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À quel prix réussira le néolibéralisme en Tunisie?

Tunisie-Femme

Le libéralisme économique pourra réussir en Tunisie s’il dépasse l’aspect mercantile et concerne aussi les aspects politiques et sociaux.

Par Farhat Othman

Dans une récente étude intitulée ‘‘La révolution inachevée’’(1), la Banque mondiale a délivré un diagnostic sévère de la situation en Tunisie au lendemain de la révolution de janvier 2011. Elle n’hésite pas à confirmer ce que disent les observateurs les plus objectifs, à savoir que le pays est rongé non seulement par les mafias de l’affairisme et de la corruption, mais surtout par tout un système qui les y encourage, hérité de l’ancien régime et dont l’essentiel des lois est toujours en place.

Lisons donc ceci : «Les privilèges et les rentes associées au système actuel sont profondément enracinés et les lobbies s’opposeront fermement à tout changement qui les priverait de leurs privilèges»(2).

Responsabilité du néolibéralisme mondialisé

Ce que dit la Banque mondiale, s’il est absolument exact, demeure toutefois en-deçà de la vérité qu’elle se retient de dire étant donné qu’elle conteste la logique du système dont relève sa philosophie libérale.

En effet, la Banque mondiale ne dit pas que le système tunisien ainsi vilipendé ne tient que parce qu’il est imposé à la Tunisie de l’étranger, du fait de la mainmise du capitalisme mondial sur le pays, ainsi que sur ses manifestations politico-idéologiques.

On le voit parfaitement bien avec la carte islamiste imposée au peuple bien qu’elle soit majoritairement rejetée, tel que cela est apparu clairement lors des dernières élections, qui ont porté au pouvoir une équipe censée rompre avec l’idéologie islamiste ou la contrecarrer pour le moins.

Or, faute de réelle marge de manœuvre, cette équipe a été obligée d’accepter une entente forcée avec l’ennemi d’hier et le partage du pouvoir, le néolibéralisme continuant à imposer à la Tunisie son tropisme sur un islam politique tunisien devant être partie prenante de la donne politique post-dictatoriale.

De fait, ce qui intéresse le système capitaliste mondialisé est moins la prétendue mue démocratique islamiste, qu’on ne cherche même pas à susciter ou à encourager, que l’adhésion du parti de Rached Ghannouchi au libéralisme économique le plus dévergondé, un capitalisme sauvage guère plus possible dans les démocraties traditionnelles d’Occident. Alliés aussi avec les pans les plus intégristes de la société, ne se préoccupe-t-on que des exigences du nouveau marché juteux, y réduisant le pays tout entier nonobstant les attentes et les exigences de son peuple.

Pour cela, on table sur le fait que la majorité des Tunisiens ne serait nullement, en principe, contre l’esprit libéral occidental; elle goûterait même, pour qui a encore les moyens, ses charmes en matière de consommation.

Ce qu’on néglige, c’est que cela est le propre de la classe moyenne qui fut la fierté du pays d’avant la révolution et qui se réduit de plus en plus comme peau de chagrin. En effet, la paupérisation est en train de se propager au profit de poches de richesses extrêmes.

D’ailleurs, il serait intéressant de faire une enquête sur les nouveaux riches depuis la révolution et de s’interroger sur l’origine des fastes de certains, aussi subits qu’immoralement étalés face à une misère galopante dans le pays.

Responsabilité de l’islam politique

S’agissant d’études, certaines des plus sérieuses font déjà état d’une stratégie du chaos chez nombre d’islamistes qui seraient les alliés des gourous de la finance mondiale. Elles affirment, à raison, qu’il n’est de meilleures circonstances propices tant aux affaires qu’aux idéologies intégristes que les moments de crise, économique et sociale, mais aussi morale, favorisant l’essentialisme et l’extrémisme. Ce qu’on voit en Tunisie depuis le coup du peuple de 2011.

C’est une telle entente tacite entre le grand capital, mondial comme national, et nos intégristes religieux qui a cours en Tunisie, menaçant non seulement les acquis du pays depuis son indépendance, mais aussi et surtout son salut. En effet, une telle entente est vicieuse, obérant toutes ses potentialités, pourtant énormes, existant dans notre pays et de nature à refonder son modèle social et religieux fait de tolérance et surtout d’une paisible spiritualité.

À l’orée de cette nouvelle année, à la veille de l’an VI de la révolution, il serait donc temps de rectifier quelque peu le tir en osant prendre les résolutions qui s’imposent. Il y va de la réussite du néolibéralisme en Tunisie et de sa pérennité.

Or, les mesures nécessaires à prendre ne sont pas que nationales, imposant l’adhésion active des partenaires et protecteurs de notre petit pays et qui ont intérêt à ne pas devenir ses oppresseurs, ne serait-ce qu’indirectement en se servant de l’arme islamiste qui se révèlera populairement enrayée.

Il est de bonne guerre, une stratégie gagnante même, de dire oui et d’agir pour le libéralisme économique dans une société ouverte au monde, la Tunisie étant ce pays ouvert chanté par les plus fins des artistes.

Toutefois, il serait contreproductif, et une stratégie perdante à plus ou moins long terme, de se limiter au libéralisme mercantile tout en négligeant ses aspects politiques et sociaux dans une société de plus en plus avide de libertés, étant par essence ouverte aussi sur l’altérité.

Cela suppose que l’arsenal répressif de la dictature, notamment en matière de mœurs, soit aboli au plus tôt. Par exemple : est-il logique de tolérer, sinon d’encourager en ne les dénonçant pas, les franges minoritaires de la société qui contrarient le libre commerce en manifestant contre des points légaux de vente d’alcool dans une société entendant encourager la libre initiative et l’esprit du capitalisme? (3)

En effet, au lieu de voir le parti islamiste, chouchou des néolibéraux, retenir ses minorités activistes s’opposant à la légalisation du commerce d’alcool — nullement interdit en islam, seule l’ivresse l’étant — que voit-on : un silence coupable de la part de certains ténors et une diabolisation de la part d’autres, y compris parmi les figures éminentes du mouvement.

D’ailleurs, Rached Ghannouchi, président du parti islamiste Ennahdha, ne continue-t-il pas lui même de ruminer la mythique interdiction religieuse de l’alcool, n’osant même pas revenir sur l’anathème lancé dans l’un de ses plus fameux prêches, au lieu de rectifier cette interprétation erronée du Coran que les soufis ont tôt fait de dénoncer? (4)

N’est-il pas temps que les véritables amis du peuple tunisien, majoritairement soufi dans son attachement à sa foi, osent rappeler à plus d’éthique leur grand partenaire islamiste, voulu l’atout maître de leur jeu dans le pays et ce en conformant ses paroles à ses actes, en tenant aussi ses promesses?

Juste un exemple ici pour rafraîchir les mémoires: M. Ghannouchi, avant de se rétracter, s’est dit pour l’abolition de l’article 230 du code pénal, cette honteuse base légale de l’homophobie qui nous a valu deux des plus ignobles procès, ternissant l’image du pays, ses autorités continuant à user de pratiques moyenâgeuses. Que ne tient-il donc parole en cette matière de haute moralité !

Notes :
(1) Tunis : La Banque Mondiale l’affirme ; les lobbies s’opposeront fermement à tout changement!
(2) La Révolution inachevée : Créer des opportunités, des emplois de qualité et de la richesse pour tous les Tunisiens
(3) El-Jem : Manifestation contre la vente d’alcool
(4) Tunisie : L’appel de Rached Ghannouchi à boycotter les commerces d’alcool, entre le spirituel et le spiritueux!

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