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Des attentats de Paris et de Tunis et des rapports entre Orient et Occident

Attentats-Tunis-et-Paris

Les hommes ne sont égaux qu’en théorie, car face aux bombes des terroristes et des Etats, toutes les victimes ne suscitent pas le même émoi ni la même compassion.

Par Jamila Ben Mustapha*

Quand les talibans ont fondé l’Émirat islamique en Afghanistan, en 1996, et se sont mis à imposer un islam rigoriste, archaïque, et à détruire des statues de Bouddha, nous les regardions, à la fois, avec indifférence et curiosité, comme des gens vivant dans une autre planète, des martiens dont l’idéologie et les actes ne nous concerneraient jamais !

Ne voilà-t-il pas qu’en moins de vingt ans, ils ont fait bien des petits, essaimé à travers le monde et que nous-mêmes sommes actuellement aux prises avec des extrémistes locaux, luttant au nom d’une idéologie qui leur est bien proche !

Un passé d’or ou de massacres ?

Au cours de ce seul mois de novembre 2015, des attentats viennent de toucher, en l’espace de quelques jours, la France comme la Tunisie, deux nations qu’une distance incommensurable sépare, à première vue.

Comment comparer un pays développé qui fait partie du G7, à un autre sans grandes ressources naturelles, décolonisé il y a à peine plus d’un demi-siècle, et qui, non seulement n’arrive pas à sortir du sous-développement, mais a vu ses conditions empirer depuis le 14 janvier 2011, sur les plan sécuritaire et économique?

C’est qu’un lien triste et imprévu vient, en effet, de les unir : les agressions terroristes. La France qui, sous Sarkozy et pour notre malheur, a joué un rôle déterminant dans la désorganisation de notre voisin, la Libye, vient d’être attaquée par des partisans locaux de Daech, pour ses interventions contre les  extrémistes islamistes au Mali, en Irak, et maintenant, en Syrie.

Quant à la Tunisie, comme l’a affirmé récemment, le journaliste Olivier Ravanello sur  iTélé, elle représente pour l’obscurantisme qui prône le retour pur et simple au califat et à un passé idéalisé, la direction vers une voie qu’il refuse absolument : la voie démocratique.

Au tout début de l’histoire musulmane, après la disparition du prophète, sur les 4 califes qui ont pris le pouvoir, 3 d’entre eux ne sont-ils pas morts de mort violente? Et par la suite, n’y a-t-il pas eu la grande Fitna (discorde), la lutte très profane pour le pouvoir entre le 4e calife Ali,  et le fondateur de la dynastie omeyyade, Mouaouia, lutte qui a abouti à l’extermination du gendre du prophète et de l’un de ses deux fils, Hussein? Où l’obscurantisme voit-il un passé d’or, dans des massacres ayant visé des proches du prophète?

Nous avons appris, le jeudi 26 novembre, que le meurtrier de nos gardes de la sécurité présidentielle, habitait le même quartier que l’un d’entre eux, le martyr Omar Khayati. Une hypothèse nous a traversé alors, l’esprit : et si c’était cette proximité avec celui qu’il considère comme un «taghout» (despote) qui l’a conduit, lui et le réseau auquel il appartient, à préparer un attentat ayant pour but de le détruire, lui et ses collègues ?

Très peu musulmane, cette attitude, et juste contraire aux paroles du prophète qui conseille une bienveillance particulière vis-à-vis du voisin !

Deux attentats, deux traitements

Les réactions aux attentats de Paris et de Tunis ont-elles été un tant soit peu similaires, sur le plan international? Loin s’en faut!

Après le 13 novembre, jour des attentats de Paris, les grands monuments mondiaux ont été revêtus d’un drapeau français lumineux. En ce qui nous concerne, à part l’inscription parue sur la mairie de Paris, rien de semblable ne s’est produit.

Ceci a poussé les internautes tunisiens, dans un geste touchant et plein d’humour, à recouvrir eux-mêmes, la Tour Eiffel, la statue de la Liberté… du drapeau tunisien, Photoshop oblige. Ils ont eu raison, en cela : on n’est jamais si bien servi que par soi-même !

A la suite des 3 attentats de cette année 2015, notre tourisme a été presque entièrement anéanti, et des milliers de familles tunisiennes ont été privées de revenus. Comment font-elles pour survivre, et qui pense à elles ? Nous avons très vite été désignés par les tours opérateurs comme un pays «paria».

Par contre, on n’a entendu, concernant la France, aucune interdiction de voyage la visant. Les Etats-Unis ont, certes, lancé une alerte de vigilance destinée à leurs ressortissants, mais qui est mondiale et englobe toutes les destinations.

Un aspect précis de la politique extérieure de la France nous frappe : l’actuel président François Hollande tient à imposer, comme condition à toute solution politique en Syrie, le départ de Bachar El-Assad du pouvoir.

Loin de nous l’idée de défendre la dictature syrienne. Mais d’une part, les pays arabes sont taxés de régimes qui ne tiennent aucunement compte des désirs de leur peuple; d’autre part, François Hollande, pour qui l’accession au pouvoir ne se peut se faire qu’à la suite d’élections  démocratiques, veut décider de l’avenir des Syriens à leur place et fait fi, par là-même, de leur souveraineté !

Ces victimes dont on ne parle pas

Une  autre remarque montre à quel point l’injustice a de beaux jours devant elle. Les frappes contre Daech, qui revêtent enfin un aspect sérieux avec les interventions russe et française, visent en premier lieu les jihadistes de Daech mais, dans la pratique, elles  provoquent beaucoup plus de dégâts humains.

Les bombes, en effet, «ne font pas dans la dentelle». Elles sont en train, actuellement, de tuer aussi, des innocents. Pourtant, un blackout total est fait, sur le plan médiatique, sur ces victimes civiles des frappes de la coalition, qui seraient plus nombreuses que celles subies par Daech.

Il ressort de tout cela que si la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations-Unies affirme l’égalité entre les hommes, ce qui est aussi sûr, c’est que cette affirmation ne dépasse pas le plan théorique.

Quant à notre Tunisie, elle est simultanément le lieu d’émergence, autant, de forces destructrices, que créatrices: le dernier attentat du 24 novembre, terrible, qui nous a tous, particulièrement secoués, n’a empêché ni la poursuite des Journées cinématographiques de Carthage, ni la projection de certains des films de la compétition, dans les lycées, ni les récentes manifestations de musique et de danse par les jeunes, dans un train de banlieue, et ni enfin les concerts de piano donnés aux enfants de l’intérieur par le talentueux Souhayel Guesmi, en pleine rue !

*Universitaire.

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