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Pour sortir la diplomatie tunisienne de sa médiocrité actuelle

Taieb-Baccouche-Caid-Essebsi

Cet article est une réflexion du Syndicat du corps diplomatique (SCD) sur la dérive  de la diplomatie tunisienne au cours des 20 dernières années.

Le constat s’impose. Une regrettable mais irréfragable évidence. Notre diplomatie est souffrante. Les monstres sacrés d’antan ne sont plus. Ceux qui, par leur charisme, la subtilité de leur entregent, l’envergure de leur personnalité et la puissance de leur réflexion ont, durant les trois décennies qui ont succédé à l’indépendance, façonné la politique étrangère de la Tunisie pour la porter aux nues, font pour la plupart désormais partie des poètes disparus, n’élisant résidence que dans le cœur et l’esprit de quelques nostalgiques.

Manque d’envergure, de vision, de prospective

L’arrivée du 7 novembre 1987 devait sonner le glas de cette période dorée. La rancœur, voire l’aversion, pour le ministère des Affaires étrangères, de celui qui, durant 23 ans, a présidé aux destinées de la Tunisie, si elle n’était pas de notoriété publique, faisaient les gorges chaudes de bien des fonctionnaires.

Le ministère des Affaires étrangères n’était plus, dès lors, l’institution de ses propres enfants, mais utilisé comme une sorte de remise pour certains bannis ou comme un tremplin d’ascension sociale pour d’autres. Ainsi, nos ambassades ont connu de tout, des ministres démis, des politiques exilés, des militaires en pénitence et même un Premier ministre en mal de perdurance.

Au lendemain des événements du 14 janvier 2011, hormis Ahmed Ounaïes, qui aurait pu, parce qu’imbu de la chose et du sens diplomatiques, le florilège des ministres qui se sont succédé à la tête de la diplomatie tunisienne – et qui n’en revenaient pas de l’aubaine de se voir propulser à une telle fonction – s’est avéré d’une faiblesse affligeante, engendrant les critiques subtiles des modérés et les railleries acerbes des plus virulents.

Les secrétaires généraux qui se sont relayés sous leur autorité n’ont pu, faute d’envergure, de vision, de prospective et, il faut bien l’avouer, de caractère et de personnalité, venir à la rescousse de leur seigneur et maître, et impulser au ministère un véritable processus de reconstruction, un projet d’avenir mobilisateur. Ils se sont cantonnés dans le rôle médiocre du gestionnaire de base, ballotés par les désidératas des uns et des autres, hantés cependant par l’impérieuse obsession de garder la main tendue dans l’attente de l’obole qui fait rêver, celle d’être nommé ou renommé ambassadeur.

Une gabegie sans précédent

Cette ère, de l’orchestration d’une gabegie sans précédent, dont nous subissons les réminiscences, a connu ce qui se doit d’être qualifié d’hérésie administrativo-diplomatique, à savoir, notamment :

– des affectations fantaisistes dans nos missions diplomatiques et consulaires tant pour les chefs de postes que pour les diplomates ou encore le personnel administratif et technique;

– du fait de la mise sous l’éteignoir de critères objectifs, certaines nominations à la flagrante incongruité aux postes fonctionnels au sein de l’administration ;

– la recrudescence des lobbies régionaux à tous les niveaux.

L’avènement de Taïeb Baccouche à la tête du ministère des Affaires étrangères, le 6 février 2015, avait nourri l’espoir de lendemains meilleurs. Homme d’expérience et de culture, syndicaliste, inscrit parmi les leaders du parti au pouvoir, doté de plus d’un physique alliant prestance et sévérité de bon aloi, Taïeb Baccouche avait, à priori, dans sa manche, les cartes nécessaires l’autorisant à endosser l’habit de lumière d’un vrai fer de lance de la diplomatie tunisienne.

Il est une vérité d’admettre qu’à ce jour, M. Baccouche n’a pas, pour le moment, pleinement justifié tout le bien que les fonctionnaires de son ministère espéraient de lui et que, sous sa houlette, le ministère des Affaires étrangères éprouve encore de réelles difficultés à s’extirper des méandres de la médiocrité dans lesquels il s’est enlisé.

