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À quoi sert le «politique» en Tunisie ?

assemblée ARP

Et si nous étions une somme d’individus, pas encore une communauté, dépourvus de richesses et de ressources, gouvernés par des incompétents avides de pouvoir?

Par Mohamed Malek Hadhri *

Depuis la révolution tunisienne, nous assistons à de récurrentes et interminables querelles politiques (ou politiciennes). Beaucoup pensent que ces tiraillements seraient la principale cause des problèmes sécuritaires, économiques et sociaux que rencontre notre pays.

Nous en avons vu de toutes les couleurs : de la querelle de bas niveau au crêpage de chignons en passant par les débats identitaires et idéologiques…

Pêle-mêle, sous couvert de politique, nous pouvions distinguer de l’égo, du conservatisme, de l’économique, du social, de l’égocentrisme, de l’arrivisme, du fantasme, du fanatisme, des complexes, de la culture, peu de femmes, de la misogynie… et surtout une grande faim avide du pouvoir.

Au fil de ces crises «politiques», je ne cesse de poser la même question : À quoi sert le politique ? Est-ce le problème ou la solution ?

Pour répondre à cette question, en simple consommateur paresseux, je me suis tourné vers Google pour définir «la politique». Au travers des différentes définitions anthropologiques et philosophiques, cette recherche était aussi vaine que les efforts de ce pauvre Google pour rassembler les différentes définitions. Néanmoins, plusieurs termes redondants ressortent : société, développement, économie, richesse, ressources, identité, communauté, pouvoir, droits, devoirs, etc.

Si je recoupe toutes ces terminologies, je peux construire une conception assez basique : la politique est la manière avec laquelle celui qui détient le pouvoir veille aux intérêts (acquis et à développer) de la société (communauté) composée d’individus liés par une identité commune.

Pour «faire» de la politique, les prérequis suivants seraient une condition sine qua non à son exercice. La politique nécessite :

* Une société : somme d’individus liés par un socle identitaire commun. En Tunisie, il n’existe pas de socle de valeurs communes pour constituer une identité ou du moins il s’agirait d’une hypothétique identité effritée et éparse. Les querelles identitaires entre les différentes mouvances apparues après la révolution en sont la preuve criarde. Les tunisiens ne savaient plus où donner de la tête entre islamisme, extrême gauche, nationalisme arabe, progressistes, révolutionnaires, etc. Ces différentes franges ne peuvent s’associer sur aucun point commun identitaire si ce n’est le «nu» passeport vert tunisien.

La plupart de ces courants se réfèrent à des idéologies totalement étrangères à l’histoire de la Tunisie : le wahhabisme, le stalinisme, la nassérisme, Baath, le socialisme, etc., n’ont jamais puisé racine dans notre histoire et sont de fait étrangers à nos coutumes et mœurs.

Par ailleurs, il existe d’autres partis politiques dont l’idéologie est fondée sur le dogme de l’opposition. Les CPR, Wafa et autres avaient pour projet de combattre le régime de Ben Ali. Ils ne se réfèrent à aucune école de pensée ou courant politique qu’il soit international ou régional. Une fois le régime de Ben Ali déchu, les carences de ces partis ont été mis à nu.

La définition même du Tunisien me paraît ardue. Qui est le «Tunisien»? La question demeure entière… À mon avis, la dernière identité commune et connue fut le «bourguibisme». Une sorte de culte à la personne patriarcale pour des administrés assistés. Beaucoup s’évertuent à ressusciter cette identité. Cette démarche me paraît fausse et rétrograde. En effet, Bourguiba a trouvé un ensemble d’individus en majorité analphabètes. Il a su avec son aura et son charisme les enrôler sous un projet commun qui vise à fournir les bases élémentaires d’une vie décente (éducation, santé…). Il s’était érigé en sauveur, père de la nation, bâtisseur… Devant une population «ignare», cette entreprise de projet de société était une sinécure. Depuis le «Tunisien» s’est instruit et a évolué. Le monde s’est entretemps globalisé, et le Tunisien, avant même de se forger une identité propre à lui, a été submergé par la mondialisation.

