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Violences faites aux femmes: Les Tunisiennes montent au créneau

Orange-Femmes

Orange Tunisie prend part à la campagne internationale ‘‘16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes et aux filles’’.

Par Zohra Abid

Cette campagne, qui a démarré le 25 novembre dernier, Journée internationale pour l’élimination de la violence contre les femmes, se poursuivra jusqu’au 10 décembre courant, Journée internationale des droits de l’Homme.

Depuis le début de cette campagne, organisée sous l’égide d’Onu Femmes Tunisie, Orange Tunisie, «entreprise citoyenne, humaine et solidaire», comme elle aime à se définir, a adressé des messages de sensibilisation à ses collaborateurs et à ses clients sur les violences faites aux femmes et aux filles, organisé en interne des séances d’information sur ce fléau et diffusé des bannières web sur les sites d’information de ses partenaires médias.

Autonomisation des femmes

«En tant qu’entreprise responsable et citoyenne, nous réaffirmons nos engagements auprès du Pacte Mondial des Nations Unies, dont nous sommes partie prenante depuis 2012. Et c’est donc tout naturellement que nous nous sommes engagés auprès d’Onu Femmes Tunisie pour soutenir la campagne internationale ‘‘16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes et aux filles’’», a souligné Asma Ennaifer, directrice des Relations extérieures, de la RSE et de l’Innovation chez Orange Tunisie, lors d’une rencontre avec les médias, hier, mardi 8 décembre 2015, au siège de l’opérateur, à Tunis.

«Orange Tunisie a fait des droits des femmes et de leur autonomisation, notamment en milieu rural, par/et grâce au numérique, l’un des piliers de sa stratégie RSE. Elle a fait aussi de l’égalité professionnelle femmes-hommes l’une de ses priorités», a-t-elle ajouté.

Prenant la parole au cours de cette rencontre, Emma Hassairi, militante féministe et membre du Bureau directeur de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), Khedija El-Madani, avocate des droits de l’homme et lauréate du Prix Women for Change 2015, et Héla Skhiri, chargée de Programme national pour ONU Femmes Tunisie, ont dressé un tableau peu reluisant des violences faites aux femmes et aux filles dans la société tunisienne, pourtant considérée comme pionnière dans le monde arabo-musulman en matière de droits des femmes. En effet, «32% des Tunisiennes se disent victimes de violence physique, 29% de violence sexuelle et 16% de violence psychique», a précisé Héla Skhiri.

Ces chiffres donnent froid au dos et il est temps d’agir pour remédier à ce fléau, d’autant qu’il s’est aggravé après la révolution de janvier 2011. La Tunisie, où les femmes jouissent de nombreux acquis en droits, ne doit plus marcher à reculons, à cause de la persistance de certaines idéologies extrémistes, qui tirent le statut des femmes vers le bas.

L’omerta au sein de la famille

«Le but de l’actuelle campagne est de sensibiliser les citoyens sur les violences de tout genre faites à la femme et qui sont des violations des droits humains. Dans ce cadre, nous avons organisé, grâce au soutien d’Orange Tunisie, entreprise soucieuse de l’ordre social, de nombreuses activités de sensibilisation à Tunis et dans les régions. La dernière en date a eu lieu le samedi 5 décembre courant au Centre culturel d’El Menzah, à Tunis», a ajouté Mme Skhiri.

Aujourd’hui, on parle beaucoup des maladies cardio-vasculaires et du cancer qui tuent, mais pas assez des violences que subissent les femmes et qui sont, parfois, meurtrières, a déploré Emma Hassairi. En effet, selon des statistiques réalisées en 2012, une femme sur 2 décède suite à la violence infligée par un partenaire ou un membre de la famille, contre seulement 1 homme sur 20 décédant dans les mêmes conditions, a précisé l’intervenante. «Il faut dire qu’on ne parle pas assez au sein de la famille de certains phénomènes sociaux comme la violence, la mutation génitale, le viol, la prostitution imposée…», a encore déploré Mme Hassairi.

