salle de concert après deux heures et demie de la prise d’otages par les terroristes.

– On notera la rapidité de réaction des hautes autorités de l’Etat et surtout l’organisation du conseil ministériel pour décréter l’état d’urgence dans un délai très court (moins de 3 heures et de nuit).

– On notera aussi le déploiement rapide et organisé des forces de l’ordre dans les différents lieux des actes terroristes ainsi que l’organisation des opérations de secours.

– Cette rapidité de  réaction pourrait être l’application méticuleuse d’un plan d’action soigneusement préparé à l’avance, plusieurs  fois répété en vue d’être exécuté le jour J. Dans ce genre de situation, il n’y a pas lieu d’improviser durant les premiers moments de la réaction. Les premières actions du gouvernement sont comparables au jeu d’échec où il est conseillé de jouer les 10 premiers coups pour développer et bâtir une disposition des pièces.

– Pour ne pas perdre du temps au cours de la réaction, il fallait suivre un processus de décision rapide, conçu d’avance et qui prend en compte différents scénarios.

– Ce qui a fait défaut aux forces de l’ordre c’est le renseignement. Il est certes difficile de prévoir des actions terroristes bien préparées dans le secret total.  Mais les spécialistes qui savaient que quelque chose se tramait contre la France n’ont pu déchiffrer les indices des événements d’une vidéo  de Daech. Celle-ci contenait des images faisant référence à la France alors que le sujet ne s’y prêtait pas directement.

Le mode opératoire de Daech ne diffère pas beaucoup de celui d’une armée classique. Certains   principes de guerre conventionnelle sont respectés : la surprise, la sécurité (chiffrement des ordres) l’unité de commandement… L’objectif ultime des terroristes dans ce genre d’action est de terroriser la population et de mettre en difficulté les forces de l’ordre et le gouvernement dans leur mission de protection des citoyens. Mais quelle que soit la stratégie de lutte contre le terrorisme, on ne pourrait jamais éradiquer ce fléau ni prévoir toutes les actions. Néanmoins, le domaine sur lequel le gouvernement pourrait agir le plus c’est la réaction pour intervenir le plus vite et minimiser les dégâts. Ceci demande la  mise en œuvre s’une stratégie globale qui doit être concrétisée par un plan d’action définissant le rôle de chaque intervenant. C’est ce qui nous manque en Tunisie et ce que les gouvernements successifs n’ont pas pu mettre en œuvre.

* Général à la retraite.

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