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Mohsen Hassen ou l’inquiétant baron Lagaffe

Mohsen-Hassen

Le ministre du Commerce Mohsen Hassen veut engager des causeries avec les baronnies de la contrebande. Souhaitons lui bonne route…

Par Yassine Essid

Après la chute du régime, le pays était entré dans une ère de non-droit qui s’est prolongée et touchée de nombreux domaines. Cela va des constructions anarchiques jusqu’aux importations parallèles, l’évasion fiscale, le trafic des devises, de la drogue et du carburant et autre commerces juteux.

En  dépit des avertissements répétés et des nombreuses mises en garde des autorités, relayées par les médias, et malgré les violents réquisitoires exprimés par les différents représentants du gouvernement et du parlement, qui font toujours semblant d’œuvrer pour une société renouvelée, les trafiquants ne se sont jamais sentis si heureux de vivre, si détendus et ne lésinent sur aucun moyen pour esquiver les contrôles et se soustraire à la surveillance des représentants de la loi.

Contrebande, grossistes et sous-traitants

Tout en s’estimant affranchis des réglementations en vigueur et des dispositions pénales qui vont avec, les trafiquants persistent dans leur activité dans les mêmes proportions. Ils   vaquent avec la même arrogance, la même tranquillité et la même impunité à leurs profitables négoces. Peu  importe pour les sous-traitants de la filière de l’informalité le succès ou le revers de l’entreprise, leur silence sera payé par les grossistes qui occupent le sommet de la pyramide au profit desquels ils auront travaillé. La loi ne représente pour eux ni menace, ni châtiment.

Mohsen Hassen, qui est devenu ministre sans jamais avoir fait de politique et qui représente un parti d’appoint (Union patriotique libre) dans une coalition au pouvoir désormais au bord de l’effondrement total, est certainement un homme intègre, patriote incontesté, soucieux  quant à la souveraineté et la sécurité nationale et, par-dessus tout, sensible à tout ce qui touche à la bonne foi et à la probité des transactions économiques.

Privilégiant le dialogue à la confrontation vaine, car persuadé que toutes les réformes mises en œuvre jusque-là se sont avérées constamment inappropriées, il a déclaré, avec courage et beaucoup de lucidité, que la meilleure façon de lutter contre la contrebande serait de s’adresser directement à ses barons qu’il tient naturellement pour des personnes affables, en tout cas compréhensives et ouvertes à tout débat.

Une telle initiative, qui n’a pas son pareil dans les annales politiques, serait à ses yeux le meilleur remède contre un fléau social devenu lancinant et l’occasion d’élaborer, à terme, une véritable stratégie d’intégration de ces groupes de délinquants dans la communauté nationale.

Bref, substituer à la répression du banditisme le principe de coopération avec les bandits. Il n’en demeure pas moins que pour tous ceux et celles qui croient à la primauté de la justice et craignent la persistance de l’impunité, l’idée émanant d’un responsable politique et membre du gouvernement de surcroît d’engager un dialogue avec les barons du crime est proprement scandaleuse et totalement irresponsable !

La lueur de génie de monsieur le ministre

Mais, au-delà  de cette lueur de génie et les grandes considérations stratégiques qu’elle induit, l’importation frauduleuse et non déclarée des biens de consommation, produits ou non dans le pays, évolue en fonction de nombreux autres facteurs : la conjoncture économique, cela va de soi, le chômage élevé et l’insuffisance des moyens de répression. Sans oublier les agents des douanes, préposés à la surveillance des cargaisons, qui se montrent globalement «compréhensifs» voire «compatissants».

Quant à la législation en vigueur, au lieu d’être rigoureuse et menaçante, elle demeure timide, et l’audace des trafiquants a atteint un tel degré d’effronterie que les risques de la confiscation de la marchandise ou le montant des pénalités financières à acquitter sont presque comptés dans ce commerce frauduleux comme un risque ordinaire; tout  juste un compromis embarrassant parmi de multiples contraintes.

Les nombreuses chances de succès qu’offrent ces trafics, en plus de la quasi-certitude de l’impunité, les promesses de profits élevés comparés au peu de danger encouru; tout, dans cet état de choses, se réunit pour limiter les efforts de l’administration dans sa lutte contre le commerce illégal.