Il faut consentir, à sa décharge que, d’une part, sans doute n’a-t-il pas bénéficié, ou pas su appréhender les judicieux conseils de ceux qui savaient, et que d’autre part, il a le grand désavantage d’avoir hérité du déplorable souvenir du passage de son prédécesseur (Mongi Hamdi, Ndlr), lequel, de l’avis quasi unanime, privilégiait les voyages aux réunions de staff et s’inquiétait des aléas de son avenir onusien en lieux et places des dossiers brûlants.

Il a également subi les conséquences catastrophiques de la nomination, en juin 2015, d’un responsable réputé pour sa personnalité brinquebalante, en guise de secrétaire général, lequel, par l’étroitesse de sa carrure pour un tel poste et donc le saugrenu de ses prises de décisions, n’a fait qu’amplifier le mécontentement grandissant et ajouter à la morosité ambiante.

Avec la nomination toute récente du nouveau secrétaire général, qui semble vouloir faire montre de l’encourageante volonté de se défaire du sclérosé de la situation, la sagesse impose au nouveau bureau du Syndicat du corps diplomatique, élu en novembre 2015, d’appréhender la situation d’un œil neuf et d’accorder à l’équipe régnante du ministère, un apriori positif en procédant à la politique de la main tendue.

Un impérieux besoin de stabilité

Il est important de souligner que la politique étrangère de la Tunisie est loin de se limiter aux seules actions du ministre et des secrétaires d’Etat. Il n’en a jamais été ainsi. L’action diplomatique est l’œuvre d’une équipe conduite par un leader. De ce fait, les critères d’efficacité, de compétence et d’homogénéité sont autant primordiaux que l’harmonie qui se doit de régner au sein du département; harmonie que le Syndicat s’arroge le devoir de promouvoir en contribuant, en étroite collaboration avec l’administration, à offrir aux diplomates, un environnement propice à leur épanouissement, et aux plus jeunes, un plan de carrière à l’horizon dégagé dans le cocon sécurisant d’un statut et d’un organigramme répondant aux exigences d’une diplomatie moderne.

Pour l’heure, le Syndicat des diplomates estime avec force que le ministère des Affaires étrangères a un impérieux besoin de stabilité. La valse incessante des ministres au lieu d’apporter sang nouveau n’a engendré que chaos, désolation et, finalement, frustration et démission.

Au moment où certaines nominations internes, opportunes certes mais encore indéniablement insuffisantes, semblent constituer l’amorce d’un souffle nouveau et d’une approche que l’optimisme nous commande de juger volontariste, tout changement au faîte du département avec sa cohorte de têtes et de conceptions nouvelles n’aurait que des conséquences préjudiciables dont notre diplomatie n’a nullement besoin.

Aussi, et dans l’éventualité que le ministre actuel soit épargné par les affres du remaniement en gestation et maintenu à la tête de la diplomatie tunisienne, l’ensemble des diplomates aspire à ce que des dispositions drastiques soient enfin mises en œuvre qui remettront le département dans le sens de la marche, à savoir, notamment :

1/ un seul et unique décideur à la tête du ministère;

2/ davantage de célérité dans la prise de décision;

3/ le déni définitif des nominations à l’emporte-pièce, en particulier, celles basées sur des accointances familiales, régionales et politiques, pour une approche fondée sur l’optimisation obéissant au principe : «Le responsable qu’il faut à la place qu’il faut»;

4/ la levée des injustices, souvent flagrantes, par l’instauration de critères clairs et objectifs autant pour les affectations à l’étranger (impérieuse nécessité du profilage) que pour les nominations au sein de l’administration centrale; critères qui devront être frappés du parfait sceau de la transparence;

5/ l’exemplaire et décisive montée au créneau du ministre en personne pour l’adoption des statuts du ministère des Affaires étrangères;

6/ La prise de conscience de la nécessité de repenser notre politique étrangère et de l’arracher à sa léthargie actuelle. De ce fait, la diplomatie économique, quasi inexistante aujourd’hui, le placement de personnalités tunisiennes dans les structures du système des Nations Unies ou celles des institutions régionales, le redéploiement diplomatique tant pour certains chefs de poste que pour les chancelleries elles-mêmes, sont-elles quelques pistes de réflexion que la nouvelle équipe sera en devoir d’explorer;

7/ l’impérative obligation que soit placée autour du ministre une équipe à la compétence et à l’autorité reconnues et… à la fidélité sans faille.

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