Le Tunisien a acquis sa liberté suite à la révolution. Sans y être préparé, il est passé d’administré soumis à dissident désarmé d’où sa perméabilité face aux différentes influences partisanes «importées» par les politiciens actuels.

En conclusion, la base même d’une vie en communauté n’existe pas en Tunisie. Les preuves sont maintes et diverses. Le Tunisien privilégie sa région, sa ville, sa religion, ou même son équipe de football à son pays. Ce déficit identitaire, idéologique ou ce défaut de patriotisme laisse le tunisien influençable et donc vulnérable face aux risques d’endoctrinement des courants salafistes ou terroristes. Pour preuve, entre tous les pays arabes, les tunisiens constituent le plus fort contingent à Daech.

* Des ressources : il s’agit des moyens existants (richesses) à consolider pour subvenir aux besoins des individus (distribution de la richesse) et à développer pour offrir plus de prospérité aux mêmes individus. En Tunisie, cette richesse n’existe pas ou plus. Notre pays n’a pas été gâté par la nature. Il n’existe ni pétrole, ni gaz, ni uranium… A un certain moment de notre histoire, notre seule richesse fut l’humain instruit (ou à instruire). Or, au vu du niveau désormais médiocre de notre école, la plus-value de l’humain est devenue insuffisante. Pour développer l’école et l’humain, il faut des moyens et des ressources… D’où le cercle vicieux…

* Le pouvoir : le Graal, le tant convoité… Néanmoins, je fais la différence entre le pouvoir pérenne matérialisé par les institutions de l’Etat et les gouvernants éphémères successifs. Or, en Tunisie, après la révolution, les institutions sont en cours de construction. Cette construction nécessite des moyens (dans notre cas inexistants) et un socle de valeur commun (le nôtre est épars et effrité).

D’ailleurs, nous avons tous contemplé le feuilleton de la genèse de la pierre angulaire des institutions de l’État : la Constitution. Nous avions «savouré» les débats houleux, principalement identitaires, financés par un Etat «fauché» donc via des emprunts étrangers (FMI, Banque mondiale, Union européenne…).

Le niveau de ces débats parlementaires était on ne peut plus médiocre. Les échanges identitaires ont montré des divergences flagrantes. Il a fallu recourir au consensus (concessions sur l’identité de chacun) pour élaborer une constitution fragile financée par des étrangers sous la coupe d’un gouvernement nommé par les mêmes étrangers… Encore un cercle vicieux…

* Des gouvernants : en supposant que les premiers prérequis (société et ressources) soient existants, le gouvernant doit être dévoué au service de la communauté (antinomique à l’essence même du pouvoir et de sa faim), «imbibé» et imprégné de l’identité commune de celle-ci (en Tunisie l’identité commune est absente), conscient des besoins de cette communauté (subsistance, éducation, culture, sécurité…), et possédant un panel de compétences permettant d’allouer correctement les ressources existantes aux besoins des individus.

En d’autres termes, celui qui gouverne doit être «expert» en économie, en sociologie, en diplomatie, en arts, philosophie, finance, sciences, etc. Vous convenez qu’au-delà des prérequis absents, ces profils de gouvernants n’existent pas. On ne nous gouverne que sous le leurre du «politique» que j’essaie de démasquer ici. Aussi, doit-il y avoir une communauté homogène à gouverner, des institutions pérennes censées contenir l’exercice du pouvoir, et des ressources ou moyens censées financer l’exercice de ce pouvoir… Encore un cercle vicieux.

En conclusion, nous sommes une somme d’individus, affamés (au sens propre), à la recherche d’une identité pour former une communauté, sans richesse ni ressources, gouvernés par des incompétents avides de pouvoir, assistés par des pays étrangers servant leurs propres intérêts (hors théorie de complot), sans acquis, repères ou vision…

Vous convenez aussi, que le «politique» en l’état actuel ne fait qu’aggraver le constat précédent. Les solutions ne passent aucunement par la politique dans sa conception actuelle.

La peur s’explique et s’alimente des risques d’implosion qui tirent leur teneur des notions élémentaires évoquées plus haut.

* Consultant en systèmes d’information.

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