Ainsi, alors que le gouvernement peine à collecter plus de recettes fiscales et pense y parvenir grâce à une augmentation des taux d’imposition, ce projet de bonne entente entraine l’effet inverse, à savoir une diminution des recettes consécutive à la forte baisse de l’assiette du fait de l’augmentation des produits importés non déclarés.

Dans cette configuration plus ou moins cohérente, où l’application de la loi se heurte à de nombreuses résistances, la meilleure politique est par conséquent d’engager le dialogue sans menaces ni brutalité. Il fallait pour ça un communiquant hors-pair et un négociateur inlassable qui ne craint pas d’affronter les difficultés, mais qui saisit toutes les opportunités, devraient-elles provoquer l’indignation et la réprobation du public.

Un dialogue de sourds

Imaginons maintenant la marche à suivre pour initier le dialogue qui nous paraît plus compliquée que complexe. Car il est question de véritables cartels qui contrôlent le commerce parallèle, la contrefaçon et toutes sortes de produits prohibés, imposent progressivement leurs règles à un Etat failli.

Organisée comme une multinationale, la contrebande s’est transformée progressivement en une gigantesque toile d’araignée avec des ramifications s’étendant sur tout le territoire, reliant trafiquants, gangs et terroristes. Au cœur du dispositif, des barons situés à l’intersection de toutes les branches importantes du marché, brassant des milliards.

Pour initier un débat il faut d’abord identifier les interlocuteurs. Par quel moyen? En remontant les filières menant du détaillant au grossiste? Mais si les gros trafiquants sont suffisamment connus et identifiés comme des hors-la-loi, que nous ne les eûmes pas arrêtés plus tôt? Et comment pourraient-ils être officiellement pressentis comme protagonistes d’une sorte de marchandage avec l’Etat?

Le gouvernement, faible mais néanmoins contraint de maintenir sa réputation de force publique, s’estime acculé à soumettre ces barons à son autorité car leur exemple fait courir un risque majeur à la crédibilité de l’Etat et peut nourrir des ambitions chez des apprentis criminels. Il ne faut donc pas sous-estimer le bien-fondé de cette initiative malgré la disproportion des forces.

Réseaux parallèles et trafiquants en tout genre

Une fois cette question réglée, place à la parole, lieu dialogique de l’échange entre égaux, à la fois clair et concis. Mohsen Hassen entend aller au fond des choses, faire transparaître une inégalité de pouvoir sans que cela se transforme en un interrogatoire judiciaire. Il s’agit simplement d’un échange de paroles entre des personnes dans des positions inégales où la brièveté est de rigueur. Par leur simplicité, les discussions supposent un échange fondé sur des ellipses et sur  des allusions. Des faits qui n’ont pas besoin d’être explicites. Le ministre peut au nom de l’intérêt de la nation mettre fin à tout instant aux tractations. Il est aussi en droit d’imposer les sujets abordés, refuser les arguments sur la liberté du commerce ou l’obéissance à la  justice divine que les trafiquants érigent en principes fondateurs de leur activité.

Résultat : chaque partie restera fermement arcboutée sur ses positions. D’abord le ministre, qui a réponse à tout, réduira ses interlocuteurs à l’impuissance. Quant aux trafiquants, ils refuseront de se soumettre car ils s’estiment trop puissants, n’acceptent aucune domination et annoncent que s’ils étaient poursuivis, d’autres prendraient aussitôt la relève. Nous voilà de retour à la case départ.

En attendant que la proposition trouve un écho favorable auprès des représentants des réseaux parallèles et des trafiquants en tout genre, le ministre du Commerce du gouvernement de Habib Essid, décidément toujours discret sur les excentricités de ses ministres, peut commencer par s’initier au dialogue auprès de Slim Riahi: respectable homme d’affaires, président d’un club de football, seigneur d’un parti politique et qui a maille à partir avec la justice. Il sera pour lui, j’en suis persuadé, un partenaire exemplaire pour réussir les futures causeries qu’il entend engager avec les baronnies de la contrebande.

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