Silence, peur et culpabilité

«L’Office national de la famille et de la population (ONFP) a effectué, en 2010, avec une aide espagnole, une enquête dans une vingtaine de gouvernorats auprès des femmes âgées entre 18 et 64 ans. Les résultats sont alarmants : 47% d’entre elles ont déclaré avoir subi des violences au moins une fois dans leur vie, 37% des violences physiques, 78,2% des violences sexuelles par leur partenaire intime. Les violences économiques touchent aussi 77% des femmes interviewées et 42,1% n’en parlent pas et ne demandent aucune aide», a encore rappelé Mme Hassairi.

Ces femmes, a-t-elle poursuivi, trouvent que la violence est un fait ordinaire et n’en parlent pas pour ne pas entacher la réputation de la famille, estiment-elles. C’est aussi une question de pudeur et ces femmes se sentent souvent coupables. «Plusieurs facteurs expliquent le silence de ces femmes, comme le manque d’information sur leurs droits, la défiance vis-à-vis de la justice, les pressions familiales, la pauvreté, le problème du logement qui pèse lourd, d’autant que beaucoup dépendent économiquement de leur conjoint. Ces femmes souffrent. Elles sont insomniaques. Elles intériorisent leur infériorité et dépriment. Aujourd’hui, dans certains pays européens, 1 femme sur 3 est victime de violences et la plupart de ces violences sont infligées par des partenaires intimes», a encore souligné Mme Hassaïri.

Le harcèlement dans la rue

La militante féministe membre de l’ATFD a tiré la sonnette d’alarme en appelant les femmes et les filles victimes de violence à ne plus se taire ou se laisser faire, car la loi est de leur côté et les protège.

«Dans la loi tunisienne, celui qui se rend coupable de harcèlement sexuel risque 1 an de prison et une amende pouvant aller jusqu’à 3.000 dinars. Mais, pour espérer avoir réparation, il faut prouver le délit et avoir des témoins. Ce qui est souvent très difficile, le harceleur accusé pourrait se retourner contre la victime et demander réparation pour accusation mensongère», a précisé Mme Hassairi, en faisant remarquer que le harcèlement des rues est carrément banalisé en Tunisie. «C’est l’impunité totale, alors qu’une simple drague peut être assimilée à une forme de violence», a-t-elle martelé.

Pour s’attaquer aux agressions diverses que subissent les femmes, en famille ou dans la rue, et souvent dans l’impunité totale, il convient de commencer par l’éducation. Mais pas seulement. «Certes, selon la loi, l’Etat protège les femmes contre les violences, mais il faut mettre en place des mécanismes permettant l’application de cette loi, revoir le traitement médiatique de ce phénomène social, protéger les femmes sans ressources et sans formation et la tenir informée de ses droits», a tenu à souligner, de son côté, Khedija El-Madani.

Agir sur les mentalités

L’avocate a rappelé, également, que la femme est souvent réduite au statut d’objet, empêchée de travailler et, si elle travaille, elle est parfois privée de son salaire et ignore qu’elle est protégée par la loi. «Nous avons une loi; c’est un important garde-fou et les femmes peuvent la faire valoir pour avoir gain de cause», a ajouté la juriste, qui a déploré, cependant, l’aggravation du phénomène de l’illettrisme chez les femmes. «Face au taux élevé d’analphabétisme chez les filles, Bourguiba doit se retourner plusieurs fois par jour dans sa tombe, d’autant que l’école de base est obligatoire pour les deux sexes jusqu’à 16 ans», a-t-elle dit.

Face à certaines évolutions négatives observées dans la société, les Tunisiennes et les Tunisiens doivent rester vigilants. «Quand on voit sur les plateaux de télévision des invités parler de polygamie et de séparation des filles et des garçons dans les écoles, cela nous met très mal à l’aise… Certes, la constitution de 2014 garantit l’égalité entre l’homme et la femme et stigmatise la violence contre les femmes, mais le plus important, c’est d’agir sur les mentalités : par l’éducation, dès le jardin d’enfants, par les médias, par les activités sociales et culturelles», a préconisé Me El-Madani. L’égalité homme/femme, qui est dans la loi, doit être appliquée à la lettre. «Il n’est plus possible aujourd’hui pour les femmes d’accepter d’avoir toujours un tuteur, comme il n’est plus possible qu’elles ne participent pas, à part égale, aux dépenses du foyer. Les hommes ont aussi intérêt à l’égalité entre les sexes», a-t-elle conclu.

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