Accueil » Affaire du conteneur belge : A quoi joue le gouvernement?

Affaire du conteneur belge : A quoi joue le gouvernement?

Pistolet-Jouet

Au vu des frasques puériles et des mystifications au plus haut niveau des institutions de l’Etat, la seule arme contre de mauvais gouvernements, ce sont de meilleurs gouvernants.

Par Yassine Essid

Voici très brièvement l’exposé des faits. Un conteneur destiné à une entreprise belge installée à Hammamet débarque à Tunis. Le chargement passe le contrôle et quitte le port de Radès pour être livré directement dans les magasins du destinataire. C’est là qu’on découvre une incompatibilité entre les produits déclarés et le contenu ingénieusement dissimulé. Il s’agit, selon les services des douanes, d’armes, de munitions et autres équipements de combat. Le directeur général des douanes, en personne, a relaté triomphalement à la presse la nouvelle de cette saisie  historique, fruit d’une enquête menée par les renseignements douaniers depuis le port de Gênes, et révélant avec moult détails le véritable contenu de la cargaison.

Importateur de babioles ou marchand d’armes

Cette  première version quant à la nature du chargement sera officiellement démentie nonobstant une seconde intervention médiatique du premier responsable de la douane qui persiste et signe. Ainsi la marchandise saisie ne serait en réalité qu’un lot de jouets destiné à une activité sportive opposant des joueurs équipés de marqueurs qui ressemblent étrangement à des pistolets semi-automatiques, de masques de protection et autres babioles.

Arrêté par la brigade anti-terroriste au vu de l’hypersensibilité pour tout ce qui touche la violence terroriste, l’homme d’affaires belge est libéré, quelques jours plus tard, mais interdit de quitter le pays. L’affaire opposant les administrations nationales et leurs agents est donc close et le Premier ministre, qui aurait pu trouver là une belle occasion pour tromper son désœuvrement, adopte sa naturelle posture du silence.

Cependant, la question demeure entière: armes ou jouets, importateur de babioles ou marchand d’armes? La réponse serait-elle suspendue devant la nécessité de la raison d’Etat ou est-elle le résultat d’un chevauchement dans les compétences entre services de polices et services douaniers? Ces derniers ne se contentent plus de saisir des marchandises mais se permettent d’identifier et de démanteler des réseaux dans un contexte où la contrebande ne cesse de se confondre avec la nébuleuse  terroriste. Quant à la prouesse accomplie des agents de la douane disposés au frontispice de nos frontières, elle s’avère peine perdue. Il est dès lors indispensable d’initier ces valeureux fonctionnaires à cet art sublime de ne jamais confondre le vrai jouet du faux, l’original de la copie.

Frontières incertaines entre le véritable et le factice

Comment distinguer avec certitude parmi les innombrables objets qui nous parviennent de l’étranger ceux qui appartiennent à la catégorie des jouets? Il faut bien l’avouer, depuis cette affaire, la question concernant l’activité ludique des enfants et des adultes est devenue des plus embarrassantes!

Aussi, dans ce domaine aux frontières devenues incertaines, où le véritable et le factice, l’original et le contrefait, l’authentique et le simulacre, le sacré et le profane, le simple et le complexe sont si intimement liés, c’est principalement au bon sens et à l’esprit de déduction qu’il faut faire appel pour sélectionner une catégorie de jouets tellement réalistes dans leurs éléments constitutifs qu’on dirait à s’y méprendre des armes létales, tout en  sachant qu’aujourd’hui un objet peut appartenir, successivement ou en concomitance, aux deux domaines.

Il peut exister cependant des jouets ou des armes que nous ne savons pas reconnaître comme tels. Et c’est là que les douaniers avaient manqué de discernement entrainant cette déplorable confusion entre ce qui est de l’ordre du destructeur et ce qui relève du jeu.

Haut fonctionnaire, le directeur général de douanes n’est nullement expert qualifié et spécialisé dans les armes. Tributaire des rapports qui lui parviennent de ses subalternes, il ignore que la notion d’arme varie en fonction des circonstances. Certaines choses constituent des armes par nature, une kalachnikov ou une grenade, par exemple.

D’autres sont définies par l’usage qu’on en fait, tels des objets de la vie courante dont la détention ne pose pas problème tant que l’on s’en sert pas à des fins agressives : marteaux, couteaux, tournevis qui, détournées de leur but, servent pour tuer ou blesser.

Il y aussi les armes par destination qui ne le sont que par la fin que l’on  se propose d’atteindre, telle une boule de pétanque, une batte de base-ball ou une pierre. De même qu’il existe des armes par assimilation. En effet, une épouse irascible armée d’un simple manche à balai ou d’un rouleau à pâtisserie serait suffisamment armée pour faire très mal à son conjoint. Sans  parler des produits d’entretien engrangés dans les placards.

Des machines plus vraies que les vraies

De tout temps l’imaginaire des enfants leur permet de déjouer avec des instruments de toute autre destination n’importe quel objet. Et de nombreux jeux sont inventés à partir d’une chose qui ne figure dans aucun catalogue et qui pourtant peuvent être utilisés pour nuire à autrui. Des pistolets à eau, à petites balles en caoutchouc ou des fléchettes ressemblent à s’y méprendre à des armes à feu réelles et leur commercialisation a pris des proportions alarmantes parfois même vendues avec des uniformes militaires complets et des accessoires. Enfin, des objets aisément identifiables comme jouet, à la fois apaisant et distrayant, sont rangés parmi les jouets dangereux comme les poupées qui disent maman et les gros ours en peluche. Fabriquées surtout en Chine, ils portent un défaut de résistance dans les coutures qui rend accessible aux enfants leur rembourrage, ce qui entraîne un risque potentiel d’étouffement.

Afin de favoriser davantage l’insertion du jouet dans notre modernité, le jouet technique est de plus en plus doué de qualités qui se rapprochent de la perfection : infaillibilité, puissance, rigueur, fidélité. Ce sont de merveilleuses machines qui font plus vraies que les vraies.

L’utilité des voitures téléguidées et des robots volants, en fait des drones, se classent aujourd’hui entre le ludique, l’utilitaire et le militaire, utilisés dans les zones de conflits car capables de détecter une cible de manière autonome. Alors de quel  jouet et de quelle arme parle-t-on exactement?

On ne cesse de nous demander de digérer des arguments insensés, des justifications erronées, des décisions absurdes. En dépit des signes évidents du naufrage généralisé, seuls les gouvernants continuent à croire que tout va bien. Ils regardent le pays s’écrouler autour d’eux en faisant mine de ne pas s’inquiéter, travaillent sans s’appliquer, improvisent sans fournir d’efforts, semblent se distraire, s’amusent, se livrent à un jeu politique dangereux en cédant aux volontés de tous. On dirait qu’ils jouent en se jouant de nous. Mais quoi qu’il arrive nous n’accepterons jamais que le pays devienne un jouet entre les mains de dirigeants amateurs en politique. Alors en ces temps de tromperie universelle, on ment et on se ment pour ne pas révéler la vérité vraie. Admettre qu’on fait fausse route devient un acte dangereux.

Au vu de ces frasques puériles et les mystifications au plus haut niveau des institutions de l’Etat, la seule arme contre de mauvais gouvernements, ce sont de meilleurs gouvernants.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!